Cette réforme explosive du logement qui se prépare
Le ministre de la cohésion du territoire présentera le 13 septembre prochain son plan logement. L’objectif est de « transformer radicalement la politique du logement » en réduisant son coût pour les finances publiques. Les premières mesures annoncées semblent insuffisantes pour créer le « choc d’offre » promis par Macron pour faire baisser les loyers. En revanche, les APL sont clairement dans le collimateur.
Refonte des APL, recentrage du dispositif Pinel et du prêt à taux zéro, simplification des normes, permis de construire accordés plus facilement et réforme de la taxation des plus-values immobilières. Ce sont les premières mesures annoncées par jacques Mézard, ministre de la cohésion du territoire, qui a en charge le logement, dans une interview au Figaro. Il présentera le 13 septembre prochain un plan logement qui sera débattu au parlement à l’automne. Le sujet est potentiellement expositif puisque l’objectif est de tailler dans les 40 milliards d’euros que l’Etat consacre chaque année à la politique du logement.
Le logement, une marchandise comme une autre ?
Dans la philosophie libérale d’Emmanuel Macron, la régulation économique doit se faire par l’équilibre sur les marchés qui fixent les prix, à la hausse comme à la baisse. Or, le logement n’est pas une marchandise comme les autres : c’est une nécessité absolue. Son poids dans les revenus des ménages n’a cessé de croître, particulièrement pour les classes populaires et les classes moyennes. En 2006, les locataires consacraient en moyenne 23,9 % de leur revenu au logement dans le parc social et 30 % dans le parc privé. La part du logement dans les revenus des 10 % les plus pauvres atteint plus de 50 % dans le secteur privé, mais tout de même 30% dans le logement social (selon le centre d’observation de la société). Une étude sur l’augmentation des loyers à long terme, entre 1970 et 2012, montre que ceux-ci ont doublé par rapport aux revenus des locataires.
Construire des logements prend du temps
L’intention du gouvernement est donc de créer un « choc d’offre » qui augmenterait le nombre de logements proposés à la location, afin de faire baisser les loyers . Pour l’instant, le ministre de la cohésion du territoire a annoncé des mesures administratives (gel des normes, sanctions contre les recours abusifs, accélération de la délivrance des permis de construire) et fiscales (réforme de la taxation des plus-values immobilières). Insuffisant pour combler le déficit de logements là où on en a besoin et faire baisser le prix des loyers, selon Pierre Madec, économiste au département analyse et prévision de l'OFCE. D’autant que les décisions incitant à la construction de logements n’ont pas de répercussions immédiates. « Libérer du foncier et construire des logements, ça prend du temps », explique Pierre Madec, « il ne suffit pas de claquer des doigts ».
Construire à prix abordable là où sont les besoins
Le problème n’est pas de construire des logements à tout prix, mais de « construire des logements abordables dans les zones tendues », note Pierre Madec. C’est-à-dire dans les grandes villes, là où se trouvent les emplois et où les loyers sont justement les plus chers. Or, l’économiste juge que certaines des mesures annoncées par le ministre auront plutôt un effet restrictif. « Ce sont de vielles recettes qui relèvent d’un objectif de restriction budgétaire, comme le recentrage du dispositif Pinel et du prêt à taux zéro pour l’accession à la propriété ». Chaque ministre du logement propose en effet un dispositif d’incitation fiscale à la construction de logements locatifs qui porte son nom. Au fil des années, on a vu se succéder le Besson, le Robien, le Scellier, le Duflot puis le Pinel, du nom de la dernière ministre du logement sous François Hollande.
Le Mézard après le Pinel ?
Pierre Madec observe avec perplexité les ajustements opérés par les gouvernements successifs. Il rappelle que sous François Hollande, on a, dans un premier temps, recentré les exonérations fiscales sur les zones tendues et instauré un plafond de loyer et de ressources -le Duflot-, afin de gommer les effets pervers du Scellier. Ce dernier incitait en effet à bâtir, mais dans des zones où il n’y avait pas de besoins. Or, le Duflot n’ayant permis la construction que de 30 0000 à 35 000 logements, on l’a de nouveau étendu trois ans plus tard, en créant le Pinel. Avec les mêmes effets pervers potentiels. « On s’est mis à nouveau à construire dans des zones où il n’y avait pas de tensions locatives, avec en plus des logements à des prix inabordables », résume Pierre Madec. Mais ajoute l’économiste, « resserrer le dispositif -qui s’appellera sans doute le Mézard-, ça veut dire qu’on va produire moins de logements ». Compte tenu du prix du foncier et de sa rareté dans les zones tendues, il n’est pas certain que les logements construits le seront là où ils manquent et à des prix abordables, précise-t-il. D’autant que le gouvernement a annulé près de 315 millions d’euros destinés au logement social sur 2017…
Revoir la fiscalité immobilière ?
Le ministre annonce aussi une réforme de la taxation des plus-values immobilières. Actuellement, cette taxation incite les propriétaires d’une résidence secondaire ou locative -les propriétés principales sont exonérées- à conserver leurs biens plutôt que de les remettre sur le marché. En effet, la taxation est dégressive dans le temps avec une exonération totale au bout de 22 ans pour l’impôt, 30 ans pour les prélèvements sociaux. « L’inversion de cette logique est une bonne idée, pour Pierre Madec, car la fiscalité immobilière, et pas seulement la taxation des plus-values, incite globalement à la rétention du foncier et du bâti ». Qui rappelle cependant que cette mesure a été envisagée par de nombreux gouvernements sans jamais voir le jour, du fait de l’opposition de Bercy. « Au-delà des annonces, il faudra voir ce que fait réellement ce gouvernement », conclut l’économiste.
Les APL, prestation la plus redistributive
La refonte des APL est potentiellement explosive. Le coup de rabot uniforme de cinq euros -la mesure s’appliquera à partir d’octobre- permettra d’économiser 400 millions d’euros. Une paille dans le budget de l’Etat. Mais Jacques Mézard veut revoir les modalités d’attribution des aides au logement (APL, ALS, ALF) versées à 6,5 millions de ménages pour un budget global de 18 milliards d’euros. Les APL seraient accordées sur la base des revenus actuels et non plus sur ceux de l’année n-2. « Cela paraît logique, juge Pierre Madec, sauf que les pauvres d’hier sont souvent les pauvres d’aujourd’hui ». L’économiste estime qu’attendre de cette seule mesure une économie de 100 millions d’euros par mois -soit 1,2 milliards par an- n’est absolument pas crédible. « Cela n’aura que des effets très marginaux », prévient-il. Alors que la baisse des aides produit des effets à très court terme sur les ménages les plus modestes. Selon une étude, sur les 400 millions d’économie prévus via la baisse de 5 euros des APL, la moitié vont concerner les 20% de ménages les plus pauvres. Une baisse directe du revenu des plus pauvres donc, les APL étant la prestation sociale qui a le plus d'effet redistributif.
L'effet inflationniste sujet à caution
L’argument utilisé pour justifier la baisse des APL est qu’elles contribueraient à faire grimper le prix des loyers. « Ces études sont anciennes et ont surtout mis en évidence un effet inflationniste sur les petites surfaces dans les années 1990 », selon Pierre Madec. « Or, lorsqu’on regarde ce qui se passe sur la période récente, quand le loyer augmente, l’APL n’augmente pas », explique Pierre Madec, pour qui cet effet inflationniste est donc à relativiser. Quant aux conséquences de la baisse des APL pour les étudiants, dont on a beaucoup parlé, il faut rappeler que ceux-ci ne représentent que 800 000 bénéficiaires parmi les 6,5 millions de ménages qui les perçoivent. Pour le délégué de la fondation Abbé Pierre, non seulement ces aides ont déjà été recentrées sur les locataires les plus modestes, mais elles ont en outre perdu de leur valeur. « Elles ont évolué deux fois moins vite que les loyers et trois fois moins vite que les charges », selon Christophe Robert.
Pas d’effet « désinflationniste » à la baisse
L’argument inflationniste semble d’autant plus incongru à l’économiste, que « basculer une partie des aides aux personnes sur les aides à la construction ne produit des effets qu’à moyen terme, tandis que réduire les APL produit des effets immédiats sur les ménages qui les touchent, en accroissant leur précarité ». Par ailleurs, si on peut admettre que les APL jouent sur les loyers à la hausse, il est absurde d’attendre que leur diminution entraîne une baisse des loyers. La baisse massive des allocations logement en Grande-Bretagne a en revanche montré que l’effet sur les prix des loyers n’existait pas à la baisse. « Le seul effet qu’on a constaté est une augmentation de la charge du logement pour les ménages », relève Pierre Madec. L'appel lancé par Macron à l’ensemble des propriétaires et bailleurs sociaux pur qu'ils baissent de cinq euros les loyers ? « S'il faut en appeler au bon coeur des propriétaires, c'est bien la preuve que Macron lui-même ne croit au lien de cause à effet entre APL et niveau des loyers ».
Véronique Valentino