Ryan, ami du jeune Curtis décédé à Antony, relaxé mais emprisonné à Fleury
Mercredi, Ryan S. comparaissait devant le tribunal d’Evry. Accusé de jet de projectile sur les forces de l’ordre, il s’était évadé du commissariat où il avait été placé en garde à vue, avant de se rendre aux forces de l’ordre. Relaxé pour le caillassage, cet ami proche de Curtis, décédé début mai alors qu’il fuyait un contrôle de police, a été écroué le jour-même.
Un jugement clément selon l’avocate. Ce mercredi, le tribunal d’Evry a relaxé Ryan S., ami proche de Curtis, pour le caillassage envers les forces de l’ordre et l’a condamné à 70 jours de travaux d’intérêt général pour s’être évadé du commissariat de Massy. Le procureur avait demandé une peine de trois mois pour les violences et trois mois encore pour l’évasion. Les juges ont pour leur part estimé que le jeune homme de 19 ans n’était pas l’auteur du jet de pierre qui lui avait valu un placement en garde à vue. Quant à son évasion du commissariat, ils ont tenu compte du fait qu’il s’était ensuite présenté de lui-même aux forces de l’ordre. Mais il est sous le coup de précédentes condamnations à de la prison ferme. Pour un précédent caillassage, pas plus étayé que celui jugé ce jour-là, puis la disparition d’un scooter dans des circonstances un peu tirées par les cheveux. Ce qui a conduit le procureur à révoquer les aménagements de peine dont il bénéficiait jusque-là. Il a donc été directement placé en détention à Fleury-Mérogis à l’issue de l’audience. « C’est dur pour une mère de savoir que son fils va dormir en prison », confiera Fatima, après la lecture du verdict.
Une qualification pénale particulièrement lourde
Comment en est-on arrivé là ? Samedi 22 juillet, à Massy, à l’heure du déjeuner, un véhicule de police croise un groupe de jeunes, qui « fait de grands gestes dans sa direction ». La voiture s’arrête à leur hauteur et repart après leur avoir demandé ce qu’ils veulent. C’est à ce moment-là qu’une pierre, de dix centimètres de diamètre, selon les policiers, est lancé en direction du véhicule. Quinze minutes plus tard, un deuxième véhicule se rend sur les lieux et arrête immédiatement Ryan, qui nie formellement le caillassage. Il sera accusé de « violences volontaires sur dépositaires de l’autorité publique avec arme par destination ». Une qualification pénale bien lourde, estime Me Barrau, son avocate, alors que le véhicule n’a même pas été atteint et qu’il n’y a eu aucun blessé.
Un policier : « Je me suis dit que c’était Ryan S. »
A l’heure du caillassage, Ryan était chez lui. Sa mère témoigne qu’il n’est sorti que plus tard de l’appartement, juste avant son interpellation. Me Barrau relève les incohérences. Deux policiers assurent avoir reconnu Ryan, sans hésitation, alors que l’auteur du tir portait une veste à capuche bleu marine qui dissimulait son visage. Ryan, lui, portait une chemise -il se rendait au mariage de l’un de ses amis- et une veste grise qu’il tenait par le bras. Plus troublant, lors de la confrontation, le deuxième policier déclare : « je me suis dit que c’était Ryan S. » Ryan est d’autant plus sûr de sa propre innocence, qu’il sait qui a jeté la pierre. C’est un jeune homme du même âge qui est l’auteur du jet de projectile. Ce dernier a d’ailleurs assisté à l’audience ce mercredi et a même témoigné anonymement pour le Parisien dans le couloir du palais de justice. Mais Ryan a refusé de le désigner lors du procès. Le même jeune Massicois affirme que « les policiers en ont systématiquement après Ryan » lorsqu’ils se rendent au quartier de l’Opéra, « ils veulent le faire tomber ».
« Tu vas prendre dix mois de prison ferme »
Les policiers qui ont conduit Ryan au commissariat samedi dernier ont dû reconnaître que le jeune homme avait été calme et respectueux. Il passe la nuit en garde à vue et raconte au procès que les policiers ont gazé sa cellule alors qu’il dormait. « Vous en avez parlé à la procureure ? », interroge le président du tribunal. Evidemment, Ryan n’a rien dit, d’autant que la magistrate du parquet avec qui il s’entretient en visioconférence, lui annonce d’emblée qu’il « va prendre 10 mois de prison ferme ». Plus tard, dans une déclaration lue par le président du tribunal, elle regrettera de lui avoir fait peur. Dix mois à Fleury-Mérogis, c’est pourtant bien la peine dont il écope, au bout du compte, pour s’être enfui. Avec un aménagement de peine envisageable sous trois à quatre mois…
Evasion et panique sur les réseaux sociaux
Escorté à sa demande jusqu’au patio intérieur du commissariat pour prendre l’air, Ryan escalade un mur et s’enfuit, pendant que les policiers ont le dos tourné. Une évasion rocambolesque motivée par la panique et immédiatement relayée sur les réseaux sociaux. L’inquiétude gagne la page Facebook du Collectif Urgence notre police assassine, qui s’est rapproché des jeunes de Massy après la mort de Curtis. Certains imaginent déjà le pire. « Comment peut-on s’enfuir avec une telle facilité d’un commissariat en présence de policiers ? » écrit le collectif, dans un post titré « Alerte urgent », encourageant les Internautes à appeler le commissariat de Massy pour avoir des nouvelles. La mère de Ryan avoue elle aussi « avoir vraiment eu peur et imaginé le pire ». Au point de perdre connaissance. En fait, Ryan s’est réfugié chez des amis. Informé de l’inquiétude de sa mère, il la contacte lundi soir. Fatima l’encourage à se rendre, ce qu’il fera finalement le lendemain matin, mardi 25 juillet. Avant d’être déféré devant le tribunal le mercredi 26 juillet.
« A ce jeu-là, ce sont toujours les policiers qui gagnent »
Le jeune livreur de pizza, qui a décroché en CAP électronique, devait commencer un contrat de vacataire à la mairie de Massy le 1er août pour quelques semaines. « Ça n’est pas donné à tout le monde de travailler pour la mairie », soupire sa mère, « il en était fier ». A la place de ce travail de gardien de stade, il devra attendre que sa peine soit aménagée et effectuer un travail d’intérêt général sous peine d’être renvoyé en prison. Une mesure de sursis mise à l’épreuve demandée par son avocate, qui souhaitait pour l’évasion une peine qui ait du sens. « Depuis le décès de Curtis, il a eu vraiment du mal à faire le deuil de son ami », a souligné Me Barrau à la barre. La même expliquera à sa mère, à la sortie de l’audience, que Ryan doit se tenir vraiment à carreaux. « A ce jeu-là, ce sont toujours les policiers qui gagneront », conclut l’avocate, consciente que les agents de la BAC ont toujours un œil sur le jeune homme et peut-être quelques arrière-pensées.
Dans le viseur de la police
On pense à ce qu’écrit Assa Traoré à propos de son frère dans « Lettre à Adama » : « il t’a suffi d’être montré du doigt une fois (…) pour que le doigt reste collé sur ton front, te suive jusqu’au bout ». Certes, Ryan n’est incarcéré que pour quelques mois. Certes ce n’est pas un ange. Il est, selon le vocabulaire de juridiciaro-policier, « défavorablement connu des services de police ». Six mentions sur son casier, des admonestations du Juge des enfants, pour outrage, insulte ou rébellion envers les forces de l’ordre ou pour une consommation de cannabis qu’il a stoppé il y a deux mois. Ce garçon de 19 ans, qui porte encore les rondeurs de l’enfance sur son visage, est tout sauf un dur. Le tribunal l’a parfaitement compris, qui a préféré un sursis avec mise à l’épreuve plutôt qu’une condamnation ferme. C’était oublier cette révocation automatique de peines, qui l’envoie malgré tout à Fleury-Mérogis. Ce qui revient, comme l’explique Didier Fassin, chercheur en sciences sociales et enseignant à Princeton, à punir toujours les mêmes. Dans Punir, une passion contemporaine, il dénonce « l’illusion punitive contemporaine [qui] réside dans le décalage entre l’idéal de peine juste qu’on affirme et la réalité de l’inégale distribution des peines qu’on refuse de voir ».
Véronique Valentino
Fatima S., la mère de Ryan, a créé une cagnotte leetchi pour financer les frais d'avocat : https://www.leetchi.com/c/frais-de-justice-pour-un-avocat