Sur les failles - Notes. Par Nina Rendulic
Faille 1 : les monstres (à moi)
Une goutte de sueur glisse le long de mon mollet gauche. Un serpent. Mes monstres sont beaux et puissants dans le noir. Je me reprends. Mes monstres sont invisibles et leur chair est blanche et tendre. Je m'observe. Mes monstres sentent le talc et le vide. Une présence particulière. Le monstre recule. Le temps passe en deux fois. Le monstre revient. Ceux qui n'ont de nom dans aucune des langues n'existent pas. Faudrait-il arrêter de montrer la résistance? De monter sur les mâts, là où la vue est belle?
Longtemps j'ai voulu changer le monde.
À la fin, c'est le monde qui m'a changée.
Faille 2 : les absences (le chandelier)
Je n'ai aucun souvenir d'avoir jamais pris cette photographie. Pourtant elle est là. La première petite mort.
Le passé au ralenti et en couleurs. Image. Click. Coupure. Image. Click. Coupure. Se tissent les fils des odeurs et des mots en mouvement par une narration polyphonique. Surgissent sur l'écran les souvenirs d'une belle vie. Se confirment les identités sociologiques et la complexité des rapports entre les acteurs. Cette dialectique de la reconstruction de tous nos mondes possibles est atrocement plate et tellement ennuyeuse. Or aucune alternative n'est possible. Cette vie est finie.
Ce que je ne vois pas je ne retiens pas.
Ce que je ne retiens pas n'existe pas.
Faille 3 : les solitudes (celles de soi-même)
Écoute ces putain de gouttes de pluie te bercer sous les combles jusqu'à ce que tu puisses partir de moi. Je ne te parle jamais et d'ailleurs je ne te parlerai jamais à la première personne car je ne personnalise pas nos rapports et je ne prends aucune responsabilité pour la réalité de tes rêves. Que ta peau reste celle qu'elle est quand elle est seule, quand tu es seule, quand tu n'existes pas. Tu n'existes jamais, tu n'as jamais existé d'ailleurs, mais je n'ai pas encore envie de te l'avouer. Je suis le fantôme de ta solitude désabusée, et ma vie est loin de la tienne et mes sens sont apathiques et mes mots sont des banalités.
Écoute ces putain de gouttes de pluie et lâche-moi.
Notre chroniqueuse Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis