L'AUTRE QUOTIDIEN

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Attention réformes sociales : le gouvernement avance masqué

La concertation lancée par la ministre du travail sur la réforme du Code du travail avec les organisations syndicales ne serait-elle qu’une vaste fumisterie ? Alors que les sondages annoncent une majorité en faveur des candidats En marche ! aux législatives, la CGT dénonce un « agenda caché », tandis que Force ouvrière crie « halte au feu ». Une bronca qui contraste avec l’accueil jusqu’ici plutôt bienveillant réservé au projet de réforme du Code du travail par les principales centrales syndicales.

Les principaux syndicats -CGT, FO, CFDT- se sont-ils fait avoir dans les grandes largeurs ? C’est la question qui se pose depuis la publication de documents émanant la Direction générale du travail mardi dernier par Libération et lundi par Le Parisien, qui détaillait le contenu des ordonnances que compte faire adopter le gouvernement. Or, et c’est là où le bât blesse, les documents publiés par les deux quotidiens font état de mesures qui vont bien au-delà de ce que le gouvernement a présenté aux syndicats. Libération titrait d’ailleurs, sur la photo qui illustre l’article, barrée d’une mention « exclusif », « Code du travail, le séisme qu’ils préparent ». Un article qui pose clairement la question : « le gouvernement joue-t-il cartes sur table dans son projet de réforme du code du travail ? » Une question légitime au vu des mesures listées, bien plus radicales que celles présentées mardi aux syndicats. Résultat, hier, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, accusait le gouvernement d’avoir un plan caché concernant les réformes sociales qu’il prépare : code du travail, chômage, retraites. Quant au leader de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, il a rétorqué par un communiqué titré « halte au feu », prévenant le gouvernement que, au vu des projets révélés par la presse, « la concertation va tourner court ». Même la très accommodante CFDT a dû avertir que la négociation du contrat de travail au sein de l’entreprise serait inimaginable.

Affaiblir les syndicats

Il y a en effet de quoi grimper au rideau. Selon Le Parisien, un avant-projet de loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances prévoit dans son article 1er neuf ordonnances. La neuvième, purement technique, permettrait la transposition des mesures adoptées dans les Outre-mer. En revanche, les huit premières concernent les réformes voulues par le gouvernement. Un nombre d’ordonnances à ajuster en fonction des « options retenues », précise le document, toutes les mesures prévues n’ayant pas vocation à être mises en œuvre par le biais d’ordonnances. Certaines sont jugées prioritaires. C’est le cas de la décentralisation des négociations au niveau de l’entreprise, du plafonnement des indemnités aux prud’hommes et de la fusion des instances représentatives du personnel (comité d’entreprise, comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, délégués du personnel). D’autres, comme le référendum d’entreprise, sont jugées moins cruciales. L’une prévoit même la mise en place d’un chèque syndical, une sorte de hochet concédé aux syndicats, alors que la fusion des instances représentatives du personnel affaiblirait définitivement les syndicats de salariés. Mais la mesure centrale est bien la négociation au niveau de l’entreprise. Depuis la loi El Khomri, le champ de la négociation en entreprise avait été étendu au seul temps de travail. Désormais, le périmètre serait élargi au contrat de travail, à la santé et la sécurité et même au licenciement, comme en atteste le document publié par Libération.

Faciliter les licenciements économiques

Le document publié mardi dernier par Libération (voir le pdf joint à l’article) propose notamment de réduire les délais de saisine des Prud’hommes, pour les ramener à deux mois contre un an aujourd’hui. Et revient sur une mesure que le gouvernement Valls avait dû ôter de la loi El Khomri : le plafonnement des indemnités accordées en cas de licenciement fautif de l’entreprise, en proposant de le revoir nettement à la baisse. Jusqu’ici, la loi Macron avait pu proposer un barème pour ces indemnités, mais il n’était qu’indicatif. Quant au vice de forme dans la procédure de licenciement, il ne serait plus assimilé à un licenciement sans causes réelles et sérieuses. C’est d’ailleurs l’une des principales options du document : faciliter le licenciement. Le seuil de déclenchement d’un plan de licenciement économique serait relevé (aujourd’hui, il s’applique à partir de dix licenciements pour une entreprise de 50 salariés). En outre, le caractère économique du licenciement serait apprécié au niveau national et les obligations de l’employeur nettement assouplies.

Un dynamitage en règle du contrat de travail

Mais la mesure centrale est de ramener la négociation même du contrat de travail au niveau de l’entreprise. L’entreprise négocierait librement le recours aux CDD (motifs de recours, de rupture, le nombre de renouvellements et la durée de ces contrats). Mais il y a pire. Pour ce qui est du CDI, le document propose d’élargir la négociation au motif de licenciement, qui pourrait désormais être fixé en amont par l’entreprise, tout comme les indemnités de licenciement. Même chose pour la durée de la période d’essai, celle du préavis, ou encore celle des congés familiaux. Comme l’explique Libération, rien n’empêcherait alors les entreprises de définir, dans le contrat de travail, des critères ouvrant la voie à des licenciements sans recours : objectifs de vente à respecter pour les commerciaux ou de production pour les ouvriers. C’est donc un véritable dynamitage du contrat de travail qui se préparerait en coulisses, tandis que le gouvernement fait mine de négocier avec les syndicats.

Un agenda caché ?

Bien entendu, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, ex-DRH du groupe Danone, a démenti tout agenda caché du gouvernement. Mais il faut bien reconnaître que le projet présenté par cette dernière mardi dernier était bien en retrait de ce qui a fuité dans la presse. Tout en assurant que « utiliser les ordonnances ne veut pas dire renoncer aux discussions », elle avait annoncé un projet de loi divisé en trois parties : la code du travail, la mobilité professionnelle incluant l’indemnisation du chômage et la formation, puis les retraites. Un programme flou, dénoncé comme tel par Philippe Martinez : « lors de la conférence de presse mardi, les interventions du Premier ministre et de la ministre du Travail étaient creuses. Ça donne l'impression qu'ils en diront plus après les élections ». Une réaction qui contraste avec la relative bienveillance adoptée jusqu’ici par les principaux syndicats de salariés à l’égard du gouvernement, ces derniers semblant réaliser qu’ils risquent forts d’être les dindons de la farce. Alors, pour comprendre, revenons un peu en arrière. Mardi 22 mai, le président de la République reçoit les principales organisations syndicales de salariés et d’employeurs à l’Elysée. Tous se réjouissent de la volonté affichée de privilégier le dialogue social. « Le président de la République est à la fois déterminé mais à l'écoute », déclare Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, qui avait été aux premières loges pour faire passer la pilule de la loi El Khomri. Même Philippe Martinez de la CGT reconnait alors que « on n'est pas d'accord mais au moins on a échangé », comme le rapporte les Echos. Quant à Jean-Claude Mailly, de FO, il déclare : « Si on a une concertation, on est prêt à travailler tout l'été, juillet et août compris. J'ai senti qu'a priori, il y a des marges de manœuvre ».

Les syndicats ont accepté le recours aux ordonnances

A vrai dire, dès le 10 mai dernier, les principales centrales syndicales de salariés se montraient déjà accommodantes vis-à-vis de la méthode, pourtant bien peu démocratique, choisie par le nouveau pouvoir pour réformer le Code du travail : le recours aux ordonnances. Bien évidemment, le syndicat le plus accommodant était de loin la CFDT, qui a déjà avalé pas mal d’autres boas. « Tout dépend de la façon dont Emmanuel Macron s’y prend pour faire son ordonnance, la CFDT souhaite que la phase législative, quelle que soit sa forme, soit précédée d’une phase de dialogue », expliquait à France Inter la numéro 2 du syndicat, Véronique Decasq. Traduction : la voie des ordonnances ne pose pas de problème particulier. La CGT, elle, déclare qu’elle est « déjà dans la rue », qu’elle sait se mobiliser et « sera là pour la rentrée sociale ». Traduction : pour le moment, on négocie, on verra après. Quant à FO, c’est surtout le calendrier qui semble lui poser problème : « s’il persiste dans l’idée de faire des ordonnances au mois de juillet, ça veut dire qu’il va balayer le dialogue social et la concertation », explique Jean-Claude Mailly. « Emmanuel Macron veut faire les choses rapidement, mais j’ai demandé que le calendrier soit détendu d’un mois », se félicite Mailly à l’issue de la rencontre avec le nouveau président le 24 mai, qu’il qualifie de « cordiale ». Avant de vendre la mèche : « qu’il passe par les ordonnances n’est pas forcément un problème, mais il faut laisser le temps à une vraie concertation ». Et Atlantico, site de la droite libérale, de conclure : « A court terme le nouveau président ne devrait donc pas se heurter à un tir de barrage franc et massif s’il fait passer ses ordonnances, pourvu qu’il prenne le temps d’une vraie concertation ». 

FO courroie de secours ?

Une vraie concertation ? Certes, le gouvernement a promis une cinquantaine de rencontres. Annonce bien accueillie au départ par les trois grandes centrales syndicales. Jusqu’à jeudi et l’interview accordée au Parisien par le patron de la CGT. « On nous annonce presque 50 rencontres. Certes, mais toutes organisations confondues ! Pour la CGT, ce sera seulement trois réunions de deux heures », peste Martinez. Quant à FO, si Mailly crie aujourd’hui « halte au feu », on a connu FO plus intransigeant sur une réforme qui doit quand même, faut-il le rappeler, autoriser la négociation d’entreprise sur les bases même du contrat de travail… Mais FO a d’autres raisons de se réjouir, puisque l’un de ses principaux négociateurs, Stéphane Lardy, a été embauché comme directeur adjoint au cabinet de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, où il travaille aux côtés d’un ancien cadre du Medef. FO aurait-elle pour objectif de devenir le principal partenaire du nouveau gouvernement, comme la CFDT avait été celui du pouvoir socialiste sous le quinquennat de Hollande ? On se souvient que Mailly avait accueillie chaleureusement la nomination de Muriel Pénicaud au ministère du travail, louant sa « grande expérience » et même celle de Antoine Foucher, ex-MEDEF, à la direction de son cabinet. « C’est quelqu’un que je connais, qui aime la négociation collective », avait-il approuvé. Pour Guy groux, chercheur au CEVIPOF, le centre de recherche de Sciences Po Paris, cité par Révolution permanente, le site du NPA, « on a le sentiment qu’il y a chez Mailly une envie de revenir dans un jeu contractuel plus classique et de faire concurrence à la CFDT ». Dans une interview accordée au site de France télévision, Laurent Berger assurait ne pas croire que le document publié par Le Parisien lundi puisse émaner du gouvernement. Avant de prévenir que, si tel était le cas, la CFDT « râlerait très très fort ». Pas de quoi effrayer le premier ministe. Surtout quand le même Laurent Berger, rappelant qu’il s’était opposé au plafonnement des indemnités aux Prud’hommes, mesure finalement retirée de la loi El Khomri, explique qu’il faudra une mobilisation pour savoir… quel est le niveau du plafond et s’il faut un plancher. Une déclaration qui augure mal de la construction d’un rapport de forces incluant la centrale cédétiste.

Une opposition syndicale fissurée

Reste une CGT qui n’a pas fermé la porte à la négociation, comme on l’a vu, mais que le gouvernement entend marginaliser avec l’aide de la CFDT et de FO. Quant à Solidaires (syndicats Sud), la centrale a été reçue par le premier ministre et la ministre du travail le 30 mai dernier, mais n’a aucune assurance d’être invité à la table des négociations. Négociations sur le Code du travail que le syndicat récuse. Pour Eric Beynel, Muriel Pénicaud agit plutôt en directrice des ressources humaines, que comme une ministre du travail ». Quant à l’annonce des rencontres programmées avec les syndicats, elle tiendrait plus de l’effet d’annonce que d’une réelle volonté de négocier. Le syndicaliste prévient : « il faudra plus que des manifestations pour faire plier le gouvernement ». Hier, une réunion réunissant plusieurs syndicats -la FSU, la CGT, l’UNEF et l’UNL- se tenait au siège de Solidaires. Objectif : « construire une riposte à la hauteur des attaques » et préparer un mouvement de grève reconductible.  Une invitation lancée dès le 5 mai dernier, avant le deuxième tour de la présidentielle, relancée le 31 mai. Dans son adresse aux autres syndicats, Solidaires écrivait : « Pour la plupart vous avez souhaité attendre les différentes déclarations et annonces des mesures gouvernementales avant de nous réunir ». Une heure qui semble désormais venue, mais pour une fraction seulement du monde syndical. Un monde syndical qui semble bien fissuré alors qu’on annonce une victoire des candidats En marche ! aux législatives. Or, après la réforme du contrat de travail, c’est celle du chômage et des retraites qui se profile.

Véronique Valentino le 9 juin 2017