L'AUTRE QUOTIDIEN

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Des casseroles du gouvernement, de ses rapports avec les médias, et pourquoi c’est tout sauf un détail

Alors que le ministre de la Justice présentait hier un projet de loi sur la moralisation de la vie publique en conseil des ministres, plusieurs d’entre eux sont empêtrés dans des affaires judiciaires, alors que le gouvernement s’en prend à la presse. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie et les citoyens. Explications.

La moralisation de la vie publique, promise par Emmanuel Macron pendant la campagne des présidentielle, devait être la grande affaire du gouvernement. Pourtant, les affaires dans lesquelles sont empêtrés plusieurs ministres, et non des moindres, jettent un doute, non seulement sur la volonté mais aussi sur la possibilité réelle de promouvoir un changement des pratiques. Dans un article publié le 22 mai dernier, nous attirions l’attention sur ce qui s’annonçait comme une impossible chasse au conflit d’intérêt, menée par un premier ministre qui est lui-même un ancien lobbyiste d’Areva. Depuis, le nombre de casseroles accumulées par plusieurs ministres en seulement quelques semaines est venu jeter le trouble. Et les relations avec la presse ne sont pas de nature à rassurer.

Les électeurs s’en tamponnent

Il y a d’abord eu l’affaire Richard Ferrand, qui a donné lieu à quelques contorsions du chef du gouvernement. Après avoir rappelé la règle selon laquelle tout ministre mis en examen devrait démissionner, Edouard Philippe s’en était par avance remis aux électeurs, sommés de trancher par leur vote. Or, les résultats des législatives sont là. Les électeurs de la 6e circonscription du Finistère, où se présente le ministre de la cohésion des territoires, par ailleurs soutien de la première heure du candidat Macron, semblent ne pas avoir tenu compte de l’affaire immobilière dans laquelle il est impliqué. Richard Ferrand arrive en effet en tête avec 34% des voix. On pense à ce titre d’un livre de Denis Robert : « Pendant les affaires, les affaires continuent ». L’auteur se demandait à quoi bon révéler les affaires, puisque rien ne change. Et même pire, puisque les électeurs semblent s’en tamponner.

Une enquête préliminaire et des soupçons d’enrichissement personnel

Pourtant, le 1er juin dernier, le parquet de Brest a ouvert une enquête préliminaire et deux associations anti-corruption ont déposé des plaintes dans cette affaire immobilière. Même le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a évoqué des soupçons « d’enrichissement personnel, via une mutuelle qui organise normalement la solidarité ». Rappelons de quoi il est question dans cette affaire révélée en mai dernier par le Canard Enchaîné. En 2011, les Mutuelles de Bretagne sont à la recherche de locaux à Brest pour y relocaliser un centre de soins. Or, c’est Richard Ferrand, directeur général de cet organisme mutualiste, qui va organiser l’achat de locaux rue George Sand, par sa compagne, Sandrine Doucen, locaux qui seront ensuite loués aux Mutuelles de Bretagne. Il reviendra au parquet de Brest de dire si l’opération relève d’une qualification pénale ou si elle est légale.

Un sens de la famille particulièrement développé

Mais sur le plan de la morale, elle révèle un sens de la famille très développé chez l’ancien dirigeant mutualiste. Début 2011, Richard Ferrand signe le compromis de vente début 2011 avec, comme condition, qu’une SCI se substitue à lui avant la vente. Etape suivante, Sandrine Doucen, sa compagne avocate, propose alors une offre de location de ces mêmes locaux, alors qu’elle n’en est pas encore la propriétaire. Les Mutuelles de Bretagne acceptent, parmi trois autres offres, la proposition de l’avocate, qui crée la SCI Saca dans la foulée, avec un capital de seulement 100 euros. Sandrine Doucen finance ensuite l’acquisition des locaux grâce à un prêt du Crédit agricole, qui couvre l’intégralité de l’achat ainsi que les frais de notaire. Grâce à ce montage financier, l’achat des locaux n’a rien coûté à la SCI Saca. Mieux, celle-ci a pu valoriser son bien grâce à des travaux de rénovation, pris en charge là aussi, par les Mutuelles de Bretagne.

De l’enfumage ou comment monter une SCI avec 100 euros

Les Mutuelles de Bretagne, qui défendent bec et ongles leur ancien dirigeant, assurent que l’offre de Sandrine Doucen était la plus avantageuse, si on s’en tient au prix au m2. Ce qui est exact, sauf si on ajoute aux loyers payés le prix des travaux, soit 184 000 euros. La SCI appartient aujourd’hui à Sandrine Doucen (99% des parts) et à la fille qu’elle a eue avec Richard Ferrand. Quant aux loyers payés à Brest, ils ont permis à la SCI d’acquérir, en 2013, un appartement de 353 000 euros à Paris. Une opération immobilière rondement menée par le couple. Mais dénoncée par l’avocat qui a organisé l’opération à l’époque, qui confie avoir été « choqué » et qui parle aujourd’hui, s’agissant de la défense du ministre « d’enfumage ».

Renvois d’ascenseur

D’autant que cette opération inclue aussi de l’argent public, les Mutuelles de Bretagne ayant récolté 55 000 euros de subventions pour l’installation et l’équipement des locaux. Et le sens de la famille de Richard Ferrand ne s’est pas arrêté à cette juteuse acquisition immobilière. Il a aussi concerné des contrats d’aménagement de locaux au profit de son ex-femme, artiste plasticienne, ainsi que l’embauche de son fils Emile et du compagnon de Joëlle Salaün, devenue directrice des Mutuelles de Bretagne, au moment où Ferrand était élu député en 2012. Sans oublier la rémunération du même Ferrand comme chargé de mission, toujours par les mutuelles de Bretagne, alors qu’il déposait à l’assemblée, en tant que député PS, une proposition de loi en faveur des réseaux de soin mutualistes. C’est donc tout un système qui est en cause, un mélange des genres aux frontières de la loi, fait de renvois d’ascenseur et d’enrichissement personnel. Avec une combine légale jusqu’en 2015, la possibilité pour les parlementaires d’acheter leur permanence grâce à l’indemnité représentative de frais de mandat, accordée à chaque député et sénateur, sans contrôle de son utilisation et non imposable. Richard Ferrand a-t-il là encore utilisé cette combine ? Selon Mediapart il aurait récupéré 40 000 euros en revendant une partie de sa permanence.

Une loi pour la confiance dans la vie démocratique

Richard Ferrand, notable local, serait ainsi le symptôme d’une partie de la classe politique qui confond allégrement argent public et intérêts très privés. C’est là qu’intervient le projet de loi « pour la confiance dans notre vie démocratique ». Certes, celui-ci contient des dispositions intéressantes : interdiction des emplois familiaux, suppression de la réserve parlementaire et de la Cour de justice de la République, encadrement des activités de conseil, non-cumul des mandats dans le temps, réforme du Conseil constitutionnel, etc. Le ministre de la Justice a consulté l’association anti-corruption Anticor, dont plusieurs propositions ont été reprises.

Comment la justice peut-elle enquêter sur son ministre ?

Mais le message est brouillé par l’affaire des assistants parlementaires du MODEM qui fait là aussi l’objet d’une enquête. Or, le garde des Sceaux et président du MODEM pratique lui aussi le mélange des genres, alors qu’on apprend que son assistante personnelle était en partie rémunérée par le Parlement européen. Une affaire qui met aussi en cause deux autres ministres issues de cette famille politique, Marielle de Sarnez, ministre des Affaires européennes et Sylvie Goulard, ministre des Armées. Mais comment le parquet peut-il enquêter sereinement sur des faits qui impliquent plusieurs ministres, dont celui de la Justice, alors que c’est un procureur dépendant directement de ce dernier, qui serait appelé à l’auditionner ? A ce niveau, il ne s’agit plus de conflit mais d’une totale collusion des intérêts.

Un coup de fil d’un simple citoyen

Et c’est là qu’interviennent les relations du gouvernement avec la presse. On ne peut pas d’un côté prétendre moraliser la vie politique et de l’autre côté s’en prendre aux médias lorsqu’ils font leur travail d’investigation. C’est pourtant ce qu’a fait le ministre de la Justice, qui n’a pas hésité à appeler le responsable de la cellule investigation de Radio France pour se plaindre du zèle de ses enquêteurs. En donnant cette curieuse explication : il aurait appelé en tant que « simple citoyen » et non en tant que ministre de la Justice. Que le premier ministre ait rappelé Bayrou à plus de sérénité est une bonne chose.

Des plaintes en cascade contre les médias

Mais cette intervention ne peut pas faire oublier que le ministère du travail a porté plainte contre Libération pour avoir publié des documents concernant les projets de réforme du Code du travail qui vont beaucoup plus loin que ce qui avait été annoncé aux syndicats. Le gouvernement assure que la plainte ne vise pas le quotidien, mais les auteurs des fuites, car une épuration se prépare au sein de la haute fonction publique. Pourtant, il s’agit d’une plainte contre X pour « vol, violation du secret professionnel et recel », la qualification de recel concernant bien Libération. Et cette plainte concernerait aussi Le Parisien et Mediapart, pour les informations concernant respectivement les projets d’ordonnances et le calendrier de la réforme.

Les macronleaks visées

Ce n’est pas la seule plainte engagée à ce jour contre la presse. Le 11 mai, le mouvement En marche ! déposait plainte pour « recel d’atteinte à un traitement automatisé de données » contre la lettre d’information spécialisée, la Lettre A, accusée d’avoir publié des informations tirées des Macronleaks sur l’identité de ses donateurs. Ce média qui publie des informations exclusives sur « les cercles de pouvoir en France », aura bien du mal à se relever de cette procédure qui ne vise pas l’authenticité des informations publiées, mais une disposition qui réprime la publication de données issues d’un piratage informatique… et rarement utilisée dans le droit de la presse. Une poursuite bâillon visant une publication confidentielle, alors que ses responsables assurent « avoir pris soin de ne publier que les noms des donateurs nous ayant personnellement confirmé leurs contributions ».

Des déclarations lénifiantes

Ces multiples pressions n’ont pas empêché Richard Ferrand - encore lui - de déclarer le 3 mai, à la Maison des journalistes, lors de la Journée mondiale de la presse, « Continuez à nous irriter, car elle est là, la liberté ». Même son de cloche du côté de Edouard Philippe. Le premier ministre aurait déclaré sur France Info que ces actions en justice ne sont en aucun cas « un message dirigé contre la presse, qui a non seulement un devoir d’information, mais aussi une envie légitime d’informer ». Des déclarations lénifiantes en pleine campagne des législatives qui peinent à convaincre. Car si c’est bien la confiance dans la vie démocratique qui est en jeu, celle-ci est très mal en point.

Véronique Valentino le 15 juin 2017