L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Edouard Philippe et l’impossible chasse aux conflits d’intérêts

Le choix d’Edouard Philippe comme premier ministre n’augure rien de bon concernant ce qui devrait être l’un des premiers actes législatifs de son gouvernement : une loi sur la moralisation de la vie politique censée notamment prévenir tout risque de conflit d’intérêt. Son profil, très proche de celui du nouveau président de la République, en dit surtout long sur la confusion des intérêts au plus haut niveau de l’Etat.

Le casting du nouveau gouvernement devait être irréprochable. Avec étude du patrimoine, des revenus et des activités exercées par les impétrants avant d’accéder au grade de ministre. Mais dès la nomination du premier ministre, Edouard Philippe, ça s’est terriblement gâté. Non seulement le premier ministre est fâché avec la transparence, surtout lorsqu’il est question de revenus et de patrimoine, mais en plus il n’est pas franchement cet homme neuf, indépendant des puissances économiques et financières, que nous vend la communication macronienne.

Un clone de Macron ?

Ex-lieutenant d’Alain Juppé, Edouard Philippe présente de nombreux points communs avec Emmanuel Macron, qui se veut « ni de droite, ni de gauche » ou plutôt « et de droite et de gauche », à moins que ce ne soit l’inverse. Comme le nouveau président, Edouard Philippe, dont le père était directeur du lycée français de Bonn, est passé par la crème des instituts d’enseignement français. Une hypokhâgne au lycée Janson-de-Sailly pour Philippe, le lycée Henri IV pour Macron, avant que tous les deux n’intègrent Sciences Po puis l’ENA. Comme Macron, la carrière de Edouard Philippe est marquée -après un passage par le Conseil d’Etat en tant que spécialiste des marchés publics-, par un long pantouflage dans le secteur privé. Sa carrière est d’ailleurs faite d’allers-retours entre vie politique et monde des affaires. Politiquement, il est parfaitement macron-compatible, ayant débuté sa carrière politique dans le sillage de Rocard, avant de rejoindre Alain Juppé. C’est sous l’étiquette UMP qu’il trouvera ensuite un ancrage local en Seine-Maritime, dont il fut conseiller régional, puis député et Maire du Havre.

Fâché avec la transparence

On glissera sur les révélations concernant une œuvre de fiction commise par notre nouveau premier ministre, truffée de considérations sexistes. Logique pour un député -il l’a été pendant cinq ans- qui s’est abstenu en 2014 lors du vote de la loi visant à renforcer l’égalité hommes-femmes ou sur celle instaurant le mariage pour tous. En revanche, il a pris position contre la loi sur la transparence et la moralisation de la vie politique, votée dans la foulée de l’affaire Cahuzac, a voté contre la loi sur le cumul des mandats et contre celle concernant la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Avec un tel pédigrée, on ne s’étonnera donc pas qu’il ait hérité d’un « blâme » de la haute autorité pour la transparence de la vie publique en 2014. Une mention réservée aux « manquements d'une certaine gravité », dont il a écopé pour avoir transmis une déclaration de patrimoine et d’intérêts pour le moins désinvolte. A la case « revenus », censée lister ses revenus des cinq dernières années, aucun chiffre. Ni sur ses salaires d’avocat d’affaires, ni sur ceux perçus comme lobbyiste à Areva ou encore en tant qu’élu.

Un premier ministre hautement radioactif

Or, c’est bien la carrière professionnelle d’Edouard Philippe qui retient l’attention, s’agissant d’un homme qui est censé être exempt de tout conflit d’intérêt. Il a lui aussi travaillé comme avocat d’affaires pour le cabinet Debevoise & Plimpton, spécialisé dans le conseil fiscal des grandes entreprises et centré sur le capital investissement, alors que Macron planchait sur les fusions-acquisitions comme associé chez Rothschild. Mais ce n’est pas tout. Après un passage éclair (un mois) au ministère de l’écologie, comme conseillé d’Alain Juppé, il est embauché de 2007 à 2010, comme directeur des affaires publiques du groupe nucléaire Areva (un poste de lobbyiste). « Son activité principale [était] alors de s’assurer de la collaboration de parlementaires acquis au lobby de l’atome », selon l’Observatoire du nucléaire, organisme qui milite contre le nucléaire.

Premier conflit d’intérêt au Havre

L’Observatoire n’hésite pas à écrire que le nouveau premier ministre a « les mains très sales, ou plutôt… radioactives ».  C’est en effet en 2008 qu’un accord est signé entre Areva et le gouvernement de Niamey pour l’exploitation de l’uranium nigérien. Accord immédiatement contesté par le Mouvement des Nigériens pour la justice, mouvement touareg en rébellion contre le pouvoir central.  « En effet, les maigres revenus de l’uranium, largement sous payé depuis des décennies par Areva, ne bénéficient en rien à la population, et encore moins aux Touaregs, alors que les mines d’uranium sont situées dans leurs zones traditionnelles de vie », précise l’Observatoire. Qui laisser entendre que les manœuvres en coulisse de Edouard Philippe n’auraient pas été étrangères aux graves troubles qu’a connu la région, une partie de ces mouvements touaregs s’étant alliés aux djihadistes.  Et en matière de conflits d’intérêts, l’ex Maire du Hvre a fait très fort, puisqu’après avoir récupéré le fauteuil de Maire du Havre, suite à la démission de son prédécesseur, il a concédé le marché très juteux de l’éolien off-shore dans la région à son ancien employeur. Areva, qui devait créer 750 emplois directs au Havre, a finalement renoncé cinq ans plus tard à construire les deux usines prévues.

Invité en 2016 du groupe Bilderberg

Mais il y a d’autres points problématiques mais moins connus. Edouard Philippe a participé au groupe Bilderberg en 2016. Fondé à l'origine pour combattre le communisme, il regroupe chaque année 130 personnalités des affaires, de la politique et des médias, triés sur le volet. Un groupe informel, qui promeut le dialogue euro-américain, dont la stricte confidentialité alimente bien des controverses. Les comptes rendus de ces conférences rédigés par deux journalistes de l’hebdomadaire libéral britannique The Economist ne sont pas rendus publics. Cependant, dans le communiqué de presse de la conférence de 2016, on remarque, parmi les sujets débattus, « précariat et classe moyenne », « Europe : migrations, croissance, réforme, vision, unité » ou encore « géopolitique de l’énergie et prix des matières premières ». Chaque participant s'exprime pendant 10 minutes, 3 minutes pour les questions. Qu’a bien pu dire notre fringant premier ministre sur ces sujets ?

Proximité avec Axa et l’Institut Montaigne

La participation au groupe Bildernerg, sorte de Davos  en plus secret, est d’ailleurs un autre point commun entre Edouard Philippe et Emmanuel Macron, qui avait lui été invité en 2014, deux ans avant la création de son mouvement En marche. L’actuel président du groupe Bilderberg est le comte Henri de la Croix de Castries, président de l’assureur Axa. Or, le fondateur d’Axa,Claude Bébéar, a soutenu la campagne de Macron. Bébéar est aussi connu pour avoir participé à la création de l’Institut Montaigne, think thank libéral qui se présente comme une « plateforme de réflexion sur les politiques publiques ». Rappelons aussi que, avant le changement des mentions légales du site, l’adresse de l’institut était celle de son directeur, Laurent Bigorne. C’est aussi là qu’était domicilié En marche. Une information mise à jour par Mediapart. Laurent Bigorne a aussi été invité à la conférence Bilderberg, mais en 2015. Quant à Henri de Castries, de son petit nom, il a fait partie de la même promotion de l’ENA (Promotion Voltaire) que François Hollande, Jean-Pierre Jouyet, mais aussi Michel Sapin, Ségolène Royal ou encore Dominique de Villepin. Il est un ami de longue date de Fillon, dont le projet de démantèlement de la Sécurité sociale était taillé sur mesure pour Axa. Ce qui montre que le géant de l’assurance n’avait pas jugé utile de mettre tous ses œufs dans le même panier. En gros, ils étaient gagnants à tous les coups.

Brouillé avec l’écologie

La nomination de Edouard Philippe ne présage rien de bon sur la transparence et la moralisation de la vie publique promises par le nouveau président. Sur le fâcheux épisode Areva, un proche de Macron, le député des français de l’étranger Arnaud Leroy, a bien tenté de noyer le poisson. Dans un twitt du 15 mai dernier, il expliquait que lorsqu’il était chez Areva, Edouard Philippe était un fervent supporteur des énergies renouvelables. Ce qui ne l’avait pas empêché de voter contre la loi sur la transition énergétique en 2014 et 2015, loi censée être l’un des grands chantiers du président Hollande. Idem sur le projet concernant la biodiversité. C’est pourtant lui qui sera chargé de mettre en œuvre les propositions environnementales du candidat Macron, notamment la baisse du nucléaire dans le mix énergétique français. Mais l’écologie n’était pas vraiment un point important du programme de Macron, qui se situe sur ce point dans la continuité du quinquennat de François Hollande.

Le choix obligé d'un juppéiste

Le premier ministre aurait également des divergences de vuesur la question des gaz de schiste, sur le charbon ou sur la taxe carbone. Mais qui a dit qu’à ce niveau, la politique était une affaire de conviction ? En fait, le principal mérite du chef du gouvernement semble être, aux yeux du nouveau président, d’être proche d’Alain Juppé et de donner une certaine consistance au slogan macronien du « et de droite et de gauche » en vue des prochaines législatives. Pour Natacha Polonyi, le choix de l’ancien Maire du Havre ressemblerait à un aveu de faiblesse. Un choix qui résulterait d’une impossibilité à redéfinir en profondeur le clivage droite-gauche. Un pari difficile, car sans majorité à l’assemblée nationale, les projets du nouveau président, et notamment sa réforme du Code du travail par ordonnances, qu’il entend faire passer dès cet été, pourraient être fragilisés. Du moins, on l’espère.

Véronique Valentino, le 22 mai 2017