L'AUTRE QUOTIDIEN

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La force de l'axe, par André Markowicz

La force de l'axe,
pour ne plus y revenir jusqu’au moment requis.

L’axe de notre vie politique, en France, c’est le FN. Toute notre vie tourne autour — pas que depuis le premier tour. Si Jean-Luc Mélenchon avait l’air tellement sombre, le soir des élections, et si Emmanuel Macron est arrivé en tête, c’est qu’il y a plein de gens qui auraient pu (ou dû) voter à gauche, c’est-à-dire Hamon ou Mélenchon, au premier tour et qui, consciemment, n’ont pas voté à gauche, pour la raison que si Mélenchon arrivait au second tour face à Marine Le Pen, il y avait des risques très forts qu’il soit battu, parce que jamais l’électorat de droite ne l’aurait choisi, lui. Marine Le Pen aurait pu l’emporter avec un taux d’abstention qui aurait frisé les 50% du corps électoral. Autour de moi, je connais bien dix personnes qui ont fait ça, voter Macron au premier tour pour ça — pas du tout pour Macron.

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Je pense que nous nous retrouvons exactement dans la situation d’avril 2002, mais avec deux circonstances aggravantes : d’abord, l’effondrement des deux partis de gouvernement, je veux dire leur dislocation (mais, pour ça, je ne voudrais pas m’avancer, du fait qu’il y aura les législatives, et que je pense que « les Républicains » auront tôt fait de se regrouper autour de quelqu’un dont l’éminence grise sera le deus ex-machina de l’histoire des emplois fictifs et des vestons) : ensuite, et surtout, le fait qu’entre 2002 et 2017, le FN a gagné quelque chose comme deux millions de voix, et que Marine est autrement plus dangereuse, électoralement parlant, que son père. —

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Je regarde la profession de foi de François Fillon, je regarde celle de Macron. En toute conscience, sincèrement, je n’y vois qu’une différence de degré : Fillon voulait faire 100 milliards de coupe dans les dépenses publiques ; Juppé, si je me souviens bien, 80 ; Macron — 60. Macron veut simplifier « drastiquement » le code du travail, rendre « la liberté aux entreprises ». Il veut « la mise en place d’un système universel des retraites », ce qui signifie, évidemment, la fin de ce qu’on appelle les régimes spéciaux. Il est un partisan de l’Europe de Juncker et de Merkel, un des soutiens fermes des TAFTA et autres traités du même genre. Bref, il est un libéral — avec une teinte légèrement humaniste, si vous voulez, un souci, en tout cas, exprimé, pour l’éducation (mais comment va-t-il investir « massivement » dans l’hôpital et dans l’éducation s’il sabre 60 milliards de dépenses publiques, je n’ai pas bien compris, et qu’appelle-t-il « la réorganisation de l’hôpital », je n’ai pas compris non plus). Et ce n’est pas pour rien qu’il a attiré à lui (ou qu’il est l’expression de) la tendance libérale du PS, celle, de fait, du maire de Lyon, ou de Jean-Yves Le Drian, le meilleur ami de l’Institut de Locarn, vrai centre de pouvoir, regroupant, en Bretagne, les patrons les plus puissants — Intermarché, Glon-Sanders, Le Duff, Pinault, Bolloré, et je ne sais combien d’autres.

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Dès lors, Macron est-il, pour moi, un adversaire ? Sans aucun doute. Autant que l’était Jacques Chirac en 2002.

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En 2002, je n’avais pas voté pour Chirac. Je m’étais dit que, de toute façon, Le Pen n’avait aucune chance.

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Je crois que Mélenchon s’est trouvé dans une situation de « double-bind », de « perdant-perdant ». S’il avait, tout de suite, appelé à voter Macron, il aurait fait la même chose que Fillon, c’est-à-dire qu’il se serait rangé parmi les partis politiques lessivés par la vague d’indignation qui s’est répandue dans le pays. Lui dont, je l’ai dit, le dessein semble de recomposer une force populaire qui rappelle celle du Parti Communiste de l’avant Programme Commun (et, certes, cette force, nous en avons besoin !), il ne pouvait pas se permettre ça. — Mais pouvait-il se permettre les arguments spécieux de ses adjoints sur l’absence de fiabilité des résultats annoncés, je ne le crois pas non plus. Que signifie en appeler à la « conscience » des électeurs ? Evidemment qu’on vote en conscience. Mais que faire si ma conscience m’appelle à m’abstenir au second tour ?

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On ne mesure pas le pouvoir de ce genre d’abstention. Quand bien même, vendredi, après un processus démocratique et tout et tout, il dirait qu’il appelle à soutenir Macron, le simple fait d’avoir laissé penser, ne fût-ce que pendant quelques jours, que l’un et l’autre des candidats se valaient laisse un sentiment de malaise profond.

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Parce que le FN de Marine Le Pen n’est pas, ne peut être un parti comme un autre : un parti qui soutient qu’il faut, en général, arrêter l’immigration, et fermer les frontières (pas seulement aux marchandises), un parti dont les électeurs parlent des étrangers comme de parasites et d’ennemis, et qui ose se proclamer « patriote », — ce n’est pas, ça ne peut pas être, bonnet blanc et blanc bonnet.

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Le fait est qu’à l’issue des élections, pour l’instant, la haine et la peur représentent plus ou moins 40% des Français. Et ça, c’est pour l’instant. Et va savoir ce qu’il en sera le 7 mai. Et je me souviens qu’on disait de Trump qu’il ne pouvait pas gagner les élections, que ce n’était pas possible. — De Trump, qui tweete qu’il soutient Marine Le Pen.

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Je voterai Macron. Pas pour, — encore une fois. Contre. Mais non, pas seulement contre. Pas même contre du tout, en fait. Pour. Ou plus exactement encore, « pour » autre chose. Parce que si, à force de ressentiment pour l’Europe des marchés, le FN arrive à obtenir la majorité, j’ai l’impression que mon travail, ma vie, seraient souillés. Et c’est mon axe à moi qui serait comme faussé.

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Un dernier mot : je lis (souvent, — pas toujours !) sur le fil d’actualité de FB et dans les commentaires de ma dernière chronique, une grande agressivité de la part de personnes qui, comme moi, ont voté Mélenchon. Cette agressivité, je pense qu’elle est mortifère. Si quelque chose m’avait séduit dans la campagne de Mélenchon (malgré toutes les réserves que j’ai exprimées), c’est son sourire, son ironie, et le sourire des gens qui l’écoutaient. Ne perdez pas ce sourire : sa perte nous perdra.

André Markowicz, le 25 avril 2017

Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses fameux posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime sur les "affaires du monde" et son travail de traducteur. Nous lui en sommes reconnaissants.