Un matin comme un autre (ou presque), par André Markowicz
Un matin comme un autre (ou presque)
Bon, moi, j’étais persuadé que ce serait pire. Je pensais que ce serait Le Pen/Fillon. Je ne sais pas pourquoi je pensais ça, — peut-être parce que je suis un optimiste convaincu, qui pense, le plus sincèrement qu’il peut, que le pire est toujours sûr, et qui, donc, finalement, ne vit, jusqu’à présent, que de bonne surprise en bonne surprise.
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On a l’impression qu’on a vécu un moment historique — un moment de rupture. Il y a eu l’effondrement, incroyable, du Parti Socialiste. Combien il a fait, 6 % ? Ce qui s’est passé, c’est vrai, c’est la fin du cycle qui a commencé à Epinay en 1971. Avec tous les caciques qui sont allés voir chez Macron, tranquilles peinards — je veux dire, sans même se faire exclure. Et puis, ce qui s’est passé chez les Républicains (quel nom, quand même, eux… )… Ce qui est arrivé à Fillon, à vrai dire, je n’arrive toujours pas à y croire. C’est vrai qu’il ne pouvait pas perdre, mais comment se fait-il qu’ils (les dits-républicains) l’aient laissé continuer, ou plutôt même, comment pouvaient-ils ne pas savoir qu’il était ce qu’il était, c’est-à-dire, disons, un escroc de petite envergure ? Et qui, parmi eux, a sorti ces affaires (j’allais dire, sans humour aucun, la veste qu’il s’est prise) ? — C’est « le mec » de Carla qui avait dit, non, en parlant de lui : « Il est mort de chez mort » ? Et malgré tout, moi, je me disais que ça n’aurait pas d’importance pour les gens, parce qu’il s’était montré droit dans ses bottes, et je me disais que le discours de Macron était tellement creux, tellement plein de vieux lieux communs sur le renouvellement et l’ouverture — ce qu’on entend depuis je ne sais pas combien de décennies — qu’il ne pourrait pas tenir. Mais bon, Macron est là, et Fillon n’est pas là. Et je suis très content que Fillon ne soit pas là.
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Il n’y a pas de quoi se réjouir, pourtant, parce qu’il y a cette réalité : Marine Le Pen au deuxième tour, avec sept millions six cent mille voix. Or, nous sommes soulagés, parce que nous savons qu’elle sera battue. Et nous vivrons dans un pays dans lequel elle pourrait faire, quoi ? 30-35 % au deuxième tour ? Combien y aura-t-il de « républicains » qui voteront pour elle ?...
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Moi, pour dire les choses, jusqu’au moment où je suis entré dans le bureau de vote, en faisant la queue, je ne savais pas pour qui j’allais voter. Je savais que ça ne servait à rien de voter Hamon — et il y avait plein de choses dans ce qu’il disait que je ne partage pas, et puis, quand même, il était du parti de notre président actuel, avec lequel je n’ai que peu d’atomes crochus, — parce que François Hollande est un représentant du libéralisme avec une teinte, disons, un petit peu plus sociale (essentiellement à cause de ses lois sur la régionalisation et son rôle dans l’affaire grecque). Je ne pouvais pas voter pour Mélenchon, pour plein de raisons — et la première était que je me disais que si Mélenchon arrivait au premier tour, réellement, là, Marine Le Pen aurait eu une chance. — Ce qui est la raison pour laquelle plein de gens autour de moi ont voté Macron dès le premier tour… Et puis, bien sûr, ses positions en politique étrangère. Ses histoires vénézuéliennes. Et je me disais aussi, si c’est Mélenchon qui passe, évidemment qu’il y aura le syndrome grec — c’est-à-dire que l’Allemagne et les forces de l’Europe libérale étoufferont, dans la catastrophe, toute velléité de changement. Et donc je me disais, depuis deux jours, je vote pour qui ? je vote pour qui ? je vote pour qui ? — et j’attendais le moment d’aller voter avec un nœud dans le ventre, comme, à l’école, on attend l’heure d’une interrogation qu’on n’a pas préparée, — et bon, allez, j’ai mis un bulletin « Mélenchon » dans l’enveloppe. Et, dites, à écouter la façon dont, pendant la soirée électorale, lui et ses partisans ont refusé d’appeler à voter Macron contre Marine Le Pen, en prétendant que les résultats n’étaient définitifs et toutes ces petitesses… et ce qu’il a dit, lui… déjà que je regrettais, mais alors, je regrette encore plus.
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D’un autre côté, que pouvait-il faire ?... Son idée, si je comprends bien, c’est de recréer un bloc de gauche qui fasse pendant au FN, et qui, finalement, lui soit comparable dans son intransigeance : aucune compromission avec « l’establishment ». Il s’agit, ni plus ni moins, de recréer le Parti Communiste des années, disons, 50-60, qui était un véritable mouvement populaire. Dès lors, s’il appelait tout de suite à voter Macron, là encore, il se sabordait tout de suite. Mais, en même temps, j’ai l’impression qu’il s’est sabordé en laissant penser que Macron et Marine Le Pen, c’était blanc bonnet et bonnet blanc. Parce que nous savons que, non, ce n’est pas vrai. Le FN ne peut pas, ne doit pas, être un « adversaire politique » comme les autres. Le FN au pouvoir, c’est la mort.
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Il n’y a eu, je crois, aucune rupture.
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Qui a gagné aujourd’hui ? Sarkozy, bien sûr, parce qu’il a sabordé la candidature de Juppé, au nom du « après moi le déluge ». Et puis Hollande (qui n’est personne). Pour, sans lui, faire comme d’habitude, mais juste sans les partis, parce que, depuis très longtemps, les partis ne servent plus à rien. Lui, personnellement, ou un autre, ça n’a aucune d’importance. Les partis ne servent à rien, parce qu’il y a pas le choix, nous dit-on : toujours la même politique économique, la même disparition du secteur public, — le même, comment appeler ça ? consensus du « rassemblement » pour le marché. Les mêmes mots. Ni droite ni gauche. Au moins, ça, ce sera dit : Macron n’a jamais prétendu qu’il était de gauche — c’est déjà un progrès. Lui, il ne nous a pas menti sur la couleur.
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Je suis resté écouter son discours. Je me suis rendu compte que je ne l’avais jamais entendu parler un peu longuement : je n’avais pas écouté ses émissions politiques. Et là, il m’est arrivé quelque chose d’étrange : j’ai été pris d’un sentiment de honte physique, comme si j’étais témoin d’une scène pathétique et ridicule, et comme si j’étais moi-même touché par le ridicule. Le discours « rassembleur », mais interminable, évangélique et sirupeux, de Macron, qui a voulu, vainement, faire applaudir tous les candidats (sauf Marine Le Pen, — encore heureux !) au nom, je ne sais pas de quoi, de l’intérêt commun ? — ses phrases avec des pauses pour se faire applaudir (et les gens, ses partisans pourtant, n’applaudissaient que peu), ça m’a fait une impression telle que j’ai fermé la fenêtre de mon ordinateur. Je ne pouvais plus regarder. J’avais trop honte. Ce n’était pas rationnel, c’était juste ça : juste trop honte. On en est arrivés quand même mais vraiment très très bas, si c’est ce genre de discours qui va nous gouverner — et nous devons dire merci que ce ne soit pas pire.
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Parce que, — et les législatives ? Quel est son poids législatif, à Macron ? Et celui de Mélenchon ? Et celui de Marine Le Pen ? Et si, dès à présent, on commençait une « cohabitation » ?.... Là, pour l’instant, — ça va.