Madame Laila - Carnet Tangérois 1, par Candice Nguyen
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Et nous, nous aimons la vie autant que possible. Nous dansons entre deux martyrs. Entre eux, nous érigeons pour les violettes un minaret ou des palmiers. Nous aimons la vie autant que possible. Nous volons un fil au vers à soie pour tisser notre ciel et clôturer cet exode. Nous ouvrons la porte du jardin pour que le jasmin inonde les routes comme une belle journée. Nous aimons la vie autant que possible. Là où nous résidons, nous semons des plantes luxuriantes et nous récoltons des tués. Nous soufflons dans la flûte la couleur du lointain, lointain, et nous dessinons un hennissement sur la poussière du passage. Nous écrivons nos noms pierre par pierre. Ô éclair, éclaire pour nous la nuit, éclaire un peu. Nous aimons la vie autant que possible.
— Mahmoud Darwich, Plus rares sont les roses, "Nous aimons la vie autant que possible"
Madame Laila, c’est ainsi qu’elle se présente la première fois à moi en notant dans mon petit carnet noir ce nom tel quel avec un numéro de téléphone. tu n’auras pas besoin de prendre un hôtel la prochaine fois. viens à la maison, tu es la bienvenue chez moi. viennent se rajouter en bas de ses coordonnées le nom d’une place à visiter écrit en arabe et sa transcription en français, Marara Herkal (elle me dessine alors la carte de l’Afrique, ne retrouvant plus le mot « afrique » dans sa mémoire, me pointe l’emplacement du Maroc et de l’Égypte de son doigt et me dit : c’est ça que tu verras là-bas).
je note à mon tour le nom de quelques villes situées dans un périmètre de 100 km à la ronde où je pourrais éventuellement me rendre au cours de mon séjour.Tetouan, Asilah, Chefchaouen. Chefchaouen évoqué la semaine dernière à Marseille par A. avec qui j’avais passé un mois de navigation le long de la côte ouest groenlandaise l’an passé et qui m’en a vendu les attraits – pas que pour sa réputation liée au chichon.
Laila, on s’est rencontrées dans l’avion. je n’avais pas dormi (ou très peu, une heure et demi ou deux heures au max) et l’heure matinale de mon vol tapait sur mon crâne et mes paupières. assise côté hublot dans une rangée de trois, Laila prit place à côté de moi accompagnée d’une petite en bas âge qu’elle installa entre nous deux. je tentais de rattraper un semblant de nuit avant d’arriver à Tanger mais c’était sans compter les petits pieds de la minuscule Jahida qui vinrent en maintes reprises me réveiller. la troisième fois, je proposai à Laila d’échanger nos places pour que la petite se retrouve côté hublot et moi côté couloir afin de pouvoir dormir enfin un peu (beaucoup abusé de mon capital santé ces derniers jours, le corps ne sait pas se raconter des histoires contrairement à la tête qui y parvient très bien). finalement, nous nous mîmes à discuter quasiment tout le trajet, de sa famille, de son travail, du Sud la France et de Tanger, et c’est ainsi que je revis Laila tout mon séjour tangérois.
L’avion posé, j’aide Laila à se dépatouiller d’avec ses bagages, poussette et petite sous le bras. une pluie drue achève de refermer mes yeux sur le tarmac. passée la douane, alors que j’allais prendre un taxi, Laila me retient, mon mari va t’emmener jusqu’au centre-ville, ne dépense pas de sous pour rien. et c’est ainsi qu’Hamid fit son apparition, les yeux rieurs, la bonhomie et la gestuelle maladroite et heureuse fortement communicatives.
Nous montons dans son kangoo et déposons d’abord Laila et la petite chez eux, ils habitent non loin de l’aéroport. Laila en profite pour me donner une miche de pain marocain tout juste achetée à la boulangerie du coin (bon bon d'accord je prends). j’attends Hamid dans la voiture le temps qu’il l’aide à monter tous les bagages poussette et enfant dans leur appartement et me dis que ce pays a un sens de l’accueil assez rare et que putain que ça fait du bien au cœur. je pleure de rage et de honte à la pensée de mon pays et de notre vieille et rance Europe. mon projet initié en Arctique autour de cette quête permanente de lumière trouve ses échos en chacun des pavés que je foule et semble de façon alarmante être devenu le fond quotidien dans lequel j’essaie tant bien que mal de rajouter simplement au jour le jour qui est. Hamid remonte dans la voiture et m’accompagne alors jusqu’au centre de Tanger dans le quartier de Nejma où j’ai loué un appartement à quelques mètres de l’eau.
à suivre
Candice Nguyen
Notre chroniqueuse de l'ailleurs Candice Nguyen a quitté Paris sur un coup de tête pour Marseille où elle vit et travaille depuis 2008 dans l’éditorial et la communication digitale. Partage son temps entre la mer, les routes et l’aide à la diffusion d’artistes, à travers notamment la revue de photographie et d’arts PLATEFORM Magazine et son journal en ligne. Elle est en charge des chroniques pour L'Autre Quotidien.