L'AUTRE QUOTIDIEN

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Halte aux entraves à l'accès aux territoires français et européen, par l'Anafé

Au moment où le monde connaît un triste record de nombre de déplacés (65,3 millions en 2016 selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés), l'impératif de protection de populations persécutées, opprimées, massacrées ou affamées doit prévaloir sur les logiques sécuritaires, de contrôle des flux migratoires et les discours de peur. Pour ce faire, il est urgent d'entamer une réforme courageuse, solidaire et humaniste de l'accès au territoire français et européen.

Chaque année, l'Anafé constate que le contrôle des flux migratoires bafoue les principes d'accueil et de protection des étrangers, en particulier des personnes les plus vulnérables.

L'actualité est, à cet égard, tristement frappante. L'année 2016 a vu la multiplication des entraves pour les personnes qui cherchaient à entrer sur le territoire européen : édification de murs (65 murs déjà construits ou en projet sur l'équivalent de 40 000 km de frontières : Espagne-Maroc, Macédoine-Grèce, Bulgarie-Turquie, Hongrie-Serbie-Croatie...), militarisation des frontières extérieures (surveillance de la mer Egée par l'OTAN, envoi de bateaux militaires européens en Méditerranée...), arsenal pour détecter les personnes migrantes (radars mobiles, détecteurs de vision nocturne, détecteurs de battements cardiaques...), ouverture de hotspots (centres de détention et de tri de personnes migrantes pour savoir qui aura le droit d'entrer eu Europe et éventuellement bénéficier d'un statut de réfugié, et qui sera expulsé), refus de délivrer des visas, maintien des visas de transit aéroportuaires, rétablissement des frontières internes françaises... Autant d'obstacles aux migrations, de routes barrées pour celles et ceux qui fuient leur pays à la recherche d'une protection internationale ou de meilleurs lendemains ou encore qui cherchent simplement à visiter la France, avant d'avoir été contraints d'y renoncer au nom du prétendu « risque migratoire » qu'ils  représentent.

L'accès au territoire français et européen est devenu si entravé que, alors que le nombre de personnes déplacées dans le monde ne cesse d’augmenter, les dernières années enregistrent une diminution notoire des demandes d’asile déposées à la frontière française (-91 % de 2001 à 2015) et une baisse du nombre de personnes maintenues en zone d’attente (-47 % de 2005 à 2015). Dans le même laps de temps, le nombre de renvois immédiats, dès le refus d'entrer au moment du franchissement des frontières, est resté très élevé. En 2015, sur 16 162 personnes qui se sont vu refuser l’entrée sur le territoire, 45 % ont été renvoyées immédiatement, parmi lesquelles de potentiels demandeurs d’asile, sans examen préalable de leur situation.

Les réformes législatives du droit des étrangers de 2015 et 2016 n’ont apporté que des changements mineurs en ce qui concerne les procédures à la frontière. Malgré d’importantes victoires de l’Anafé (base légale au maintien des étrangers en zone d’attente en 1992, accès des associations en zone d’attente en 1995, droit d’accès permanent de l’Anafé en zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en 2004, recours suspensif pour les demandeurs d’asile en 2007), les zones d'attente sont et demeurent des espaces de sous-droit et d'opacité.

Tout ou presque est encore à conquérir pour garantir le respect des droits fondamentaux des personnes qui tentent d'entrer sur les territoires français et européen.

Les entraves en amont à l'accès au territoire européen doivent être stoppées

La baisse constante et préoccupante des arrivées s’explique largement par les difficultés à atteindre l’Europe, par le durcissement des politiques migratoires européennes et françaises et par la multiplication et développement des entraves aux migrations.

Des  mesures ont été prises pour empêcher des étrangers de quitter leurs pays et/ou d’accéder au territoire européen par des voies dites « régulières » et ainsi les obligeant à emprunter des routes toujours plus dangereuses. Certaines de ces mesures sont à supprimer en urgence :

  • Les visas de transit aéroportuaire, attentatoires au droit d’asile ;
  • Le dispositif des officiers de liaison européens, qui contribue à la logique de renforcement des contrôles migratoires et participe de la banalisation de la notion de « risque migratoire », notion clef du contrôle des frontières, pourtant sans réel cadre légal et conduisant à des décisions discriminatoires, voire arbitraires ;
  • Les amendes imposées aux compagnies de transport, devenues de fait des agents externalisés des contrôles frontaliers.

Il doit être mis fin immédiatement à l'enfermement des mineurs en zone d'attente

Chaque année, plusieurs centaines de mineurs isolés et plusieurs dizaines de familles sont privées de liberté pendant plusieurs heures ou plusieurs jours dans les zones d'attente françaises.

« Il n’existe aucune circonstance dans laquelle la détention d’un enfant du fait de son statut de migrant, qu’il soit isolé ou accompagné de sa famille, pourrait être décidée dans son intérêt supérieur. La suppression totale de la détention des migrants mineurs devrait être une priorité pour tous les États », a rappelé, le 31 janvier 2017, le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.

Là encore l'impératif de protection et de respect des engagements internationaux doit prévaloir : il doit être mis fin à l'enfermement de tous les mineurs, qu'ils soient isolés ou accompagnés, demandeurs d'asile ou non.

Une permanence d'avocats gratuite pour toutes les personnes maintenues en zone d'attente doit être ouverte

Aucune assistance juridique gratuite et systématique n'est prévue en zone d'attente. Dans un contexte de privation de liberté, d'urgence induite par des procédures accélérées et complexes, cette absence entraîne de graves entraves aux droits de la défense et au droit à un recours effectif. Une permanence gratuite d'avocats et un accès automatique aux services d'un interprète doivent être instaurés afin d'assurer un accompagnement juridique de toutes les personnes maintenues en zone d'attente.

L'accès au juge doit être garanti à toutes les personnes privées de liberté en zone d'attente

L'enfermement en zone d'attente et l'urgence du risque de renvoi imposent des garanties juridiques aux personnes concernées contre les risques de violation des droits fondamentaux.

Le juge des libertés et de la détention doit intervenir au bout de 48 heures de maintien en zone d'attente.

Il doit être mis en place un recours suspensif et effectif pour toutes les personnes maintenues.

Le projet, en cours, de délocalisation des audiences du Tribunal de grande instance de Bobigny aux pieds du tarmac de l’aéroport de Roissy doit être abandonné afin de garantir la publicité, l'indépendance et l'impartialité de la justice.

Il faut supprimer le régime dérogatoire applicable en outre-mer

Sous couvert d’un « afflux massif » d’étrangers et d’une « pression migratoire importante », le droit applicable aux étrangers en outre-mer et particulièrement à Mayotte fait l’objet de dérogations sans équivalent dans les autres départements : enfermement et renvoi des mineurs isolés étrangers, absence de recours suspensif contre les décisions d’éloignement, refus d’enregistrement de demandes d’asile, traitement accéléré des procédures…

Les outre-mer sont des territoires de la République. L'égalité réelle doit donc être instaurée pour tous et vis-à-vis de tous les services administratifs de l'Etat.

Il faut assurer l’accueil des demandeurs d’asile et des mineurs isolés étrangers à la frontière franco-italienne

La pratique de la fermeture des frontières internes au gré de craintes sécuritaires a connu de multiples résurgences. Sur le terrain, le réseau de l'Anafé a constaté et dénoncé la multiplication des contrôles frontaliers discriminatoires, les refoulements de mineurs isolés et de potentiels demandeurs d’asile, la violation manifeste des règles du code frontières Schengen, mais aussi du droit d’asile, des atteintes à plusieurs libertés fondamentales, et l’herméticité de la frontière de façon parfois violente. Ces situations entraînent des conditions de vie alarmantes et dégradantes.

Les demandeurs d'asile se présentant à la frontière franco-italienne doivent pouvoir faire enregistrer leur demande.

Les mineurs isolés qui se présentent à cette frontière doivent être pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance.

Une réforme ambitieuse de la procédure applicable en zone d'attente, et notamment en matière d'asile à la frontière, doit être envisagée par les futurs gouvernement et Parlements dans un souci de respect des conventions internationales et des droits fondamentaux de celles et ceux qui tentent de franchir les frontières françaises et européennes.

Alexandre Moreau (président de l'Anafé)

  • L'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) est née en 1989, dans un contexte de renforcement des contrôles aux frontières et de restriction des conditions d'accès au territoire européen qui sévit à la fin des années 80, d'un cri d'alerte sur les situations inadmissibles, sur les violations manifestes des droits fondamentaux des personnes bloquées aux frontières aéroportuaires. C'est donc le refus et la dénonciation de ces situations inacceptables engendrées par des politiques migratoires restrictives qui est à l'origine de l'Anafé. Et depuis bientôt 30 ans, l'Anafé n'a eu de cesse de défendre les personnes privées de liberté aux frontières françaises et européenne et de dénoncer toutes les lacunes du droit, toutes les violations des droits humains existantes et persistantes dans les zones d'attente. Depuis 30 ans, l'Anafé est donc un témoin direct des conséquences terribles des politiques migratoires françaises et européennes.

Un réfugié syrien porte un enfant après avoir traversé la Méditerranée dans un bateau gonflable depuis les côtes turques, sur l'île de Lesbos, en Grèce, le 7 septembre 2015. - Petros Giannakouris/AP/SIPA