L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le ciel de Turquie s'est assombri de menaces et de mauvais présages, par Tieri Briet

« Si je mens, je vais en enfer. » Hrant Dink se répétait cette phrase chaque fois qu'il devait prendre la parole en public. Il a été assassiné d'une balle dans le dos, le 19 janvier 2007 et dix ans après, son fantôme continue de hanter la Turquie qui ressemble à l'enfer où règnent maintenant, sans partage, le mensonge et la violence.

Comment imaginer une seule seconde que l'Etat qui a empêché les partisans du «Non» de s'exprimer dans la rue, dans les médias, puisse accepter la victoire du «Non»dans les urnes ? Les irrégularités et les tricheries ont été racontées par les observateurs, mais un référendum organisé dans la terreur n'est simplement pas capable d'exprimer la voix des peuples appelés à voter.

« Nous ne pouvons être libres qu'ensemble.» Cette affirmation, que Hrant Dink a répétée plus d'une fois dans ses articles et ses prises de parole, vient d'être niée par à peu près la moitié des électeurs turcs. Leur vote de soumission à un seul autocrate dit aussi et surtout qu'ils ne veulent pas être libres avec les Arméniens, les Kurdes et les Syriaques.

D'un seul coup ce dimanche, le ciel de Turquie s'est assombri de menaces et de mauvais présages. L'image de Valia Nicoltzeff nous en fait prendre conscience. Regardez devant vous, ces nuées de spectres hantent les cieux tourmentés de la pauvre Anatolie. Ceux des journalistes assassinés, dont les voix ont continué d'alerter à travers les écrits de leurs confrères emprisonnés.

Dans Hamlet, l'Etat pourri du Danemark est hanté par un spectre, celui du vieux monarque assassiné. Dans le Manifeste du parti communiste, la première phrase de Karl Marx semble un écho de Shakespeare : « Un spectre hante l'Europe - le spectre du communisme.» En 2017, quels sont les spectres qui hantent l'Etat pourri de la Turquie ? Ils sont nombreux, et leurs visages sont impossibles à oublier.

Chaque samedi midi, en plein cœur d'Istanbul, des vieillards brandissent les photographies de ces visages, qui étaient leurs enfants. L'armée des fantômes des journalistes assassinés qui écrivaient pour le journal Özgür Gündem. Hrant Dink est devenu le général de l'armée des morts d'une balle dans le dos. Leurs noms, leurs visages et leurs écrits forment ce ciel sombre et sans espoir au-dessus d'un pays devenu carcéral, qui a voté pour accorder à son bourreau le droit d'assassiner encore et encore.

Tieri Briet, le 18 avril 2017

[photographie © Valia Nicoltzeff]

Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il grandit à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet vit aujourd'hui à Arles, au milieu d'une famille rom de Roumanie dont il partage la vie et le travail. Il a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu veilleur de nuit pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Père de six enfants et amoureux d'une journaliste scientifique, il écrit pour la revue Ballast, Kedistan et L'Autre Quotidien, et voyage comme un va-nu-pieds avec un cahier rouge à travers la Bosnie, le Kosovo et la Grèce pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ». 

Blog perso : Un cahier rouge