Jeux de massacre, par André Markowicz
Je n’ai rien dit de la campagne présidentielle, parce que je ne sais pas quoi dire, sinon de constater, comme chacun, le jeu de massacre qui se déroule sous nos yeux.
Il y a les ignominies mesquines, j’allais presque dire naïves, de Fillon, mais accompagnées de phrases comme « La France est plus grande que nous », ou « Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen ? », qui résonnent comme des sarcasmes sur la France même quand elles sont prononcées par quelqu’un qui ne voit pas de problème à se faire offrir des costumes qui valent plus de deux fois le revenu annuel moyen des Français (20.600 euros) et faire payer à son épouse un poste de « conseiller » de rédaction d’une revue sans que le directeur de ladite revue en soit visiblement au courant — un poste, donc, qui rapporte, si j’ai bien compris, 100.000 euros, c’est-à-dire, pour reprendre une expression de Jacques Brel, « pour ces gens-là », « peanuts ». — Et, naturellement, je ne parle pas ici des options politiques de Fillon, et du soutien sans faille qu’il apporte à Poutine, c’est-à-dire que, de plus en plus, on se rapproche d’une campagne à la Trump. Et c’est là que je m’inquiète vraiment, parce que, toutes les ignominies proférées par Trump pendant la campagne, toutes les casseroles, de milliards et de milliards de dollars, qu’il traînait derrière lui, et son statut, évident, de marionnette de Poutine, tout cela ne l’a pas empêché de se faire élire. Je n’ai pas la prétention de penser que les Français soient, dans l’ensemble, moins abrutis, ou moins aigris, que les Américains.
Et j’ai d’autant moins de raisons de penser que ces saletés puissent l’empêcher d’être élu que Marine Le Pen a toujours transformé ses propres casseroles en poêles Tefal, comme le chef de la mafia, John Gotti, qu’on avait appelé « Don Teflon », parce que les accusations glissaient sur lui sans laisser de trace (mais Gotti a quand même fini en prison à vie, lui, ce qui ne veut pas dire que la mafia de New-York ait perdu quoi que ce soit de sa puissance). Et la transformation de la casserole en poêle teflon est évidemment le calcul de Fillon — calcul fondé sur un principe essentiel de la vie politique des démocraties occidentales depuis déjà assez longtemps, « sortez le sortant ».
La haine du système, toujours croissante, qui justifie cette maxime explique aussi, sans doute, la raison pour laquelle les sondages se trompent aujourd’hui systématiquement : les gens, si ça se trouve, ils mentent aux sondeurs, parce que les sondeurs eux-mêmes sont considérés comme faisant partie du système. Et donc, nous verrons bien qui gagnera. Si Fillon n’est pas au deuxième tour, là, oui, ce sera un événement.
En même temps, ce qui se passe sous nos yeux, c’est la disparition du Parti Socialiste, c’est-à-dire la fin d’un processus de, finalement, cinquante ans, depuis Mitterrand et le congrès d’Epinay.
Je préfère Macron à Fillon, ai-je besoin de le dire ?... Mais quoi ? Macron, c’est un libéralisme sans trop de thatcherisme — ce qui est mieux qu’un libéralisme avec beaucoup de thatcherisme—, c’est Hollande et Le Drian sans la gauche, si tant est que ces deux-là ait jamais porté les valeurs de la gauche…
Et justement, la gauche… C’est là, pour moi, qu’est le jeu de massacre essentiel, du fait que Mélenchon et Hamon ne sont pas arrivés à se réunir. Mais comment auraient-ils pu ? Hamon, élu par les primaires, ne pouvait pas s’effacer, non ? Et Mélenchon, visiblement, ne le pouvait pas non plus. Du coup, l’idée n’est-elle pas de voir lequel des deux se fera le plus démolir au premier tour, pour essayer, ensuite, de construire un nouveau parti de gauche, et savoir qui le dirigera — la gauche des socialistes d’aujourd’hui ou ce qui reste du reste de la gauche ?
Et ce qui restera de ces restes pourra-t-il, un jour, même lointain, construire une alternative viable ?...
André Markowicz
Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses fameux posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime sur les "affaires du monde" et son travail de traducteur. Nous lui en sommes reconnaissants.