L'AUTRE QUOTIDIEN

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Procès Saboundjian : le policier reconnu coupable

Au terme d’une procédure qui aura duré cinq ans, le policier qui avait tué un homme d’une balle dans le dos en avril 2012 a été reconnu coupable par la Cour d’appel de Paris. Il a été condamné à cinq ans de prison avec sursis et à une interdiction de port d’arme de la même durée. Une condamnation saluée comme une victoire par la famille et les soutiens.

« Cinq ans, ça nous a pris cinq ans pour en arriver à cette condamnation somme toute symbolique ». C’est par ces mots que Amal Bentounsi a salué vendredi dernier le verdict de la cour d’appel de Paris, après l’annonce de la condamnation du policier qui avait abattu son frère d’une balle dans le dos à Noisy-le-Sec (Seine Saint-Denis), en avril 2012. La fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine », devenue une icône de la lutte contre les violences policières, a rappelé les « cinq ans de cris pour se faire entendre des médias, des politiques, de la justice » et pour faire admettre que son frère « ne méritait pas d’être abattu comme un chien ». Au terme de six heures de délibération, les jurés ont déclaré Damien Saboundjian coupable de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, par personne dépositaire de l’autorité publique ». Il encourait une peine de 20 ans de réclusion criminelle, mais le jury, qui a récusé la thèse de la légitime défense, s’en est tenu au réquisitoire de l’avocat général. Ce dernier avait réclamé une peine de cinq ans de prison avec sursis -le maximum pour une peine sursitaire- et cinq ans d’interdiction de port d’armes.

Un policier sûr de son bon droit

Tout au long de ce procès hors normes le président de la Cour et l’avocat général n’ont pas ménagé leur peine pour placer Damien Saboundjian devant les contradictions et les invraisemblances de sa version des faits. Lui, Saboundjian, ne comprend pas qu’il soit jugé aux assises. Il n’a fait que son travail et rappelle souvent qu’il a failli mourir. Mais le procès a mis en lumière les nombreuses irrégularités commises par le policier et ses collègues : faux témoignage, petits arrangements entre amis -ce que le procureur qualifiera de « concertation frauduleuse »-, manipulation de la scène de crime, pressions sur les témoins mais aussi sur les enquêteurs de l’Inspection générale des services (IGS), qui dans cette affaire aura fait preuve d’une remarquable honnêteté. Lors des écoutes ordonnées par les enquêteurs, qui suspectent une entente entre policiers, Saboundjian apparaît tellement sûr de lui, qu’il déclarera même à l’un de ses interlocuteurs : « ils ont osé toucher non seulement à un flic, mais en plus à un syndicaliste policier, ce qu’il ne faut jamais faire ». Et ne contredira pas cet autre qui lui explique que « quand l’administration est avec toi, tu sais qu’il y a du pouvoir, des politiques, des gens là-haut qui nous protègent de la justice ». Il est vrai qu’à ce moment-là, Saboundjian, qui se voit déjà brigadier, a déjà été reçu par le préfet de Seine Saint-Denis, Christian Lambert, un proche de Sarkozy. Lequel lui a promis le maintien de son salaire, la prise en charge des frais de justice et une mutation en région grenobloise, dont il est originaire.

Un excès de zèle meurtrier

Défendu par Me Merchat, lui-même ancien policier, l’accusé aura soutenu jusqu’au bout qu’il avait agi en état de légitime défense, lorsqu’il a tué d’une balle dans le dos Amine Bentounsi, ex-détenu en cavale, âgé de 28 ans. Invité à conclure, il répète que l’ex-détenu l’a braqué et qu’il a tiré. L’affaire remonte au 21 avril 2012. Damien Saboundjian et ses collègues du commissariat de Noisy-le-Sec prennent en chasse Amine Bentounsi, qui a fui un contrôle d’identité. Le jeune homme, originaire de Meaux, n’avait pas réintégré sa cellule à Châteaudun, après un refus de sa demande de liberté conditionnelle et se cachait dans cette ville de Seine Saint-Denis depuis de nombreux mois. Alors que ses collègues poursuivent le jeune homme à pied, Damien Saboundjian tente de le prendre en tenaille avec son véhicule. Il descend du fourgon de police, se lance à la poursuite de Bentounsi et tire plusieurs coups de feu. L’un des tirs atteindra le véhicule de l’un des témoins présents, un homme parti faire ses courses. Un autre blessera grièvement au dos Amine Bentounsi, qui tombe face contre terre et décèdera dans la nuit. Très vite, l’affaire va prendre une dimension éminemment politique.

Présomption de légitime défense

Ce 21 avril 2012, nous sommes à la veille du premier tour de l’élection présidentielle.

Le 25 avril, Damien Saboundjian, qui est aussi le délégué du syndicat Unité SGP Police FO, est mis en examen pour homicide volontaire. Les policiers manifestent sur les Champs-Elysées et dans plusieurs villes de France. Dès le lendemain, Nicolas Sarkozy promet aux policiers d’accorder aux membres des forces de l’ordre la « présomption de légitime défense » qu’ils réclament, mesure empruntée au FN. Le gardien de la paix auteur du tir mortel sera finalement inculpé en 2014 pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Jugé aux assises de Bobigny, il est acquitté le 16 janvier 2016. Les jurés ont retenu la légitime défense. Car une fois informé que Amine Bentounsi était touché au dos, Saboundjian soutiendra non seulement que ce dernier l’a braqué avec son arme, mais aussi qu’il s’est retourné au dernier moment. Une version des faits contredite par les témoins, l’angle des tirs et l’emplacement des douilles... Version que le policier est seul à défendre avec l’un de ses collègues, qui reconnaîtra finalement avoir menti. Le passé judiciaire de la victime a sans doute contribué aussi à l’acquittement du gardien de la paix. C’est cette image du délinquant chevronné tué en mission par un policier héroïque que les avocats et les proches vont s’attacher à déconstruire.

Les violences policières à la barre

Lors du procès en appel qui débute le 6 mars dernier, Amal Bentounsi aura tenté de faire revivre la figure de ce petit frère qu’elle avait pris sous son aile. Un adolescent que son placement en détention dans le quartier des mineurs de Fleury-Mérogis à l’âge de 13 ans avait psychologiquement détruit. Mais aussi un jeune homme généreux et révolté par l’injustice, qui connaissait par cœur la chanson « Hexagone » de Renaud, véritable réquisitoire contre un pays gangréné par la haine et la bêtise. Les parties civiles et la défense auront réussi en partie à faire de ce procès celui des violences policières. Plusieurs sociologues spécialistes des quartiers populaires se sont succédés à la barre. Comme Michel Kokoref, rappelant que les policiers qui sont en service dans les banlieues ont comme principal outil le contrôle d’identité, inefficace en termes de lutte contre la délinquance, mais qui alimente la violence, l’humiliation et le sentiment d’injustice des jeunes. Nacira Guénif-Souilamas parlera d’une « justice à deux vitesses », d’une « violence de la police sans commune mesure avec les faits qui sème le désordre dans l’esprit des administrés » et d’un homme « mort plus pour ce qu’il était plus que pour ce qu’il avait fait ». Des proches de victimes de la police, comme Wissam El Yamni, interpellé la nuit de la Saint Sylvestre 2011 et décédé après neuf jours de coma et Ali Ziri, un retraité de 69 ans mort étouffé dans un commissariat d’Argenteuil, décriront les techniques des policiers pour « criminaliser les victimes ».

Une réforme de la légitime défense concédée aux policiers

On retiendra de ce procès la rigueur du président de la Cour et du représentant du ministère public qui n’ont pas hésité à secouer des experts incapables d’expliquer les invraisemblances et inexactitudes, mais soutenant malgré tout que la scène avait pu se passer comme Damien Saboundjian l’avait décrite. Au terme de son réquisitoire, l’avocat général, après avoir rappelé que le scénario défendu par le policier contredisait « tous les témoignages et les constatations matérielles », a dénoncé un « tir de panique », et non de riposte, une « faute professionnelle » qui ne peut pas relever de la légitime défense au sens pénal. Aura ainsi plané sur les débats, l’ombre de la loi sur la sécurité publique, promulguée le 28 février dernier, qui réforme la légitime défense des policiers et facilite l’usage des armes. L’avocat de la défense, Maître Merchat en aura profité pour rappeler que désormais, la simple menace légitime l’ouverture du feu, mais sans convaincre, face à un avocat général qui n’a pas lâché sur la nécessaire concomitance de la riposte et sa stricte proportionnalité. Sans doute aurait-il été plus difficile pour un jury de condamner Saboundjian si cette nouvelle loi avait été en vigueur. D’où l’importance symbolique de ce verdict.

Un combat qui fédère bien au-delà des quartiers populaires

Après six heures de délibéré, la décision du jury a été accueilli par des cris et des larmes de joie. La centaine de personnes qui s’était réunie a improvisé une manifestation aux cris de « Justice pour Amine » ou encore « Damien coupable, Amal en est capable ». Amal Bentounsi, qui a créé le collectif « Urgence notre police assassine » après la mort de son frère Amine, a salué cette victoire qu’elle a dédié à toutes les autres victimes de crimes policiers. Victoire qui a semblé incertaine jusqu’au bout, sachant que les condamnations de policiers sont rarissimes. Selon Bastamag, « sur un échantillon de 180 personnes décédées au cours d’une opération de police, environ un tiers des affaires sont classées sans suite, une trentaine débouchent sur un non-lieu, et une dizaine sur des relaxes ». Soit plus de la moitié des affaires, note le site d’information. Avant de rappeler qu’on « relève moins de dix condamnations à de la prison ferme ». La condamnation de Damien Saboundjian devrait être définitivement actée, sachant que son avocat a annoncé qu’il n’y aurait pas de pourvoi en cassation. La présence de nombreux jeunes (et moins jeunes) issus de l’immigration, mais aussi celle de militants ayant combattu la loi travail, et parfois les deux en même temps, montre que la lutte contre les violences policières fédère bien au-delà des seuls quartiers populaires. Une « marche pour la justice et la dignité » aura lieu dimanche prochain 19 mars à Paris. Elle sera l’occasion de vérifier que la mobilisation contre les violences policières a franchi un cap important.

Véronique Valentino