L'AUTRE QUOTIDIEN

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Nous massacrerons les révoltes logiques ! par Christian Perrot

Dire qu'on en sait trop pour son propre bien est une pensée qui nous effleure souvent. L'actualité nous tombe dessus. Et comme elle a souvent la douceur d'un pilier de rugby, bonjour les dégâts ! La diffusion moderne de l'information condamne les média chauds à occuper le temps d'antenne en bavardant sur ce dont ils ne savent rien de plus que tout le monde, et les derniers média froids - les quotidiens imprimés - à répéter ce que nous savons tous déjà depuis la veille. Ce feuilleton essaie de trouver d'autres distances face à l'actualité. 

Manifestation du 8 mars 2017 à Paris

Il y a des jours où "on se demande". 

Alors on ouvre un livre : "Le monde entrait dans une époque où la destruction ne trouverait bientôt plus d'obstacle, parce que plus personne ne trouverait rentable de s'opposer à ce qui détruit. Ainsi la destruction suivrait-elle son cours, en se cachant de moins en moins, et sans plus rencontrer aucune limite; et il n'existerait plus rien de bon pour s'opposer à ce qui est mal, mais seulement du mal - partout.
Yannick Haenel : Jan Karski.
Et on est triste, bien sûr.

62 % des Français de 18 à 35 ans se disent prêts à "participer à un grand mouvement de révolte dans les prochains mois". C'est le résultat d'une enquête menée par le centre de recherches de Sciences Politiques. 

Et cela ne nous étonne pas du tout. Chaque jour qui passe donne plus de raisons de se révolter contre une société qui n'est plus conçue que pour le bénéfice et à l'usage des riches. Même les chauffeurs d'Über se révoltent, c'est dire ! Il ne leur aura fallu qu'un an pour comprendre le néo-capitalisme, qui fait passer l'abolition du salariat pour une revendication situationniste, et se voir à leur tour traités de "casseurs" et menacer de la prison par la multinationale américaine. Frédéric Lordon avait donné son sentiment sur le bilan de Nuit Debout, du mouvement contre la loi Travaille, les média, l'État et le capitalisme dans un entretien avec Bondy Blog. Voici, à partir du sien, le nôtre.

"Avec Nuit Debout, le feu n'a pas pris", le titre retenu, nous fait tiquer un peu, et ne reflète pas grand chose (ou tout le contraire) du point de vue de Lordon, qui se contentait d'énoncer rapidement une évidence factuelle, et sur laquelle le pouvoir aurait tort de fonder trop d'espoir ("il s’est peut être passé quelque chose dans les têtes dont nous ne pouvons pas encore mesurer tous les effets."). De ce qu'il dit, nous retenons plutôt deux points d'accord essentiels entre nous : 1. l'analyse de l'émergence du cortège de tête comme le point le plus porteur de promesses de ce printemps 2016. 2. la conscience qu'un "racisme institutionnel s’applique dans l’Hexagone", et que nous vivons dans une "société ravagée par deux violences d’échelle macroscopique : la violence sociale du capitalisme et la violence identitaire-raciste". 

Autrement dit, les "casseurs" et les "indigènes", ces grands réprouvés dont on ne veut pas même commencer à penser que le positionnement et l'action puissent être des faits politiques, ces "inconnus au bataillon" qu'une étiquette "vandale" ou "communautariste" permet d'évacuer comme sujets politiques, pour les classer dans les maboules ou les faits divers, méritent une attention d'un tout autre genre que celle des manchettes de journaux indignés et des éditoriaux moralistes à pincettes. Quand la colère devant le "viol involontaire" de Théo et la "mort inexpliquée" d'Adama Traoré aux mains des policiers et celle des cortèges de tête se rejoindront, - et nous en sommes, culturellement parlant, beaucoup plus près, à présent que la précarité est devenue le mode de vie de la jeunesse tout entière, que nous le fûmes jamais -, alors, c'est nuit et jour qu'on sera debout. Et refuser de le voir en face n'y changera rien. Voilà ce qu'il faut déjà faire l'effort de penser.

Christian Perrot