Les rassemblements anti-corruption ont-ils un avenir en France ? par Véronique Valentino
Samedi dernier, un nouveau rassemblement anti-corruption s’est tenu à Paris. Si l’affluence était relativement faible, ces rallyes anti-corruption témoignent que la volonté de transparence est devenue une thématique à part entière du débat pour les présidentielles. Le foisonnement d’initiatives dans ce domaine en témoigne. Nous avons essayé de savoir qui est derrière elles.
Cafouillage au niveau de l’organisation ? Lassitude face à une mobilisation qui reste floue sur ses objectifs ? Contrairement au rassemblement qui s’est tenu dimanche 19 février place de la République à Paris, à l’initiative de Vincent Galtier, photographe et de militants issu de la Nuit Debout, celui de samedi dernier n’a réuni qu’une centaine de personnes tout au plus. Pendant une bonne partie de l’après-midi, de nombreuses personnes ont pris la parole lors de cette assemblée générale, celle-ci étant totalement libre. Le mouvement anti-corruption français, qui aimerait avoir autant d’audience que celui qui a vu le jour en Roumanie, est très loin de rassembler autant de monde. Le rassemblement de samedi aura cependant permis de faire un peu l’inventaire des forces en présence.
Une initiative individuelle avec le soutien de Nuit Debout
Vincent Galtier, un photographe qui est à l'origine du rassemblement du dimanche 19 février, avait expliqué avoir lancé un appel à manifester sur Facebook, repris par 11 000 personnes, après la conférence de presse de François Fillon. De fait, ce sont les affaires en cours concernant le candidat de la droite et celles concernant Marine Le Pen, qui viennent après l’affaire Cahuzac et bien d’autres, qui ont donné naissance à de nombreuses pétitions et micro-organisations. Samedi dernier, on trouvait donc des militants ayant participé à Nuit Debout, des membres de la plateforme 2016, semble-t-il créée par d’anciens Lutte Ouvrière, mais aussi des membres de « A nous la démocratie », ainsi que Christophe Grébert, journaliste et bloggueur élu conseiller municipal à Puteaux (Hauts-de-Seine), après avoir ferraillé contre la corruption des élus de la ville.
Un foisonnement d’initiatives
Une diversité de mouvements dont les positions sont diverses et même pas toujours conciliables. Quoi de commun entre Nuit Debout https://nuitdebout.fr, mouvement souhaitant refonder la démocratie à la base qui récusent la notion même de leader ou porte-parole et se mobilisent pour la convergence des luttes, la plateforme 2016, qui dénonce « tous les élus corrompus par leurs liens avec les oligarques de la finance », Christophe Grébert, élu sans parti, mais soutenu par le MODEM et les Verts , les militants de « A nous la démocratie », mouvement qui entend présenter des candidats aux législatives pour « aérer la démocratie, insuffler un peu de fraîcheur dans les poumons d’une vie politique rabougrie, fertiliser une imagination collective desséchée par des gens de pouvoir ayant tout intérêt à nous tenir le plus loin possible de nos propres affaires » ? Il faut aussi citer Arnaud Ambroselli, candidat auto-proclamé dans la 18e circonscription de Paris (une partie du 18e et du 9e arrondissement), qui milite pour un « référendum d’initiative partagée pour la confiance en nos élus », basé sur l'article 11 de la Constitution.
Transparence dans l’utilisation des fonds publics
Il y a cependant des convergences. D’abord, tous se sont mobilisé à la suite de l’affaire Fillon et réclament le remboursement des sommes perçues dans le cadre des emplois fictifs. Deuxio, tous demandent à la fois plus de transparence en matière de conflits d’intérêt et d’utilisation de l’argent public mis à la disposition des élus, mais aussi l’inéligibilité des élus condamnés. A la tribune, beaucoup se sont exprimés pour dire leur écœurement après le vote à la sauvette, le 16 février dernier, d’un amendement sur la prescription des délits financiers. Amendement qui tendrait à prouver, selon eux, qu’il ne faut pas attendre des parlementaires des grands partis qu’ils réforment eux-mêmes les règles les concernant. Des positions a minima partagées par tous. La plupart ont aussi perdu toute confiance dans l’ensemble de la classe politique actuelle. Mais sur la stratégie à adopter et l’ampleur des changements à mettre en œuvre, tout les sépare.
Faire pression sur les candidats à la présidentielle
Les positions les plus structurées dans ce débat, sont sans doute celles de Christophe Grébert, qui possède déjà une expérience politique. Ce journaliste, qui a créé un blog pour dénoncer la corruption dans sa ville de Puteaux, souhaite faire passer une proposition de loi pour généraliser la publication des patrimoines des élus, leurs déclarations d’intérêts et pour rendre obligatoire une justification publique de l’utilisation des fonds mis à la disposition des élus. Ce conseiller municipal est l’auteur de deux pétitions. L’une demandant à Pénélope Fillon de restituer les 1,5 millions perçus illégalement, qui a récolté plus de 400 000 signatures . L’autre, intitulée « les bons comptes font les bons élus », qui en a pour l’instant recueilli 135 000 . Le même salue, comme un début de résultat, l’engagement de François Bayrou, qui conditionne son soutien à Emmanuel Macron, par un engagement sur une loi de « moralisation de la vie politique ». Il donne rendez-vous courant mars, car la plateforme de pétitions sur Internet change.org https://www.change.org, a, selon lui, retenu plusieurs pétitions particulièrement populaires, qui s’adressent aux principaux candidats à la présidentielle. Pour lui, la campagne présidentielle est l’occasion de faire pression sur la classe politique et explique que de petits groupes thématiques travaillent déjà sur des propositions concrètes.
Des candidats anti-corruption aux législatives
Quant à Arnaud Ambroselli, il pense que la lutte contre la corruption doit rassembler toutes les sensibilités politiques et cite, parmi ses influences, Anticor et Philippe Pascot, un ancien ex-adjoint de Manuel Valls à Evry, auteur de plusieurs livres qui dénoncent les abus des élus français . Lui aussi est pour le non-cumul des mandats, l’interdiction des conflits d’intérêts, mais aussi l’obligation de respecter le quorum pour le vote de toute loi. Il demande aussi qu’on exige un casier judiciaire vierge de la part de tout candidat à une élection. « Il n’est pas normal qu’on doive fournir un extrait de casier judiciaire pour devenir pompier, agent de sécurité, mais pour être élu et faire la loi », explique-t-il. Pour Marinette Valiergue, déléguée générale du micro-mouvement « A nous la démocratie », l’important est aussi de redonner toute sa place au citoyen dans l’élaboration des politiques publiques. Son mouvement présente six propositions pour assurer le renouvellement de la classe politique : limiter le cumul des mandats, y compris dans le temps, interdire le parachutage des élus, remplacer les sénateurs par des citoyens tirés au sort, créer un 49-4 pour obliger le gouvernement à démissionner s’il est mis en minorité lors du vote d’une loi, rendre plus facile le référendum d’initiative populaire et créer une cour de justice spéciale pour juger les élus. « A nous la démocratie » entend présenter des candidats aux législatives dans un certain nombre au moins de « circonscriptions démocratiquement défaillantes », avec, pour mandat impératif, de faire inscrire à l’agenda parlementaire leurs propositions.
Dépasser le clivage droite-gauche
Le point commun de ces trois-là est peut-être un fort tropisme centriste. En effet, ils pensent possible, une fois le ménage fait parmi les élus, de dégager des consensus sur des « politiques de raison », dépassant le clivage droite-gauche, puisque l’influence des lobbys serait limitée. L’autre point commun est aussi l’élitisme d’une démarche qui pourtant appelle à rapprocher les citoyens de la vie politique. Marinette Valiergue est une ex-experte de la Fondation Jean Jaurès, think tank proche du PS, Christophe Grébert est journaliste, Arnaud Ambroselli est un ex ingénieur chez Bouygues qui tente de « monter sa boîte ». Or, tous restent plutôt timides sur la nécessité d’ouvrir le débat à l’ensemble des classes sociales, notamment les classes populaires, qui sont celles qui s’abstiennent le plus. Par ailleurs, pour ce qui est d’Arnaud Ambroselli, si sa proposition d’exiger des élus un casier vierge semble être dictée par le bon sens, elle aboutirait, dans les faits, à écarter de la vie politique de nombreux jeunes qui ont eu maille à partir avec la justice. N’est-ce pas discriminant ? Le candidat aux législatives pense qu’il y a « des tas d’autres choses à faire dans la vie » que d’être candidat aux élections.
« Pousser les gens au cul pour qu’ils se bougent »
Un point de vue qui n’est pas totalement partagé par les anciens Nuit Debour qui se sont beaucoup mobilisés sur ces sujets. Patrick, aujourd’hui retraité, est intervenu samedi pour dénoncer la collusion entre la presse et le monde des affaires. Un enjeu démocratique important, une dizaine de milliardaires détenant la quasi-totalité des grands médias. Si l’on « refuse les conflits d’intérêts », il faut combattre cette « concentration des médias », explique-t-il. Lui aussi pense que, exiger des élus qu’ils soient honnêtes, est un minimum, que « la politique ne doit être ni métier ni une carrière », que les élus « sont là pour nous servir et non se servir ». Il explique participer à tous ces rassemblements pour « pousser les gens au cul [afin] qu’ils soient prêts à se bouger ». Le fait que certains soient là pour « trouver des supporters pour se faire élire et inscrire la lutte anti-corruption sur leur profession de foi » n’empêche pas, selon lui, certaines alliances, si c’est pour « imposer des réformes démocratiques ».
La lutte anti-corruption projet de société ?
Florent Corcelle de l’association Anticor se réjouit du foisonnement d’initiatives, même s’il confie, à titre personnel, que « la lutte contre la corruption et pour la transparence dans la vie politique , ne suffit sans doute pas à faire un projet de société pour une candidature aux législatives ou à la présidentielle ». Pour ce responsable parisien d’Anticor, association qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et qui a lancé de multiples batailles judiciaires , la mobilisation sur ce thème est « assez rare », mais s’amplifie. Présent samedi, il explique que, depuis deux mois et demi, de plus en plus de personnes contactent l’association. « Beaucoup de personnes prennent acte de la distorsion que la corruption amène dans la prise de bonnes décisions politiques et de la bonne utilisation des fonds publics », se réjouit le responsable parisien. En ajoutant que « les 2/3% de déficit après lesquels on court après depuis 40 ans, seraient faciles à combler si l’argent public était utilisé à bon escient ». Il déplore un « manque de clarté des candidats à la présidentielles » sur la corruption, avant de rendre hommage à François Ruffin, de Fakir, et à Nuit Debout, dont la forte présence sur les réseaux sociaux a permis de sensibiliser sur ce thème.
Véronique Valentino le 27 février 2017
Photo Lucie Bras