L'AUTRE QUOTIDIEN

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Opération Macron, par Yannis Youlountas

Jamais les mass-média français n’ont à ce point matraqué nos petites cervelles. À côté de ça, la campagne pour l’adoption du Traité Constitutionnel Européen en 2005, c’était peanuts — d’ailleurs, ça n’a pas marché. La propagande pour aller envahir l’Irak et je ne sais quelle autre région lointaine, c’était vintage, mou du genou, téléphoné. On en aurait même rigolé si des milliers de gosses n’étaient pas morts dans les ruines sous les frappes chirurgicales libératrices. Mais tout ça, c’était avant.

Nous voilà maintenant de plain-pied dans l’ère du message au millimètre, de la mise en scène huilée, du calendrier méticuleusement préparé, de l’orchestre symphonique des éditocrates et des chroniqueurs à l’unisson — excepté quelques dissonances tolérées pour donner l’apparence du pluralisme. Ce n’est plus un matraquage médiatique, c’est un bombardement publicitaire au napalm. Et cette opération a un nom : Macron.

« le petit Jésus de la finance descendu sur Terre pour expier nos pêchés »

Qui aurait cru, il y a quelques années, que ces médias à la botte, avec leurs grosses ficelles minables et leurs répétitions abrutissantes, parviendraient à nous vendre un nouveau venu en quelques mois, à peine sorti du chapeau, avec ses dents longues, ses amphétamines ras-la-gueule et sa coke ras-les-narines ? Qui aurait pu imaginer que le capital parviendrait à nous servir sur un plateau la caricature même de ce que les Français prétendent le plus détester : un énarque doublé d’un banquier d’affaire triplé d’un communicant politique ?

Macron, c’est tout ça à la fois : le fils prodigue du pouvoir, le petit Jésus de la finance descendu sur Terre pour expier nos pêchés, la petite voix à l’oreille des dirigeants politiques et économiques qui sort finalement de l’ombre pour venir nous parler directement en pleine lumière. Plus besoin d’intermédiaires. Le capitalisme décomplexé, libéral jusqu’à l’os, euphorique et sûr de lui, a choisi, cette fois, de nous la jouer brut de décoffrage : après la langue de bois, l’heure est à la langue de fer, et cette heure, c’est l’heure Macron.

« Hamon et Fillon sont les parfaits contrefeux de sa campagne »

Parachutés de chaque côté, par des primaires du PS et de la droite sous forte influence médiatique, Hamon et Fillon sont les parfaits contrefeux de sa campagne, positionnés aussi près que possible de ses principaux concurrents : Mélenchon et Le Pen.

Adoubé par Cambadélis et Valls en personne, le preux chevalier Hamon a carrément repris les armoiries du Mélenchon de 2012 : même couleurs du logo, cravate et veste à l’identique, copié-collé de phrases entières, racolage idéologique à grands renforts de mots valises et d’un vrai-faux rapprochement qui a fait pschitt.

Même chose de l’autre côté, avec un Fillon carrément positionné dans le jardin de Le Pen. Plus réac que moi, tu meurs ! Des sorties médiatiques à séduire les pires dévots de la Manif pour tous. Des petites phrases à susciter l’orgasme onaniste des plus chastes gardiennes de l’intégrisme catholique. Travail Famille Patrie versus 2017. Pétain, le retour.

« Le petit chéri du capital commence déjà à distribuer les portefeuilles »

Oui, mais cette petite musique de nuit (et brouillard) étant particulièrement à la mode dans la France de la seconde génération Le Pen, Fillon a dépassé les espérances des stratèges sans vraiment affaiblir sa cible. La copie Fillon n’a fait que renforcer l’original Le Pen, lui donnant, au contraire, une légitimité de plus.

Qu’à cela ne tienne, quelques jours après ce constat, la baudruche Fillon a été dégonflée illico presto par quelques petites affaires sous le coude. Et hop ! Quelques points de moins pour Fillon, dont une bonne partie reportée sur Jésus Macron. Du coup, en position de force, à nouveau favori dans les sondages fabriqués par ses soutiens, le petit chéri du capital commence déjà à distribuer les portefeuilles et à rallier les politicards en mal de gamelle.
— Et pour Monsieur Bayrou, qu’est-ce que ce sera ? L’éducation ou l’agriculture ? L’aile ou la cuisse ?
— Ce que vous voulez, mon cher Emmanuel, puissiez-vous me permettre de savourer à nouveau les joies du protocole, les délices du pouvoir et le salaire de la fonction.

Tout est prêt. La messe est dite. There is no alternative.

— Ce sera Macron et personne d’autre, nous répètent les éditocrates.
— A moins que Le Pen continue à monter, menacent certains.
— Pour éviter l’extrême-droite, il n’y a qu’un moyen : rassembler au centre, concluent-ils à l’unisson.

Bingo ! Revoilà la vieille rengaine du vote utile, dès le premier tour, pour faire barrage au sempiternel danger du parfait épouvantail. Si le FN n’existait pas, il faudrait l’inventer.

« Jésus Macron contre Judas Le Pen »

Les autres candidats n’existent plus. Poutou fait campagne devant son usine. Mélenchon crée son propre média sur youtube. Qu’importent la légitimité ouvrière du premier et le succès populaire du second qui a hissé son mouvement politique, France Insoumise, loin devant tous les partis traditionnels avec plus de 250 000 adhérents. Qu’importent également tous les autres, ici ou là. La télé et la presse ont déjà choisi : ce sera Jésus Macron contre Judas Le Pen. Un partage des rôles bien connu entre capitalisme et fascisme, les frères siamois du pouvoir, tellement utiles l’un pour l’autre.

Pendant ce temps, dans le silence médiatique, les mouvements de protestation se multiplient partout dans l’hexagone. Celles et ceux qui considèrent que la lutte est d’abord et avant tout dans la rue essaient de mettre le feu aux poudres et tentent de faire redescendre le débat dans la vraie vie : actions contre l’impunité policière, marche pour la justice et la dignité, blocus contre les violences d’État, journées de soutien aux inculpés, concerts pour les prisonniers, Perturbe ta Ville, Génération Ingouvernable, manifs, entartages, farine-party, émeutes, occupations, assemblées spontanées… Rien n’y fait ! Les mass-médias n’ont rien vu, rien entendu et ne diront rien. Malgré des centaines d’actions par semaine d’un bout à l’autre du pays, rien ne filtre à la télé, exceptés une poignée de vitres cassées et quelques gros plans sur des blessés triés sur le volet : policiers victimes de bavures révolutionnaires.

« Sommes-nous vraiment si stupides ? »

Quelles que soient les formes de résistance choisies par les uns ou les autres, au moyen d’une alternative électorale ou d’une abstention active, on entend la même petite voix qui nous répète que l’avenir est déjà tracé et que nous ferions mieux de retourner à de saines occupations plutôt que de perdre inutilement notre temps à lutter.

Février 2017 se termine. L’opération Macron bat son plein, avec ses ralliements, ses contrefeux et son épouvantail. Jusqu’à quand ?

Sommes-nous vraiment si stupides pour tomber par millions dans cet énorme panneau, ou bien le pouvoir, trop sûr de lui, va-t-il faire face à une grosse, très grosse surprise ?

Yannis Youlountas

Hélas, nous avons aujourd'hui 24 avril la réponse. Mais ce texte de Yannis Youlountas, qui affirmait fin février que pour les pouvoirs en place : "ce sera Jésus Macron contre Judas Le Pen. Un partage des rôles bien connu entre capitalisme et fascisme, les frères siamois du pouvoir, tellement utiles l’un pour l’autre.", est très éclairant, et mérite d'être relu. Deuxième tour, mode d'emploi.


Yannis Youlountas est l'auteur des films "Je lutte donc je suis" et "Ne vivons plus comme des esclaves". Vous pouvez le retrouver lors d'une des projections de ses films, qui tournent dans toute la France, sur la route de la Grèce où il organise plusieurs fois par an des convois d'aide humanitaire, à Exarcheia, Athènes, Paris, ou ailleurs où bat le coeur de la résistance. Et bien sûr le suivre sur son blog : YY.