L'AUTRE QUOTIDIEN

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Noor Inayat Khan, une résistante musulmane contre les nazis

NOOR INAYAT KHAN

Une plaque a été inaugurée fin août dans le quartier de Bloomsbury, au cœur de Londres, en mémoire de cette agente secrète envoyée en France en 1943 comme opératrice radio. 

Noor Inayat Khan fut une femme exceptionnelle. Elle était de fait exceptionnelle avant même de naître, vu qu'elle était née en Russie d'un père musulman de l'Inde et d'une mère chrétienne américaine. Le père, Inayat Khan, appartenait à une famille qui avait compté des sultans, mais il avait opté pour la musique et le soufisme. Devenu un professeur enseignant cette tradition mystique islamique qui cherche à amener les gens à la connaissance directe de Dieu, et non par la loi islamique, il avait visité la moitié du monde. Arrivé à San Francisco, l'une des participantes à ses conférences, Ora Ray Baker, demanda à être son élève. Elle était tombée amoureuse. Elle dut s'enfuir  pour épouser Inayat Khan, et changea son nom en Ameena Begum. Le couple vécut dans divers pays, dont la Russie, où leur fille vit le jour en 1914.

Ils vécurent ensuite à Londres et à Paris, où  l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale les surprit. Noor Inayat Khan était spécialisée dans l'écriture de contes pour enfants et était une femme moderne, fière de ses parents et pratiquant le soufisme. De fait, elle dirigeait un centre soufi en l'honneur de son père décédé. Elle participait à des émissions de radio pour les enfants, et s'était diplômée en psychologie et musique à la Sorbonne. La guerre brisait les meilleures années de sa vie. Et quand les troupes nazies fonçaient sur Paris, elle fuit vers le Royaume-Uni, à Londres, où elle avait de la famille.

Portrait non daté de Noor Inayat Khan jouant de la vînâ. NOOR INAYAT KHAN MEMORIAL TRUST / AFP

Le soufisme prêche le pacifisme, mais un tel conflit changeait tout. Noor et son frère Vilayat décident  de s'enrôler dans l'armée britannique pour combattre le fascisme. Vilayat expliquera qu'ils l'ont fait parce qu'ils considéraient le nazisme très dangereux et, en partie, pour démontrer aux Britanniques le courage des personnes ayant des racines en Inde. Noor se retrouve dans le Corps féminin auxiliaire de l'Armée de l'Air britannique, la RAF, où elle se spécialise dans la radio.

En 1942, son profil est découvert par des membres des services secrets britanniques, qui pensaient qu'elle avait un potentiel comme  espionne, elle savait utiliser une radio et parlait parfaitement français. Après des mois de formation, en juin 1943, on lui propose de faire partie du  groupe des trois femmes envoyées outre-Manche pour espionner avec une radio. "L'espérance de vie de cette mission est de six semaines", lui dit-on. Elle accepte.

Ce même mois de juin, elle saute en parachute dans le nord de la France, où elle contactée un membre de la résistance, Henri Déricourt, en compagnie de Diana Rowden et Cecily Lefort. Elles sont les trois premières espionnes britanniques en France. Dans les jours qui suivent, elles vont à Paris pour rejoindre un réseau dirigé par le professeur de physique Francis Suttill, qui était chargé de transmettre des informations aux Britanniques.

Mais juste au moment où elle arrive à Paris, la plupart des membres du réseau de Suttill sont découverts par les nazis. Rowden et Lefort sont capturées. Noor Inayat Khan se retrouve comme unique espionne britannique équipée d'une radio à Paris, confrontée au défi de transmettre des informations et de garder le contact avec la résistance française. Les nazis savaient qu'il restait un espion britannique, mais son bon français et son aspect exotique l'ont aidée. Normalement, on ne pouvait rester plus de dix minutes au même endroit à faire des transmissions radio pour éviter d'être détecté. Il fallait se déplacer dans une ville où les transports étaient particulièrement surveillés. De Londres on lui propose de rentrer, mais elle refuse.

Noor a été trahie. Les soupçons se portent sur Henri Déricourt, l'ancien pilote de l'armée de l'air française qui l'avait réceptionnée en France, ou sur Renée Garry, une espionne française à la solde des Britanniques : selon certaines sources, elle l'aurait vendue à la Gestapo parce que son amant, Franck Antelme, était tombé amoureux de Noor. Le 13 octobre 1943, elle est arrêtée. Elle avait réussi à rester trois mois en action, bien plus que les six semaines pronostiquées par ses chefs.

Pendant quatre semaines, Noor Inayat Khan est interrogée et torturée au siège de la Gestapo sur l'avenue Foch à Paris. Les documents relatifs à l'affaire ont montré qu'elle n'a pas donné d'informations aux Allemands, et que quand elle disait quelque chose, c'était des mensonges pour confondre l'ennemi. Mais les nazis réussirent à déchiffrer certains de ses codes, et pendant quelques semaines, ils se firent passer pour elle, envoyant des messages à Londres qui provoqueront l'arrestation de trois autres agents.

Irréductible, Noor parvient à s'évader de la prison en profitant d'un bombardement allié, mais elle est à nouveau capturée et envoyée dans une prison de haute sécurité en Allemagne, où elle passe dix mois enchaînée à l'isolement, sans contact avec d'autres prisonniers. En 1944, elle est transférée au camp de la mort de Dachau, où elle est exécutée avec trois autres agents britanniques. Selon un prisonnier néerlandais chargé de transporter les corps au crématorium après les exécutions, le dernier mot de Noor avant de recevoir la salve, a été Liberté, en français. Elle sera décorée des plus hautes distinctions de l'armée britannique.

Mais son nom avait été un peu oublié. Ce n’est plus le cas. L'historien Shrabani Basu, spécialisé dans la communauté indienne au Royaume-Uni, avait lancé la campagne pour obtenir un monument  à sa mémoire. La communauté indienne s'y est jointe et le projet a pu être réalisé. "La prochaine fois que quelqu'un doutera d'une femme comme vous, rappelez-lui Noor", a déclaré la princesse Anne un groupe de femmes indiennes venues assister à l'inauguration de son buste, à Gordon Square à Londres, le 8 novembre 2012.

Timbre postal émis par Royal Mall en 2014

Toni Padilla 
Traduit par
 Fausto Giudice


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