Emploi non salarié : déjà la fin du boom ?
On nous décrit un boom du travail indépendant, mais en 2014, la France comptait 2,8 millions de travailleurs non-salariés, soit un emploi sur dix. C'est moitié moins que dans les années 1970. Parmi ces travailleurs indépendants, la situation des auto-entrepreneurs (rebaptisés micro-entrepreneurs) est critique : ils ont gagné en moyenne 410 euros par mois et seul un sur dix perçoit l'équivalent du SMIC.
Le débat public aurait-il encore un métro de retard ? Alors que l’« ubérisation de l’emploi 1 » ne cesse d’être mise en avant, cela fait déjà quatre ans que l’emploi non salarié ne progresse plus, selon les données de l’Insee. Depuis 2013 en effet, la part de l’emploi non salarié dans l’emploi total stagne autour de 10 %, son niveau du milieu des années 1990. Le travail à la tâche ne constitue pas forcément un nouvel Eldorado de l’emploi.
Il est vrai qu’on a assisté en France au début des années 2000 à un changement de taille : la part des non-salariés a alors stoppé son déclin et a même légèrement augmenté, passant de 8,8 % à 10,4 % entre 2003 et 2013. L’équivalent de + 500 000 emplois. Une inversion de tendance historique car leur part de salariés n’avait cessé de baisser depuis des décennies. Rien qu’entre 1970 et la fin des années 1990, le pourcentage d’indépendants a été divisé par deux, de 20 % à 10 % sous l’effet notamment du déclin de l’emploi agricole, puis du petit commerce. Des machines ont supplanté nombre d’emplois des champs, des bataillons de vendeurs salariés ont remplacé les gérants de magasins avec la croissance des supers et des hypermarchés.
La hausse du nombre de non-salariés à la fin des années 2000 a en partie été alimentée par la création du statut d’auto-entrepreneur en 2008 qui occupait 670 000 2 personnes fin 2016 selon l’Accoss. Très peu vivent de ce statut : la moitié des auto-entrepreneurs perçoit moins de 240 euros mensuels, seul un sur dix le niveau du Smic (1 100 euros), selon les données 2014 de l’Insee. Souvent, il ne s’agit que d’une activité complémentaire et, pour partie, ces auto-entrepreneurs concurrencent d’autres non-salariés, les artisans.
L’augmentation du nombre d’indépendants est aussi le fruit de facteurs plus structurels. En période de crise, payer le personnel à la tâche assure une flexibilité maximale de la production recherchée dans certains secteurs, du bâtiment aux services. On assiste surtout à un plafonnement du salariat. Cette forme d’organisation peut en effet difficilement occuper 100 % des emplois : l’entreprise structurée n’a pas forcément vocation à encadrer tous les métiers, du maçon à l’architecte. Il restera toujours des activités marchandes réalisées à la tâche : l’arrêt du processus de salarisation était inévitable.
La reprise de l’emploi à partir de la mi 2015 a vite enrayé la hausse du nombre d’indépendants. Peut-on parler de fin de partie pour l’ubérisation ? Au-delà des déboires de l’entreprise elle-même 3, le salariat constitue un cadre structuré plus protecteur pour les employeurs en période de croissance car il fidélise les employés. Le paiement à la tâche est loin d’être optimum, pour ceux qui en vivent comme en termes d’organisation du travail. Ce qui n’empêche que pour les activités les plus qualifiées ou très spécifiques, le non-salariat peut être une façon de valoriser un savoir-faire et de jouir de plus d’autonomie. Au final, il est possible que le taux de non-salariés oscillera à l’avenir autour de 10 % dans les décennies qui viennent : l’amélioration de la protection sociale des 2,7 millions d’indépendants reste un sujet important.
Centre d'observation de la société, le 4 décembre 2017
Notes:
- Développement de l’emploi sous forme de travail à la tâche pour une plateforme de service. ↩
- Ceux qui ont effectivement une activité économique. Les auto-entrepreneurs ont été rebaptisés micro-entrepreneurs depuis. ↩
- Voir « Il est très possible qu’Uber ne soit plus là dans cinq ans », Entretien avec Steven Hill, Le Monde, 23 novembre 2017.
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