Grèce : bataille contre les ventes aux enchères
Depuis quatre ans, en Grèce, le mouvement Den Plirono (Je ne paie pas) mène la lutte contre les ventes aux enchères de biens saisis par les banques auprès de familles et petits entrepreneurs. Une véritable guérilla contre ces procédures qui ont lieu chaque mercredi dans les tribunaux des villes grecques et qui s'est notamment traduite mercredi dernier, à Athènes, par une bataille rangée entre MAT (CRS) et militants. Une correspondance de Constant Kaïmakis.
La Grèce est depuis 2011, le laboratoire en Europe des politiques libérales. Elle est aussi le lieu où s'inventent de nouvelles formes de résistance à ces politiques et des alternatives sociales pour y faire face. La lutte du mouvement Den Plirono (Je ne paie pas), qui mobilise contre les ventes aux enchères des biens saisis de familles ou de petits entrepreneurs en faillite, en est un exemple. Depuis quelques semaines, les autorités tentent de mettre en place un système de ventes aux enchères électroniques pour mettre en ligne directement ces ventes afin d’empêcher toute mobilisation. Car le Mouvement Den Plirono mène depuis 4 ans, une véritable guérilla contre ces procédures qui ont lieu chaque mercredi dans les tribunaux des grandes villes grecques. L’association des notaires d'Athènes [en Grèce, ce sont les notaires qui remplissent le rôle des commissaires-priseurs ndlr], emmenée par le funeste Georges Rouskas, président du conseil notarial hellénique, essaie de traduire devant les tribunaux la volonté des banques de vendre ces biens saisis auprès des familles populaires insolvables. Ce sont souvent leurs résidences principales dont ils ne peuvent plus payer les traites qui sont ainsi saisies.
Or, l'affrontement entre militants qui s'opposent à ces ventes de biens immobiliers à l'initiative des banques et les autorités grecques qui se sont engagées auprès de la troïka à les mener à bien a débouché sur des affrontements violents. Mercredi 29 novembre après midi, un nouveau pas a été franchi par le pouvoir dans la répression du mouvement citoyen qui s’oppose à ces ventes. Une bataille rangée d’une rare violence a opposé manifestants et MAT (CRS) dans l’enceinte du tribunal d’Athènes où devaient avoir lieu les ventes. La police anti-émeute a usé de gaz chimiques, de matraquages violents, faisant plusieurs blessés dont l’ancien maire de Kaissariani , Thanasis Bartsokas, victime de graves problèmes respiratoires, qui a dû être évacué à l’hôpital ainsi que le leader du Mouvement Den Plirono, Leonidas Papadopoulos, blessé à la tête et aux bras.
Dès le début de l’après-midi, les membres des collectifs citoyens qui s'opposent à ces ventes, du syndicat PAME, du KKE, de l'Unité populaire, du mouvement « Je ne paie pas » ou encore du mouvement « Trajet de Liberté » s’étaient rassemblés devant le Tribunal à Athènes. Les incidents ont commencé lorsque des membres du mouvement « Je ne paie pas » ont forcé le passage protégé par la police afin d'entrer dans la salle d'audience et d'annuler les enchères. Jusque tard dans la nuit, l'espace, à l'intérieur et à l'extérieur de la cour du comté d'Athènes, était sous haute sécurité. Les ventes aux enchères prévues ont du être annulées en raison de l’atmosphère suffocante créée par les gaz chimiques au sein de la cour du comté. Les manifestants refusant que les notaires quittent l'immeuble, ceux-ci ont du être escortés par les escadrons de la police anti-émeute.
Une première victoire stratégique pour le mouvement avait été remportée début novembre : l’association des notaires d’Athènes avait décidé de ne pas participer aux ventes aux enchères jusqu’au 31 décembre, suivie par les neuf associations de notaires du pays. Mais immédiatement, le responsable de la Société Newsphone, qui doit gérer la plateforme électronique, a pris contact avec Georges Rouskas et ses sbires pour contrecarrer cette décision. Le mouvement a alors porté plainte auprès de la justice grecque et obtenu une convocation de Georges Rouskas devant la justice. Or, cette mise en ligne des ventes aux enchères est l'une condition posée par l'Eurogroup dans le troisième plan d'ajustement structurel pour la Grèce, commencé en août 2015 et qui se poursuivra jusqu'en 2018.
Le gouvernement a donc immédiatement pris des mesures pour protéger les notaires qui conduiraient des ventes. De son côté Georges Rouskas, de mèche avec Kontonis, de Newsphone, a convoqué une nouvelle réunion des avocats du club notarial d’Athènes, à la mi-novembre, sans aucun respect pour leur précédent vote. Le mouvement Den Plirono a produit des documents prouvant le caractère partisan de cette procédure engagée par la mafia Rouskas-Kontonis avec l’appui du gouvernement Syriza. Le mouvement Den Plirono s’est alors adressé aux notaires afin qu’ils respectent leur décision de ne pas participer aux ventes aux enchères immobilières.
Le jeudi 23 novembre, une mobilisation citoyenne exemplaire a eu lieu à l’occasion de l'assemblée générale extraordinaire convoquée par Georges Rouskas, avec l’appui du pouvoir et des banquiers, pour décider de la prise en main de la plate-forme électronique de vente aux enchères en ligne. Elle a siégé sous la protection des MAT ( CRS).
Mercredi 27 novembre, 63 ventes aux enchères à Athènes, dont 60 au tribunal et trois ventes électroniques, devaient avoir lieu. Selon le journal Katherimini : "Aujourd’hui ce sera le premier test grandeur nature du système électronique. Si le fonctionnement est concluant, il marquera la migration progressive de toute vente vers la plate-forme d'enchères en ligne afin, selon les estimations de notaires, de pouvoir réaliser 70% des ventes aux enchères par voie électronique à partir de mars 2018.
"Ce sera un peu comme eBay", peste Victor Tsiafoutis, un avocat qui soutient les personnes endettées pour l'association de consommateurs Ekpizo. "Tout est fait pour faciliter les saisies... Tout est fait pour les banques", ajoute-t-il (source AFP et la Dépêche du midi). La future plateforme électronique, conçue avec des experts de l'UE et du FMI, "profitera surtout aux fonds et aux investisseurs étrangers, étant donné qu'il n'y a pas de liquidités en Grèce", pronostique Me Tsiafoutis.
Certes, pour l'instant, ces ventes aux enchères ne concernent que les biens ayant une valeur supérieure à 300 000 euros. Dans un premier temps, les banques s'étaient montrées prudentes et ne se sont pas précipitées pour mettre en vente les biens immobiliers liés à des crédits impayés, car elles savent bien que "dans un pays à l'économie paralysée, les biens saisis auraient eu du mal à trouver preneur". Mais elles ont été encouragées à se débarrasser de leurs créances douteuses par les créanciers du pays (banque centrale européenne, commission européenne, fonds monétaire international).
Les banques ont jusqu'à 2019 pour réduire leurs créances douteuses, qui représenteraient un tiers à la moitié de leur bilan. Et, si les autorités grecques ont fixé un plancher de valeur pour les biens d'habitation principale pouvant être vendus aux enchères, il ne s'agit que d'une mesure qui court jusqu'en 2018.
Constant Kaïmakis
Constant Kaïmakis est membre du collectif gardois SoliGrecs, collectif citoyen, solidaire de la résistance du peuple grec contre l'austérité économique.