"Ils ont oublié ce que c’est qu’être Juif…", par Michel Warschawski
Ce n’est pas la première fois que j’utilise cette citation de Benjamin Netanyahou comme titre de mon post, et, à partir d’aujourd’hui, j’en ferai le titre de toutes mes chroniques qui traiteront des décisions du gouvernement et de la Knesset qui contredisent la culture juive – ou plutôt les cultures juives – à travers les générations.
Je ne crois pas à l’existence d’une seule culture juive, de même que je ne crois pas à une seule culture musulmane ou européenne ou chinoise : au cours des millénaires, on trouve dans ces cultures tout et son contraire, le meilleur et le pire. Je crois par contre à ce que j’appellerais une « expérience juive européenne » vieille de deux millénaires et faite essentiellement d’exclusion, de racisme et de persécutions. J’insiste : juive-européenne : les croisades, l’inquisition, l’Affaire Dreyfus et le judéocide nazi n’ont pas été le fait de la culture musulmane, et dans les pays arabes la minorité juive n’a rien connu de similaire. N’en déplaise a Benjamin Netanyahou, Adolf Hitler n’avait pas besoin des conseils du Mufti de Jérusalem pour planifier et mettre en œuvre la solution finale, et c’est le Sultan du Maroc Sidi Mohammed (plus tard le roi Mohammed V) qui s’opposa a ce que ses sujets juifs portent l’étoile jaune, pas le roi Léopold de Belgique ou la Reine Juliana de Hollande. Le génocide des Juifs d’Europe est 100% « made in Europe », produit de près de deux millénaires de civilisation chrétienne.
Ladite « civilisation judéo-chrétienne » est une mystification raciste, et comme le disait Jeannette Mandouze, mon extraordinaire professeure de lettres classiques et courageuse résistante antinazie, un trait d’union vient souvent exclure un tiers : judéo-chrétien exclut les musulmans de ladite civilisation. Or le trait d’union entre judéo et chrétien de quoi a-t-il était fait durant près de deux mille ans ? De sang. Si on veut parler d’une civilisation dans laquelle les Juifs ont été une composante essentielle et légitime, parlons des quatre siècles d’Andalousie, sommet de la civilisation occidentale médiévale, ou encore de la civilisation irakienne jusqu’à ce que le sionisme vienne pourrir les relations judéo-musulmanes dans ce pays… Rien à voir avec l’existence juive en Europe, où les moments de calme et d’harmonie relative sont l’exception et non la règle, et ce jusqu’au vingtième siècle compris.
Ce n’est donc pas un hasard si la place des Juifs dans les mouvements d’émancipation européens a été si importante, en particulier dans les mouvements socialistes : leur situation de parias les poussait en première ligne des combats pour les droits et la justice. C’est quand ils ont rencontré la souveraineté nationale, une souveraine fondée sur la dépossession et l’expulsion des autochtones, qu’ils sont devenus « comme tous les peuples » [revendication des Hébreux à l’époque biblique, que les Prophètes détestaient], ou plutôt comme tous les peuples colonialistes. Ni meilleurs ni pires. C’est à ce moment qu’« ils ont oublié ce que c’est qu’être Juif ».
S’ils ne l’avaient pas oublié, ils n’auraient pas pu voter, et dans une procédure d’urgence [sic], la nouvelle loi sur l’« expulsion et la rétention des demandeurs d’asile ». Il s’agit d’une loi barbare qui enfreint le droit international et les conventions que l’Etat d’Israël avait ratifiées. C’est une loi qui crache sur l’histoire de nos grand-parents qui ont été si souvent des demandeurs d’asile après avoir été obligés de fuir les persécutions et autres pogromes. Benjamin Netanyahou et les 71 députés qui ont voté cette loi, ont une fois de plus oublié ce que c’est qu’être Juif. Oui, nous sommes devenus comme tous les peuples, comme les pires des nations.
Les conventions internationales exigent des Etats signataires de donner l’asile à ceux qui risquent leur vie dans leur pays d’origine. C’est certainement le cas des milliers de demandeurs d’asile qui sont venus d’Erythrée et du Darfour… avant qu’Israël ne construise un mur à sa frontière avec le désert du Sinaï. Dans une hypocrisie sans limites, Israël ne renvoie pas les demandeurs d’asile dans leurs pays d’origine, mais... en Ouganda et au Rwanda. Tous les Noirs se ressemblent, tous les Noirs sont fiers, non ?
Des centaines de témoignages de demandeurs d’asile expulsent dans ses pays concordent : en Ouganda et au Rwanda ce n’est pas la solidarité des habitants qui les attend, mais la haine et la répression, la violence et les viols. Ce qui renforce encore le discours raciste des dirigeants israéliens : si les Noirs traitent ainsi d’autres Noirs, pourquoi devrions-nous faire preuve de plus de considération ? A vomir.
A vomir encore plus quand on entend l’ancien président du parti travailliste, Yitshak Herzog, qui justifie son vote en faveur de la nouvelle loi par le fait que les « infiltrés » ont pris des emplois aux travailleurs arabes. A quoi le président de la Liste Arabe Unifiée, le député Aiman Odeh, lui a répondu que sur ce sujet également le parti travailliste n’est que la pâle copie de la droite, et que ce n’est pas en incitant l’une contre l’autre des communautés d’exclus qu’il convaincra qu’il représente une alternative.
Michel Warschawski
Michel Warschawski (Mikado) (né en 1949 à Strasbourg) est un journaliste et militant pacifiste d'extrême gauche israélien, cofondateur et président du Centre d'information alternative de Jérusalem et ancien président de la Ligue Communiste Révolutionnaire Marxiste israélienne. Anti-sioniste, il souhaite le remplacement d'Israël comme État juif par un État binational.