Fontaine, fontaine, j'ai adoré boire à ton eau (1)
Il y avait ce cul. Celui-là, pas un autre, ces rondeurs de pose qui avaient bien connu les séances de dessin des Beaux Arts. Un cul à mater et à prendre, un moment à lécher. Mais avant, elle avait ce visage anguleux, les pommettes en dedans comme retenues et ces yeux qui ne sortaient jamais de l'enfance. Et puis, aussi ce sourire par défaut. Ces maux-là qui restent dans l’indicible.
Des dents qui seules souriaient quand le plaisir montait, en happant ma bouche pour s’y trouver. Un instant de lucidité dans un monstre de solitude qui voulait la friction et l’émoi, le souffle mais pas moi… She aches just like a woman, but she breaks juste like a little Girl (Bob D. !)
Alors au plaisir, au désir, tout se voyait configuré pour arriver à une fin, la seule, l’explosion en fontaine. Les beaux jours. Les autres, seuls les murs tremblaient de ne pouvoir dire ce qu’il ressentaient. Bon d’accord, les voisins se plaignaient que tant d’émois arrivent dans leur chez soi. Longue diffusion de bruit dans les murs, au travers des planchers, avec les plinthes comme résonateurs. Là, pile-poil au cœur des choses, du vivant, plus aucun rythme ne tenait lieu de lieu. Seule la chaleur, le long glissement d’un même animal, en travaux pratiques de chimie organique, pour négocier le retard pris sur l’envie.
Mais avant, en corps et encore, le billet de 20€ roulé pour les narines à abréger la nuit. De passage, toujours pas sage, de fête en fête, de bar en transes, avant l’instant de la pause. Car, soudain une lumière s’allumait pleine et calme, au fond de ses yeux qui disaient viens. De deviner alors les lacets défaits en souriant, les fringues envolées plutôt qu’arrachées. La peau à peine touchée que déjà offerte, le V des jambes qui appelle la figure, le style et les manœuvres serpentines, le corps pieuvre emmêlé et la peau liquide.
Dans le ciel où le soleil se lève dans un grand froid, deux avions ont tiré des lignes, toutes roses à côté des nuages. Une belle griffure à l’azur. Progressivement, elles reviennent au blanc en suivant le staccato de la machine à café qui s’efface quand démarre le Run Right Back des Black Keys (jump the track, run right back… ) avec un son de fuzz distordu sur une rythmique élastique sortie d’un rêve de Marc Bolan. Juste à côté, tu t’étires dans la chambre, nappe de cheveux défaits et bras blanc qui se nouent et apprennent à tâtons mon échappée de sous la couette. Bientôt les croissants du petit matin, le thé et le café sur la table du salon. Avant que n’arrive ta fée sautée du lit pour avoir ses corn flakes et le rituel dvd des Schroumpfs sur le divan, après l'orange pressée. Une heure quinze de répit. Une heure d’amour plein des mouvements erratiques de ce qui a précédé et se recompose littéralement dans ton accueil immédiat, la porte fermée. Il fait grand faim ce matin, comme tous nos matins. Tes yeux sont entre révulsion et long discours à ce qui monte entre nous. Tes mots crus pour ne pas dire simplement l’univers parallèle où nous nous retrouvons par consentement mutuel…
Un autre jour, une balade pour une autre fois. Tes seins contre mon dos à zig-zaguer sur le périphe pour se rendre à une fête. Ton bassin calé contre le mien, gros kif dans l’abandon sur le revêtement disjoint. Quand, entre la Villette et Pantin juste à la sortie du virage, un gros con à portable change de file juste avant que je n’arrive à sa hauteur. Soudaine crispation derrière moi et immédiat changement de file acrobatique que l’autre ne voit même pas, happé par la file de gauche quand je décide de sortir là du périph. En fait, on ne va pas loin et ce sera plus cool en coupant par les Maréchaux et le square de la Butte Rouge.
A vrai dire, où choper l’intensité quand elle ne se manifeste que scotchée ? Danser ensemble, « Mof, je ne danse qu’avec Decouflé moi ! » répond la dame un sourire pointu aux lèvres ; autant pour la proximité… Lors d’un simple câlin – « Non mais ça va pas, ça veut dire quoi ! » En se tenant à quelle distance alors ? A la faire frissonner d’aise en lui faisant découvrir André Hardellet, du Seuil du Jardin à Lourdes, lentes… A la coller en lui remplissant son iPod avec quelques classiques, quelques Giga de classiques pour la durée. Un peu l’angoisse de la découverte au moment du pénalty, un peu j’efface quand c’est mou, mais bon quand même, un filet jazzy par-ci, une recollection sauvagement punk ailleurs avec les inévitables Gang of Four et Damaged Goods, dont je suis sûr que ce titre a été gravé pour nous « Sometimes I’m thinking that i love you, but i know it is only lust. Your kisses so sweet, your sweat so sour… » Ou encore le blues tordu de la petite junkie Karen Dalton, la Bessie Smith du folk new-yorkais, emportée par le sida et la poudre. On souffle sur les junkies et ils s’effritent. Pour les cockés, j’ai pas encore trouvé… sauf qu'ils portent souvent des Doc Marten's.
Connaissance par les gouffres soufflait Henri Michaux et je suis de cette obédience. Jusqu’où peut-on grimper avant d'être happé par un indicible qui ne vous appartient pas et vous colle un blues effroyable, un truc à défroisser les draps sans les toucher. Peut-être s'avouer que haut et bas c'est exactement pareil. Et peu importe la position quand on bat la mesure entre sueur et bonheur, dans un temps inarticulé dessus/dessous la couette.
Je n’arrive pas naïf dans cette histoire, bourlingueur qui a saigné sa part, rongé son pain et grignoté ses brioches, s’est révulsé dans la souffrance ; l’a vécu sans rien dire, jusqu’au jour où il a pressenti la lumière et s’est dit qu’il pouvait la mettre en partage. Genre, une lampe avec deux accumulateurs, ça éclaire un peu mieux et plus loin qu’une bougie 30 watts. Merde, heureusement que nos vies ont été sauvées par le rock’n’roll et Lou Reed, hein - sinon on ferait quoi ? On se rongerait les ongles de pied en regardant la téléfaction de Jean-Pierre Pernaud, avant de switcher sur l’inspecteur Derrick ! Par dépit, on regarde Dr House, le magicien acariâtre qui trouve par défaut ; le diagnosticien virtuose qui en sait trop et oublie tout pour revenir à l’intuition. On voudrait le monde moins ravage, plus sauvage d'autres attraits. Qu’il arrive à se dire, même sans mots, dans un regard affable, un coup d’œil qui pétille en mangeant des huîtres, en finissant le Chablis… Puis vint la douceur. " Je ne m'arrête plus quand je vois la folie, je fais ses commissions et couche dans son lit." ( Léo F.)
Au sortir du périphe, un café refuge pour une vodka sauvetage. Casques enlevés, l’adrénaline persiste avec un rapprochement qui se propage d’une main sur la hanche, sur l’épaule. Communion. Merde, encore raté pour le plantage, encore à boire pour se trouver. Mes mots jouent avec ton silence. Te dire tu n’oses, alors tu me fais deviner où et comment chaque respiration se prolonge, chaque souffle se diffuse. A la question « et moi ? »… tu réponds « j’ai mon travail, ma fille et… toi ». Je ne vois pas comment tu te vis à l’extérieur de toi. Comme si j’étais posé en équilibre sur ton indicible, inexprimé qui te déprime. « Non, tu ne peux pas comprendre, je ne me comprends pas moi–même. Je sais juste que dès que cela va trop bien, que je commence à exister, mon mal me rattrape : cystite, insomnies, angoisses. J’ai besoin de sommeil, de m’oublier pour réinitialiser la bête. Alors, je rentre en stase pour faire le point, me retrouver. » Et hop le jonglage entre Lexomil et les tasses de thé Assam sous ta couette. Dès lors inaccessible…
(1/2 à suivre)
Jean-Pierre Simard le 14/12/2011