"Un toit, un droit" : les occupations solidaires d'étudiants et de migrants se multiplient
Tout a commencé à Lyon. Nantes, Grenoble ont suivi. Des étudiants occupent des locaux universitaires pour mettre à l'abri des migrants jusque là à la rue. Ils hébergent notamment des mineurs isolés étrangers, pour lesquels l'Etat ne respecte pas son obligation de les mettre en sécurité. Le défi : tenir malgré les menaces d'expulsion.
Article mis à jour le 13/12/2017 à 18h
Tout a commencé à Lyon. "A la suite des attaques du gouvernement contre les université et les sans-papiers, plusieurs étudiant.e.s de Lyon 2 et des expulsé.e.s de la Part Dieu ont occupé l’amphi C pendant la nuit du 15 novembre", écrit le site Rebellyon.info le 16 novembre. "Après avoir partagé une bouffe collective réunissant des étudiant.e.s et des demandeurs d’asile expulsés vendredi dernier de la Part-Dieu, nous avons débuté cette nuit du 15 novembre l’occupation de l’amphi C du campus de Lyon 2 Bron", expliquent les occupants. Ils sont écoeurés par les annonces du préfet qui explique faire le maximum pour accueillir les migrants, alors que "6 000 personnes dorment dans la rue, malgré les 23 000 logements libres sur Lyon et ses alentours". Le slogan "trouve-toi une occupation", commence à courir sur les bancs des facs de France.
A Lyon 2, sur le campus de Bron, s'organise la réquisition des locaux universitaires, "lieux qui devraient être libres, gratuits et accessibles à tous", "tandis que le gouvernement cherche à restreindre encore plus l’accès à l’université". Un esprit nouveau souffle sur les universités de l'hexagone, où chacun est invité à participer. "Tu veux faire un truc concret ? Apporte un peu de matos (ex : couverture, habits, jouets, jeux de société etc.) ou un petit plat à manger (OUUN GROS !)", enjoint le communiqué publié par Rebellyon.
Le 18 novembre, c'est Nantes qui reprend le flambeau. Deux jours auparavant, la manifestation contre les politiques libérales de Macron, qui a réuni syndicalistes, étudiants et lycéens, a été sauvagement réprimée par la police, faisant plusieurs blessés. Selon Nantes révoltée, une jeune nantaise a même dû être admise en réanimation, à la suite d'un choc septique, causé par un tir de LBD (lanceur de balles de défense en caoutchouc). Et un syndicaliste CGT a été gravement blessé par une grenade de désencerclement, avec une triple fracture et 30 jours d'ITT. En réponse, les solidarités s'organisent au-delà des clivages politiques et syndicaux.
Le samedi 18 novembre, des dizaines d'étudiants nantais et des jeunes migrants, occupent les locaux de l'ancienne école des Beaux-arts, située place Dulcie September, du nom d'une militante anti-apartheid sud-africaine, assassinée à Paris en 1988. Militants, étudiants et exilés font le constat que, comme l'écrit le collectif Nantes révoltée, "si les mots divisent, les actes unissent". Ils ont tout prévu : du matériel de couchage et de quoi nourrir tout le monde. Avec cette occupation, ils entendent dénoncer le défaut de prise en charge des mineurs isolés par les autorités du département. Insupportable, pour ces étudiants, la présence à la rue de ces jeunes exilés, alors que l'hiver s'installe.
Et cela au mépris des lois, puisque ceux-ci devraient relever de l'aide sociale à l'enfance et être hébergés comme tels. Selon la Ligue des droits de l'homme, citée par l'édition nantaise du quotidien gratuit 20 minutes, il y aurait 200 mineurs isolés qui dorment dehors ou dans des squats. Des squats bondés et menacés à chaque instant d'évacuation.
Dès le lendemain, l'ex-école des beaux-arts est évacuée par la police, sur demande de la maire PS de la ville, Johanna Roland, la municipalité étant propriétaire des lieux. Mais les occupants ne désarment pas et entreprennent quelques jours plus tard l'occupation de bâtiments de la fac de lettres, sur le campus du Tertre.
Le 22 novembre, Nantes révoltée annonce qu'après une assemblée générale ayant rassemblé deux cents personnes, plusieurs salles de cours sont occupées dans le bâtiment Censive, sur le campus du Tertre, pour héberger de jeunes migrants mineurs. "Nantes, ville "amie des enfants", ville socialiste dirigée par Johanna Rolland, ne respecte pas le droit en ne mettant pas à l'abri ces jeunes et pire, en expulsant les squats qui se créent pour les héberger et en envoyant la police les harceler", explique un communiqué de presse du 22 novembre. "Face à l'urgence de la situation, nous occupons ces salles pour faire face à la nécessité de l'hébergement mais aussi pour poursuivre l'envie des 'Univers Cité' de créer des espaces de solidarité et de partage entre étudiant.e.s et jeunes exilé.e.s".
Le 24 novembre, la page Facebook de Nantes révoltée annonce que "toute une aile au rez-de-chaussée du bâtiment Censive, à l'université de Nantes, est à présent occupée par des jeunes exilés et des étudiants". Alors que de plus en plus d'étudiant.e.s nantais.e.s se joignent à cette occupation, avec le soutien de nombreux syndicats et associations, la vie s'organise avec discussions, banquets, soirée festives. Le 26 novembre, les étudiant.e.s occupent en plus des locaux de la Censive, le château du Tertre, des locaux inoccupés qui appartiennent à l'université, dont la façade est barrée par une énorme banderole annonçant "A nous la vie de château". "Il y avait l'électricité, l'eau et la place, et c'est toujours moins dangereux que la rue", explique une jeune étudainte dans une vidéo mise en ligne le 29 novembre (voir vidéo plus haut). "Les étudiant-e-s, ainsi que des professeurs, se mobilisent pour loger, nourrir, proposer des cours, aux jeunes et avec eux", annonce Nantes Révoltée, le 30 novembre, alors qu'une soirée de concerts en soutien est prévue. Les militants de la ZAD de Notre Dame des Landes, investis dans la construction de nouvelles façons de vivre, sont aussi investis dans ces actions. "Sème ta ZAD". Le slogan inspire bien au-delà de la région nantaise.
A Poitiers, une occupation de la fac tourne court. Après avoir occupé un amphi de la fac de sciences le 30 novembre, les étudiants évacuent les locaux le lendemain. Le 4 décembre, c'est Grenoble qui prend la suite. L'amphi G, de l'université Grenoble Alpes, est investi par des associations pour mettre à l'abri une centaine de jeunes exilé.e.s. Puis un bâtiment non utilisé sur le campus, le Patio, qui est également occupé, pour rendre à nouveau disponible l'amphithéâtre occupé tout en mettant à l'abri les personnes", explique un communiqué publié sur la page Facebook créée pour l'occasion, nommée "le patio solidaire". Le lieu présente un avantage inouï : il est inoccupé mais encore chauffé. Une chance pour la soixantaine de personnes qui y vivent, avec le soutien de très nombreuses organisations : la Tambrouille, la Patate chaude, Front social, Dal 38, RUSF, Cisem, Ada, Cimade, Médecins du Monde, Amnesty international, France insoumise, Solidaires étudiants, CNT, Unef, NPA Jeunes…
A Lyon, Grenoble, Nantes, l'objectif est le même : tenir face aux menaces d'expulsions mais aussi contre les attaques de l'extrême droite. Pour tous ceux qui sont engagés dans ces actions, il est hors de question d'accepter de quitter les lieux en échange de places dans un gymnase ou de quelques nuits d'hôtel. L'urgence est de résister aux évacuations. Ce 13 novembre, le tribunal administratif de Lyon statuait, sur le recours déposé par la présidente de l'Université, qui demande l'évacuation de l'amphi C. La décision sera connue demain. Car partout les présidents des universités concernées, en concertation avec les municipalités et les préfectures, sont prêts à faire intervenir les CRS pour mettre fin à ces réquisitions de locaux solidaires.
A Nantes, des bruits concernant une possible évacuation par la police ont couru toute la journée d'hier. La présidence de l'université a finalement fait évacuer les salles de cours par les étudiants et professeurs, mais, malgré cette fermeture administrative, les salles de la Censive réquisitionnées sont toujours occupées. Tout comme le Château du Tertre, contrairement à ce que nous avions écrit ce matin. Le tribunal administratif avait en effet validé le 5 décembre l'expulsion de la Censive et du Château, mais les occupants sont plus que jamais mobilisés, au mot de "Défendons le château !" Selon nos informations d'aujourd'hui, à 18h, il y aurait encore une quarantaine de mineurs exilés sur place, une partie ayant quitté les lieux de peur d'être arrêtés. L'ambiance est donc fébrile sur place. Du fait des menaces qui pèsent, une famille avec une femme enceinte et une petite de un an a été mise à l'abri hors de la fac.
A Grenoble, une date butoir a été fixée par la direction de l'université au 22 décembre, jour de la fermeture de l'université pour les vacances de Noël. Pour cet ultimatum, l'université Grenoble Alpes a même cosigné un communiqué avec la préfecture, expliquant que que « l’urgence est désormais de permettre aux personnes logées actuellement dans les locaux de l’UGA de bénéficier du dispositif hivernal dans les meilleurs délais ». Concrètement, précise Leo, du collectif la Tambrouille, cité par le site place Gre'Net, « la préfecture propose d’ouvrir un gymnase et de reloger les demandeurs d’asile dans un centre d’accueil géré par le 115, dans le cadre du plan grand froid. On a refusé parce que ce n’est qu’une solution à court terme. On est bien mieux au Patio ! » Quant à Lyon, si la présidente de Lyon II a jusqu'ici privilégié le dialogue, les associations qui soutiennent l'occupation ne se font pas d'illusions : "Gérard Collomb donnera des consignes d’autant plus strictes à la préfecture de Lyon qu’on est ici chez lui !” lançait l’un d’entre eux le 9 décembre dernier à Lyon Capitale.
Après Nantes, Lyon, Grenoble, Poitiers, Toulouse, ces occupations qui se sont multipliées ces dernières semaines ouvrent la voie à des actions d'un nouveau type : solidaires, concrètes, festives et autogérées. L'important est aussi que les jeunes migrants mineurs qu'ils hébergent sont parties prenantes de ces luttes. Chacun est appelé à semer des ZAD partout pour construire de nouvelles solidarités. Avec le soutien de nombreuses associations locales et syndicats, des étudiants s'approprient des locaux pour vivre et décider ensemble et construire des solidarités au-delà des frontières. "Face à des profs résignés et à un gouvernement intransigeant, il nous faut être offensif, rompre le cours normal des choses, perturber l’économie", expliquent les étudiants lyonnais. "Dans les facs, les lycées, au taf et sur les places, construisons-nous dans l’occupation, attaquons par le blocage". C'est donc un autre monde qui s'invente, un monde où on n'exige pas des papiers de ceux qui ont faim et froid et où chacun a sa place pour construire un monde meilleur. Car ce monde nouveau qui émerge est conscient qu'il a une tâche urgente et énorme à accomplir : se réinventer.
Véronique Valentino
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