L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Macron président de la datablique ?

Faire de la France une start up nation et de l'Etat une plateforme, c'est le projet 2.0 de Macron. S'il joue sur une idée de modernité qui a le vent en poupe, le projet est dangereux car il transformerait la société en un immense fichier client, le citoyen en usager, avec des choix reposant sur l'algorithimisation des décisions. C'est ce qu'explique dans ce court texte Olivier Ertzscheid, spécialiste du numérique.

 

De passage à une grand messe technologique comme l'ensemble du globe et la place parisienne en comptent tant et tant, le président Emmanuel Macron a récemment  déclaré :

"Je veux que la France soit une Start-Up Nation. Une nation qui pense et évolue comme une Start-Up."

Déclaration "in English" immédiatement postérisée à défaut d'entrer dans une quelconque forme de postérité. 

Ce n'est pas la 1ère fois qu'Emmanuel Macron fait l'apologie de la culture Start-Up comme modèle de l'entreprenariat, et c'est son droit. Mais lui président a également déclaré ou fait dire à ses représentants que "l'État" devait être une "plateforme". 

Donc nous avons comme "ligne politique" les éléments suivants, éléments qui ne sont pas que de langage :

  • primo, la France comme Start-Up Nation
  • deuxio : l'état comme plateforme

Le candidat Macron avait, rappelons-le fait campagne à grands renforts d'outils de Big Data, dans une logique d'algorithmisation ou de "reductio ad algorithmum" de la parole et de l'action publique. Et comme je le soulignais à l'époque :

"Le problème c'est que ce systématisme dans "l'algorithmisation" de la parole publique (détection d'opinion, analyse de sentiment, etc.) associé à une inéluctable ludification présentée comme le remède à la désertion des urnes, aura l'effet inverse de celui escompté : il achèvera de délégitimer une parole politique qui n'avait pas besoin de ça (...). Mais le programme politique qui sera bâti sur ces algorithmes sera à leur exacte image : il sera de silicone. Et comme les augmentations mammaires du même nom, une fois que l'effet de séduction aura opéré, c'est au mieux un immense désenchantement qui suivra, et au pire un effondrement total."

Sinon pour ce qui est des Start-Up et de l'état comme plateforme, il se trouve que je viens justement de publier un magnifique ouvrage chez un superbe éditeur - et réciproquement - qui tente d'analyser un peu les enjeux et les risques que présentent les "plateformes" quand elles se piquent de faire le boulot des "états"

 

Et c'est peut-être parce que cela fait plus de 10 ans que j'essaie de m'interroger sur ces questions que tout cela m'inquiète un peu. Ce qui m'inquiète c'est la logique.

Celle qui veut si l'état est une plateforme, si la nation est un fichier-client (ou un ensemble de Start-ups), si la démocratie élective est un algorithme, alors le citoyen ne sera plus qu'un utilisateur. Or la différence entre un citoyen et un utilisateur est colossale et fondamentale. Un citoyen est quelqu'un qui jouit d'un certain nombre de droits pleins et entiers qui lui sont acquis (et pour la plupart desquels ses ancêtres se sont battus). Un utilisateur est quelqu'un à qui l'on attribue, temporairement, un certain nombre de permissions, "d'autorisations". 

J'en étais là de mes réflexions lorsque j'ai croisé le chemin de ce tweet d'Evgeny Morozov : 

La France n'est pas et ne doit en aucun cas devenir une "Start-Up Nation". C'est même tout le contraire.

Mais le dire, dire que l'on veut que la France soit une "Start-Up Nation", dire que l'on veut que l'État soit juste une "plateforme", c'est confesser la vraie nature et le vrai visage d'un mouvement et d'un projet politique qui permettra peut-être demain que Mark Zuckerberg soit président des USA ou que les USA n'aient plus besoin de président puisqu'ils auraient déjà le leader de la plus grande plateforme mondiale. 

Alors non, l'État n'est pas et ne doit en aucun cas devenir une "plateforme" ; la nation n'est pas et ne doit pas devenir un simple fichier-client ; la démocratie n'est pas un algorithme (et le vote électronique est une gigantesque menace doublée d'une formidable escroquerie) ; et les citoyens - déjà solubles dans la novlangue des "usagers" et sa cohorte de réformes néo-libérales - les citoyens ne sont pas des utilisateurs et doivent prendre grand soin de ne jamais le devenir.

Derrière le projet d'un "État plateforme" et d'une "start-up nation" il y d'abord le volonté éminemment perverse d'achever de transformer le citoyen déjà devenu "usager" en simple "utilisateur". Et ce n'est pas une bonne nouvelle. 

<Mise à jour du lendemain> A lire pour poursuivre et approfondir la réflexion, cet article de Mehdi Medjaoui sur Medium (qui sait un peu de quoi il cause), et cet autre analyse du toujours indispensable Xavier De La Porte(qui sait donc aussi de quoi il cause mais dans un autre genre). </Mise à jour>

Olivier Ertzscheid

Olivier Ertzscheid est enseignant-chercheur (Maître de Conférences) à l'Université de Nantes en Sciences de l'information et de la communication. Il a publié un livre sur les GAFA intitulé "L'appétit des géants" aux éditions C&F. On peut consulter son blog ici.