Enquête sur le vrai coût du CICE, près de 100 milliards d’euros
Instauré début 2013, le crédit d’impôt compétitivité emploi -CICE- devait créer 1 million d’emplois. Cinq ans plus tard, le bilan est quasi nul. En revanche, cette mesure emblématique du quinquennat de François Hollande, a coûté beaucoup plus cher que prévu. On peine aussi à comprendre où sont passés les milliards du CICE.
L’efficacité du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est-elle proportionnelle à son coût faramineux ? Pas franchement, si l’on s’en tient au rapport 2017 publié le 3 octobre dernier par son comité de suivi. Le CICE est entré en vigueur le 1er janvier 2013 dans le cadre du « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi ». Emmanuel Macron, qui a soufflé l’idée à François Hollande quand il était encore secrétaire général adjoint de l’Elysée, a décidé de le convertir en baisse pérenne des cotisations patronales à compter de 2019. Les finalités de ce pactole ? Restaurer la compétitivité des entreprises françaises face à leurs concurrentes étrangères et leur permettre d’embaucher, d’investir, d’exporter davantage et de reconstituer leur trésorerie. Pourtant, cinq ans après la mise en œuvre du CICE, le bilan est poussif côté résultats, mais affolant en revanche au regard des sommes distribuées, dont le montant se chiffre en dizaines de milliards.
Depuis 2013, le coût du CICE a en effet augmenté de façon exponentielle. Pour le comprendre, il faut revenir sur son mécanisme. Destiné à toutes les entreprises dès lors qu’elles emploient des salariés, il prend la forme d’une réduction d’impôts, calculée sur le montant des salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Mais celle-ci ne sera déduite que l’année suivante. En cas d’excédent fiscal, l’entreprise peut reporter le montant du crédit d’impôt sur plusieurs années. Si l’excédent persiste, elle recevra un chèque au bout de trois ans. On comprend donc aisément que les sommes concernées augmentent chaque année depuis 2013. D’autant que le taux du CICE qui était de 4% en 2013, a été porté à 6% de la masse salariale à partir de 2014, puis à 7% en 2017, avant de retomber à 6% en 2018. Pour compenser l’un des pires défauts de cette usine à gaz, c’est-à-dire le décalage dans le temps, un mécanisme de préfinancement a été mis en place dès février 2013 : les entreprises peuvent calculer le montant de leur crédit d’impôt sur les salaires de l’année en cours, qui constitue une créance vis-à-vis de l’Etat qu’elles pourront alors céder à une banque pour obtenir du cash en échange.
Le chiffrage du CICE donne le tournis. Les créances accumulées sur les salaires 2013 par des entreprises totalement shootées aux exonérations et allègements divers et variés dont le montant va croissant, auraient atteint 11,6 milliards d’euros. En 2014, année où le crédit d’impôt est passé de 4% à 6%, leur montant dépasse les 17,5 milliards, approche les 18 milliards en 2015 et s’élève à 15,1 milliards en 2016. Alors quel est le vrai coût de ce scandale d’Etat ? Au total, depuis la mise en place du CICE, plus de 62 milliards de créances fiscales auraient été déclarées par les entreprises françaises. Mais le coût réel est en fait largement supérieur car il ne s’agit que de créances partielles. En effet, les créances qui sont consenties au titre des salaires d’une année -par exemple 2013- ne sont connues et effectivement dépensées que plus tard, compte tenu du mécanisme qui est celui d’un crédit d’impôt.
Le coût final promet donc d’être faramineux. Les prévisions du projet de loi de finance 2018 ont de quoi donner des sueurs froides. Ces prévisions budgétaires comptabilisent les sommes effectivement dépensées par l’Etat tous millésimes confondus. Elles sont de 6,6 milliards d’euros en 2014, 12,5 milliards en 2015, 12,9 en 2016, 16,5 en 2017, puis culminent à 21 milliards d’euros en 2018. L’impact du CICE se traduira bien après son extinction, puisqu’il pèsera encore pour 19,6 milliards d’euros en 2020. Il aura donc coûté au total 99,3 milliards d’euros. Pire, en 2019, les allègements de cotisations sociales qui prendront la suite du crédit d’impôt s’ajouteront aux montants astronomiques du CICE, puisque les entreprises le perçoivent en décalé.
Pour 100 milliards, on est en droit d’attendre des résultats particulièrement probants. Malheureusement, le rapport du comité de suivi piloté par France stratégie fournit peu de chiffres concrets, au profit de constats mal étayés. Quand les trois équipes de recherche missionnées pour l’évaluation du CICE ne divergent pas gravement dans leurs conclusions. A titre d’exemple, le rapport « considère comme avéré » que le CICE s’est diffusé dans l’ensemble du système productif, le long de la chaîne de valeurs dès les premières années. Un effet bien entendu impossible à chiffrer. Au registre des effets « partiellement vérifiables », l’amélioration des marges des entreprises, qui était pourtant l’un des objectifs premiers du CICE. En revanche, aucun impact n’a pu être démontré concernant l’investissement, les dépenses de recherche et développement, ou encore les exportations. Autant d’arguments ayant pourtant justifié cette gabegie.
Là où les résultats du CICE sont les plus décevants, c’est sur l’impact en matière d’emploi. Ce méga crédit d’impôt aurait contribué à créer ou préserver 100 000 emplois en moyenne sur la période 2013-2015. Mais, ajoute le rapport, dans une fourchette de 10 000 à 200 000 emplois, soit un rapport de un à vingt. A ce stade ce n’est plus de fourchette qu’il faut parler, mais de râteau… Et encore, ce n’est que la conclusion de l’un des laboratoires de recherche sollicités, l’autre estimant que les résultats en matière d’emploi sont nuls. Alors où sont donc passés les milliards du CICE ? A ce stade, on suggérerait bien aux experts qui ont travaillé à son évaluation, de lancer un avis de recherche.
Car on peine à comprendre où les milliards engloutis dans cette usine à gaz, qui ont effectivement profité à l'ensemble des entreprises françaises, ont bien pu se retrouver dans leur bilan. Apparemment, ils auraient, selon les auteurs du rapport, contribué à augmenter les salaires des cadres et professions intellectuelles. Un effet pas vraiment défendu par ses promoteurs lors de sa mise en place. Ont-ils aussi servi à arrondir les dividendes ? Le comité indique que l’effet sur les dividendes est incertain, les données utilisées ne permettant pas de trancher. Le Henderson Global Dividend Index, qui mesure l'évolution des dividendes dans le monde, indique que les entreprises françaises détiennent le record en la matière. En 2016, elles ont distribué 34,5 milliards d'euros à leurs actionnaires, contre 29 milliards en Allemagne et 27,6 milliards au Royaume-Uni.
Véronique Valentino
Consulter le rapport 2017 du comité de suivi du CICE pour 2017 : http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport_cice2017_03102017_0.pdf
Billet économique de Marie Viénot sur France culture "Mais où sont passés les 27 milliards du CICE ? : https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/ou-sont-passes-les-27-milliards-du-cice