L'AUTRE QUOTIDIEN

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Pourquoi l'interdiction du rassemblement en hommage à Wissam El Yamni est inquiétante

L'Etat n'est-il pas en mesure de garantir l'ordre public par ses propres forces de l'ordre lors d'un rassemblement pacifique autorisé légalement ? C'est la conclusion inquiétante qu'on peut tirer de l'interdiction par le préfet du Puy-de-Dôme, sur pression policière, d'une cérémonie du souvenir en hommage à Wissam El Yamni, décédé après neuf jours de coma, à la suite de son interpellation par la police dans la nuit du 31 décembre 2011.

Cela aurait dû se passer samedi 18 novembre à Clermont-Ferrand. Les proches de Wissam El Yamni souhaitaient organiser une cérémonie du souvenir en hommage au jeune homme dans un parc de la ville. La cérémonie, lors de laquelle il était prévu de planter un arbre dans le Jardin Lecoq, se voulait "une pause dans la quête de vérité et le symbole de notre tentative d'apaisement", écrivaient les proches et soutiens de Wissam El Yamni. 

Mais ce rassemblement intime, pacifique et légal, organisé avec le soutien de la municipalité de Clermont-Ferrand, c'était encore trop pour le lobby policier. Trois syndicats policiers -Alliance, SGP Police FO et Synergie Officiers- avaient relayé un appel à une contre-manifestation. Il faut croire que celle-ci n'avait en revanche rien de pacifique, puisque le préfet a préféré interdire toute manifestation aux abords du parc, sous prétexte de "menaces graves de troubles à l'ordre public" et de "risque d'une confrontation violente" (voir notre article du 18 novembre dernier). 

Le préfet semblait renvoyer les deux parties dos à dos en interdisant toute manifestation aux abords du Jardin Lecoq. Rappelant qu'ils sont "respectueux des lois de la République", les proches du jeune homme décédé à l'âge de 30 ans, avaient donc annoncé qu'ils se conformeraient à cette décision préfectorale, tout en déplorant "les manœuvres d'intimidation" de la police. Cette interprétation qui voudrait renvoyer dos à dos les proches d'un jeune homme qui souhaitaient se réunir pour commémorer la mort de leur fils, frère et ami avec des policiers, menaçant d'organiser une contre-manifestation illégale et possiblement violente, alors qu'ils devraient être les premiers à respecter la loi, n'est pas tolérable. Cela devrait suffire à inquiéter.

Mais le pire est que ces policiers ont aussi sommé le maire de la ville de faire amende honorable, le menaçant à demi-mots d'insubordination. Lorsque la police tente de mettre au pas les élus de la nation, l'histoire nous apprend que cela se termine toujours mal. L'Etat ne saurait tolérer une force policière séditieuse en son sein.

C'est pourtant à cela que nous avons assisté avec les manifestations de policiers en armes et uniformes l'hiver dernier. La menace fut suffisamment forte pour que les parlementaires votent, sous un gouvernement qui se disait encore de gauche, une loi sur mesure pour les affolés de la gâchette. Encouragés par ces renoncements et concessions en série, les policiers s'arrogent maintenant ouvertement le droit d'intimider, non seulement les proches d'un homme, dont la mort est survenue à l'issue d'une interpellation brutale, mais aussi les élus de la république, dont ils sont censés dépendre. 

Les multiples affaires de violences policières ont déjà révélé à quel point la justice s'égare dès lors qu'elle doit juger des policiers. En l'occurrence, les deux policiers qui ont utilisé une technique d'immobilisation, interdite par une note de la direction de la police nationale, et causé la mort d'un homme à l'issue d'un coma de neuf jours, ne sont plus mis en examen. Ils ont été placés par les juges de la Cour d'appel de Riom sous le statut de témoin assisté.

Avant même que le rapport d'autopsie ne soit rendu public, le procureur de la république de Clermont-Ferrand, Gérard Davergne, avait écarté l'hypothèse d'une mort causée par les coups portés par les policiers, niant jusqu'aux marques de strangulation relevées sur le corps de la victime. "Les lésions traumatiques sont superficielles" et "la superficialité des lésions cervicales n'est pas en faveur des stigmates de strangulation", avait-il déclaré le 24 janvier 2011.

Le même, qui ne pouvait nier l'existence de fractures et donc des coups portés par les policiers, avait écarté le rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui notait l'emploi de la technique, interdite, du pliage -elle consiste à maintenir la personne en position pliée la tête sur les genoux et est à l'origine de plusieurs décès- de même que les résultats de l'autopsie préliminaire qui évoquaient "une compression des artères carotides internes", qui aurait causé la perte de conscience du jeune chauffeur routier, resté neuf jours dans le coma avant de décéder. 

Balayées les photos montrant un serrage au niveau du coup et les enregistrements radio des échanges entre les policiers. Malgré un rapport d'expertise toxicologique, montrant que les traces de stupéfiants étaient faibles et que le jeune homme n'était plus sous l'emprise de la cocaïne, les juges s'apprêtent à enterrer cette affaire comme ils l'ont fait pour tant d'autres, oubliant qu'ils ont pour mission de permettre l'émergence de la vérité et de rendre la justice.

Et maintenant, le préfet -l'Etat donc, puisque celui-ci est son représentant dans les départements et régions- qui reconnaît explicitement qu'il est pris en otage par le lobby policier, dont les syndicats vont jusqu'à faire annuler une réunion publique légale. En prenant cette décision inique, l'Etat nous met tous collectivement en danger, puisqu'il explique qu'il n'est pas en mesure de s'opposer à une manifestation illégale et violente de policiers. Rappelons que les "forces de l'ordre" ont pour mission de faire appliquer la loi, pas de la dicter aux élus et aux représentants de l'Etat. C'est pourquoi nous publions ce communiqué de la section du Puy-de-Dôme de la Ligue des droits de l'homme, qui explique la gravité de la décision prise par le préfet.

Véronique Valentino

Ligue des droits de l'homme, section du Puy-de-Dôme, communiqué du 17 novembre 2017

Un hommage à Wissam El Yamni, dont il est de notoriété publique qu'il a été interpellé dans la nuit de la Saint-Sylvestre 2011 et qu'il est décédé neuf jours plus tard, était prévu samedi 18 novembre 2017 au Jardin Lecoq à Clermont-Ferrand, avec l'autorisation de la municipalité.

Cette cérémonie du souvenir a suscité des réactions de syndicats de policiers, largement rapportées dans la presse, et un projet de contre-manifestation organisé au sein de la police, qui présentait, selon le préfet, un risque de confrontation violente.

La famille et les soutiens de Wissam El Yamni se comportant avec calme et dignité, devons-nous comprendre que la contre-manifestation policière menaçait d'être violente ?

Nous ne pouvons l'admettre de la part de fonctionnaires chargés du maintien de la paix et de l'ordre public, qui ne devraient pas être eux-mêmes à l'origine de troubles.

Il s'agit de pressions d'autant plus inacceptables sur nos institutions, qu'une intersyndicale a indiqué à La Montagne [quotidien régional ndlr] que "les relations futures entre la municipalité et la police risquent d'être compliquées" et exigé que "la mairie fasse maintenant amende honorable". 

La Ligue des droits de l'homme appelle au respect des institutions républicaines et au maintien des libertés d'expression et de réunion. Elle demande aux autorités de l'Etat de faire en sorte que les lobbys policiers n'outrepassent pas leurs prérogatives. Il en va du respect de l'Etat de droit.