Déclaration de Georges Louis, militant CGT déféré devant le tribunal
Arrêté lors de la manifestation du 10 octobre, alors qu'il tenait une banderole, Georges Louis avait témoigné dans l'Autre Quotidien des violences subies et des conditions de sa garde à vue. Après avoir refusé la comparution immédiate, il sera jugé demain à 13h30 par la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Nous publions, avec son autorisation, la déclaration qu'il compte lire devant le tribunal.
Je suis un syndicaliste. Je milite contre toute forme de précarité et d’exclusion depuis de longues années. Pour moi adhérer à la CGT c’est lutter sans relâche, y compris par la grève, avec mes camarades de travail contre l’arbitraire patronal. Ces acquis obtenus, nous les défendons avec détermination en manifestant.
Délégué syndical, Trésorier du Comité d’Entreprise et Secrétaire du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail, j’essaie à travers mes engagements d’être digne de ceux qui, par leurs combats durant de longs mois, ont permis la mise en place de ces instances du personnel. Je pense à cet instant aux millions de grévistes en 1936 et en 1968.
Mais aussi à ces syndicalistes devenus résistants dès 1940. Pourchassés, torturés, abattus, déportés, ils n’ont jamais courbé l’échine face au conformisme et à l’apathie générale. En face, un gouvernement collaborateur, une administration complice, un patronat avide de laver l’humiliation de tant de concessions faites durant l’été 36. Souvenons-nous du « plutôt Hitler que le Front Populaire ». La défaite cinglante du fascisme a signifié aussi celle de la collaboration d’intérêts bien compris entre capitalisme et totalitarisme. N’oublions pas certaines fortunes actuelles, constituées par l’accaparement de biens juifs et autres spoliations.
Les conquêtes acquises ensuite dans l’immédiat après-guerre comme la Sécurité Sociale ou le Comité d’Entreprise sont devenus insupportable pour les patrons. C’est 70 ans de trop pour le MEDEF. Allons fainéants, sans rien, sans dents, au boulot jusqu’à la mort ou au mieux jusqu’au fauteuil roulant.
Depuis le 10 octobre je suis considéré comme un violent, un terroriste, un ennemi d’une société en marche. Et pourtant, l’an dernier, j’ai participé à toutes les manifestations contre la loi travail et je ne fus pas une seule fois interpellé alors que je sais les policiers sont sur le qui-vive pour procéder à des arrestations en cas de violence...
Or cette violence, d’où vient-t-elle ? Pour ma part je la vois tous les jours : dans la rue, où des pauvres dorment par terre dans l’indifférence générale, où des migrants sont pourchassés comme des poux au lieu d’être considérés comme des réfugiés bénéficiant d’un minimum de respect. Violence également lorsque des salariés se suicident sur leurs lieux de travail et montrés pas les médias bien-pensants comme des paumés et des dépressifs et non des victimes du monde du travail.
Mais l’Etat estime que cette violence n’en est pas une. Ces personnes enfreignent la loi ou sont des asociaux, donc l’Etat se dédouane de toute responsabilité comme pour l’entrepreneur licenciant sans vergogne et planquant ses profits dans des paradis fiscaux. Pour ça, la loi est muette, ou pire, elle approuve.
Oui cette véritable violence contre une partie de la population est normale. Se battre pour préserver des acquis sociaux comme le CDI, le CE et la SECU est synonyme de licenciement dans le monde rêvé des ordonnances. Les maîtres des forges triomphent avec leur idéologie néoclassique destructrice de pays et de populations. Une grève, une révolte, les fouteurs de merde seront matés par le gaz lacrymogène et le Flash Ball. Et attention s’ils ne comprennent pas finalement, les policiers équipés de fusil d’assaut guettent. On ne sait jamais avec des terroristes potentiellement déguisés en manifestants ou en grévistes comme l'a dit Gattaz. Moi-même, le lendemain de mon arrestation, l’OPJ me désigne comme un terroriste : « Vous êtes pires que les terroristes car eux au moins ils revendiquent, pas vous ».
Nous manifestants transformés en Djihadistes rouges et noir après les « Djihadistes verts ».
Etrange ironie que de me cracher à la figure ce genre d’insulte alors qu’il y a plus de 70 ans mon père, Georges Louis, était lui aussi désigné comme un terroriste menaçant la bonne marche de la collaboration entre capitalistes et occupants, sauvant des « étrangers » ennemis de la France et autres réfractaires à l’ordre nouveau. Le 22 mars 1944 ce terroriste est arrêté à Paris au 10 rue d’Hauteville par des policiers français, détenu à Fresnes dans une prison française, déporté comme 2 062 résistants et « étrangers » de Compiègne dans un train de la SNCF le 4 juin 1944 en direction de l’Allemagne puis de la Pologne puis de l’Autriche. Tant mieux, un terroriste en moins. La révolution nationale doit se passer d’eux, le préfet de la Gironde Papon peut poursuivre sa noble tâche criminelle avant d’être recyclé en préfet de police et en ministre. Et de poursuivre sa besogne meurtrière contre des centaines d’Algériens le 17 octobre 1961.
Participer à des manifestations fait partie de cette tradition militante de descendre dans la rue. Eh oui la démocratie c’est aussi la rue contrairement aux affirmations de Jupiter. Le fait majeur depuis l’an dernier est sans doute le sens que prennent ces cortèges. L’habituel défilé a laissé place peu à peu à un fractionnement désirable. Beaucoup d’entre nous avaient cette impression d’être chacun dans son coin, dans son organisation alors qu’en fait nous sommes un tout face à ce qui nous mobilise. L’idée du cortège de tête est venue à ce moment-là. Sans calcul et naturellement, la question s’est posée : pourquoi nous les travailleurs en grève ne prendrions nous pas la tête de cette manifestation ? Des lycéens, des étudiants, des précaires, des retraités se sont forgés également la même opinion : oui, nous sommes pareils et malgré nos différences sociales nous pouvons nous mélanger et même plus tard se rencontrer, tenter de créer un destin commun de lutte.
Ce fut pour moi ce lien déterminant, cette diversité des uns avec les autres de se retrouver dans le mouvement Nuit Debout, puis à présent au sein du Front Social.
Ce qu’on me reproche est de tenir une banderole et de me camoufler. Là-dessus cette année 2017 a été particulière pour moi car à deux reprises dans le cadre de l’état d’urgence j’ai eu le droit à des interdictions de manifester : l’une le 23 février à l’occasion de la manifestation des lycéens pour Theo et l’autre le 7 mai pour le second tour de l’élection présidentielle. Non seulement des patrouilles de policiers débarquent chez moi dans ma résidence et, en plus le délai de 48h de contestation n’est pas respecté, lorsqu’on vous remet un tel document le jour de la manifestation. J’ai agi en vain contre le premier arrêté devant le tribunal administratif de Paris, mais en pure perte, car pour eux il est inutile de traiter ma demande puisque la manifestation s’est déjà déroulée… Ce déni de mes droits est particulièrement choquant et j’ai pensé ainsi devenir invisible pour éviter ce type de visite infamante.
Ma dignité, notre dignité, est de défendre, de lutter contre toutes ces infamies et ces retours en arrières qui gangrènent le pays. Macron en Jupiter du Capital, casse, brise, annihile le socle commun patiemment construit sur plusieurs décennies. En faisant cela il engage sa responsabilité historique de détruire des progrès sociaux majeurs. Il devra en mesurer les effets dans les fractures béantes qui s’accélèrent et menacent la cohésion de ce pays.
On peut me condamner, m’éliminer socialement, m’interdire de manifester. Or, ce n’est pas moi qui suis responsable de tant de morts, dans les quartiers populaires, et à Sivens (Adama, Yacine, Wissam, Lamine, Remi…) et de blessés par centaines durant les manifestations de l’an dernier comme par exemple le 15 septembre 2016 où, devant moi, un syndicaliste est tombé l’œil crevé par un éclat de grenade et à Aulnay sous-Bois où Théo a été mutilé par des « fonctionnaires de police assermentés ». Ce n’est pas moi non plus qui donne des coups de matraque dans les côtes, sur la tête. Ce n’est pas moi non plus qui devra contenir à tout prix la colère et la rage d’une population qui dans un futur proche sera obligée de se soulever comme jadis à Paris. Les gueux et les manants comme en 1789, en 1830, en 1848 ou en 1871 se souviennent toujours comment arracher leurs chaines à leurs exploiteurs.
Georges Louis
Lien vers notre article du 16 octobre 2017 : "Georges Louis, inculpé pour port de banderole : sous Macron, la répression se porte bien"
Un rassemblement en soutien à ce militant CGT est organisé ce vendredi 24 novembre de 11h30 à 14h sur la place Saint-Michel, non loin du tribunal où il comparaîtra à 13h30.