La véritable raison de la suppression des contrats aidés
Le gouvernement a beau s’abriter derrière des arguments charitables en dénonçant des contrats aidés qu'il juge trop précaires, et inefficaces en termes d’accès à l’emploi, la raison de leur suppression dans le budget 2018 est d’abord idéologique. L’Etat, vu par Macron, est prié de ne pas subventionner des emplois servant à remplir des missions de service public, qui ne sont pas solvabilisées par le secteur privé. C’est ce qu’il faut retenir de cette mesure qui s’est déjà traduite par une remontée du chômage.
Alors que tous les signaux concernant la croissance sont au vert, celle-ci n’aura, d’ici la fin de l’année, que peu d’effets sur le chômage. C’est l’INSEE qui l’affirme. En effet, la croissance devrait atteindre 1,7% en 2017. Un taux pas non plus affriolant, mais bien supérieur à celui que la France affichait ces dernières années, qui culminait péniblement à 1%. Tous les secteurs profitent de cette embellie : l’industrie, la construction, les services marchands et même l’agriculture, après une année noire en 2016. Pourtant, selon l’INSEE, le chômage a augmenté sur le troisième trimestre de l’année de 0,2%, pour s’établir à 9,7% de la population active. Le nombre de chômeurs s’est accru de 62 000 personnes sur ce troisième trimestre 2017. Le nombre de créations d’emploi continue de ralentir fortement, puisqu’il passe de 81 500 au deuxième trimestre à 29 000 créations nettes au troisième trimestre. L’emploi en intérim, lui, reste à un niveau historiquement haut ; il est stable.
Mais ce que montrent les chiffres de l'INSEE pour les deuxième et troisième trimestre, c'est que la baisse des emplois aidés a déjà des effets négatifs sur le chômage. L’emploi baisserait nettement au second semestre (- 46 000 après + 29 000 au premier semestre) en raison de la réduction drastique du nombre de contrats aidés. Selon le collectif des associations citoyennes (CAC), on comptait, 418 000 emplois aidés fin 2016 (chiifres INSEE), dont 354 000 pour le secteur non marchand et, parmi ceux-ci, 142 000 emplois aidés associatifs (soit 40 %). Or, le gouvernement a décidé au mois de juillet de ne pas renouveler les contrats aidés lorsqu’ils viennent à échéance afin de ne financer en 2017 que 310 000 emplois aidés. Soit une suppression de 108 000 emplois.
Pour 2018, seuls 200 000 emplois aidés devraient être budgétés, et les contrats aidés devraient disparaître complètement à l’horizon 2020. Cette mesure a été mise en application dès le mois d’août 2017, et confirmée par une circulaire aux préfets le 6 septembre. C'est donc un gigantesque plan social qui s'annonce sur les années à venir. Ces suppressions d'emplois touchent particulièrement des personnes vulnérables, selon les conditions fixées pour bénéficier de ces contrats aidés : chômeurs de longue durée, jeunes sans diplôme, bénéficiaires de minima sociaux et personnes en situation de handicap. Pourtant, les grands médias sont restés muets sur la baisse de 46 000 emplois aidés au deuxième trimestre 2017. Derrière ces chiffres, comme l'écrit le CAC, il y a pourtant des hommes et des femmes, souvent en difficulté.
Le collectif fournit des dizaines de témoignages, comme celui de Françoise F., dans l'Hérault: "le réseau d’écoute, d’accueil et d’accompagnement des parents qu’on avait mis en place disparaît, ruinant tout le travail fourni. Du jour au lendemain, j’ai dû dire aux familles que je ne les suivrai plus. Mon poste de psychologue à la Ruche a pris fin brutalement, faute de crédits, le 30 septembre dernier". Et celui de Nina C. : "Ayant brutalement perdu mon contrat aidé, je veux dire la violence et l'incohérence de la décision prise. J’étais bibliothécaire en école élémentaire en Réseau d'Education Prioritaire, un travail très utile en
contrat avec 'Etat".
La sortie de Macron sur les contrats aidés lors d'un discours à Tourcoing sur la politique de la ville était parfaitement calculée. Elle visait, par sa brutalité, à marquer les esprits pour mieux faire oublier l'absence de mesures concrètes en politique de la ville (si ce n'est les emplois francs, on y reviendra) et même la baisse des budgets. "Et que tous ceux qui, la main sur le cœur, viennent nous expliquer que les contrats aidés c'est la solution dont on a toujours rêvé, mais qu'ils les prennent les contrats aidés ! Ils n'en voudraient pas pour eux-mêmes !" a-t-il fait mine de se scandaliser. Un effet de manches dont le chef d'Etat est coutumier, lui qui se pique d'avoir pratiqué le théâtre.
Pourtant, les contrats aidés, s'ils peuvent effectivement être améliorés (voir nos articles sur la question), ne sont pas aussi inefficaces que le prétend le chef de l'Etat en termes de retour à l'emploi ou de formation. Par ailleurs, on voit mal en quoi l'argument qui prétend que ces emplois coûtent cher à la collectivité serait légitime. Le CICE, mis en place sous François Hollande, sur une idée de Macron, son conseiller, aura coûté près d'un milliard d'euros, de 2013 à 2020, date à laquelle les entreprises cesseront de pouvoir réclamer le remboursement de ce crédit d'impôt (voir notre article du 6 novembre dernier). Or, de 2013 à 2015, selon le comité de suivi, il a créé ou maintenu 100 000 emplois, la fourchette étant évaluée entre 10 000 et 200 000 emplois. Soit un coût record par emploi créé ou maintenu.
Edouard Philippe qui vient d'annoncer que l'Etat pourrait étendre les allègements de charges, dont bénéficient les entreprises, jusqu'aux salaires représentant trois fois le niveau du SMIC, peut difficilement prétendre qu'il n'est pas légitime de financer l'emploi. Depuis 1993, les mesures en faveur des entreprises privées, visant à supprimer les cotisations sociales et familiales sur les bas salaires, se sont succédé, au point qu'il est difficile de chiffrer le manque à gagner pour l'Etat. Selon l'Humanité, dans un article de 2014 -les sommes concernées ont encore augmenté depuis- les exonérations de cotisations pour les entreprises représentaient 3,4 milliards d'euros pour les allègements Balladur de 1993 et atteignaient au total 27,6 milliards d'euros, dix ans plus tard, en 2013.
Un gouffre financier, notamment pour la sécurité sociale, qui n'a pourtant pas permis de réduire le chômage de masse. Et ces allègements ont été accordés sans aucune condition. Les emplois aidés, eux, sont souvent des emplois utiles à la collectivité. Et on voit mal au nom de quoi il serait légitime de financer à coups de milliards d'euros l'emploi privé, censé fonctionner selon les principes du marché (et donc sans subventions), et pas les emplois permettant d'accomplir des missions de service public, qui ne sont pas rentables financièrement.
Mais, sauf à considérer que ces missions de service public doivent être prises en charge par le secteur privé et qu'elles doivent donc être payantes pour les usagers qui en bénéficient, on voit mal la justification de ces suppressions d'emplois aidés qui touchent massivement les associations (celles-ci emploient plus de 10% de la population active tout de même) et les collectivités, surtout les plus petites et celles se trouvant en milieu rural. Pas plus qu'on en perçoit la logique économique, puisque ces suppressions d'emplois se traduisent par un recul de l'emploi dans le secteur non-marchand.
Non, la justification de cette mesure, il faut la chercher dans l'idéologie macronienne. Celle-ci vise à redéfinir le périmètre de l'Etat - traduire réduire ses missions -, objectif officiellement assigné au programme action publique 2022, sous couvert de "modernisation" de l'Etat et sur demande expresse de Bruxelles. Qu'importe que l'on gave de subventions des acteurs économiques qui nous chantent sur tous les tons les bienfaits de l'économie de marché et de la libre concurrence non faussée. Ces derniers sont censés être les seuls à pouvoir créer de l'emploi durable et utile. Ils nous coûtent pourtant fort cher et on aura l'occasion de revenir sur les conséquences concrètes de cette économie de prédation pour chacun d'entre nous.
La contre-révolution macronienne s'autorise donc un méga plan de licenciements, supprimant des centaines de milliers d'emplois, au nom d'une efficacité économique douteuse, qu'elle finance à coup de milliards d'euros. On se demande qui sont les vrais assistés dans ce pays. L'animatrice auprès de jeunes enfants qui bénéficie d'un contrat aidé pour quelques milliers d'euros par an ou les géants du CAC 40 qui empochent des dizaines de milliards d'argent public ?
La suppression des emplois aidés est donc avant tout une mesure idéologique. Elle vise à nous annoncer que, dorénavant, subventionner des emplois pour satisfaire de vrais besoins sociaux est illégitime. C'est d'ailleurs la même logique qui est à l'oeuvre vis-à-vis de toute la fonction publique. Car vous aurez tout de même noté que Macron, qui critique le caractère précaire des emplois aidés, n'a pas été jusqu'à annoncer leur conversion en emplois publics. La dépense publique serait par nature illégitime, tandis que gaver les grandes entreprises avec l'argent des contribuables, serait rationnel sur le plan économique et bénéfique pour l'ensemble de la société.
Ce gouvernement est tellement soumis aux intérêts de la finance et des géants du CAC 40, qu'il en a même supprimé la prime à l'embauche pour les PME. Par ailleurs, il supprime les contrats aidés, mais rétablit les emplois francs -tout aussi subventionnés- dans les quartiers de la politique de la ville, qui fonctionnent sur le même principe de prime à l'embauche. L'incohérence des mesures annoncées avec le discours politique et économique censé les soutenir ne gêne même plus Macron et sa bande, ivres qu'ils sont de leur réussite : avoir rpu faire passer sans encombres, grâce à une majorité écrasante à l'assemblée, un train de mesures antisociales, et en un temps record. Ce qui est le principe même du blitzkrieg social, qu'avait annoncé Fillon. Macron, lui, est plus habile, il n'a pas eu la bêtise d'employer l'expression. Mais il en a repris la méthode. Le message qu'il nous envoie est clair : les subventions sont légitimes, pourvu qu'elles servent des intérêts privés.
Véronique Valentino