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Les rapatriements de migrants maliens, un test pour les accords Europe-Afrique

En essayant de bloquer les migrants à tout prix, même en violation des droits humains, comme cela a déjà été fait avec la Turquie et, plus récemment, avec l’Égypte et la Libye, l'Union Européenne est elle-même en partie responsable du sort des réfugiés soumis aux passeurs, aux seigneurs de la guerre, et trafiquants. Pour un reportage de CNN, qui a confirmé les rumeurs qui couraient sur le retour en Libye d'une forme d'esclavage, l'opinion africaine (on aimerait dire l'opinion publique mondiale, mais les Européens semblent s'en moquer, par exemple) s'est émue et réclame des sanctions qui ne seront à l'évidence jamais appliquées dans un pays qui n'en est même plus un. Ce reportage réalisé au Mali il y a bientôt un an sur le retour au pays de ressortissants maliens sortis des prisons pour migrants aurait pu déjà alerter. Les témoignages ne laissent pas place au doute. Pourquoi n'en parlait-on pas plus ? Parce que l'élément clé de ce reportage, c'est ce qu'il révèle des accords passés entre l'Union Européenne et les pays d'origine des migrants pour les retenir - ou les ramener - chez eux. Et là, c'est pas très glorieux.

L'Autre Quotidien

Aéroport de Bamako, 29 décembre, 17h45. Si ce n’était le nombreux comité d’accueil sur la piste, l’avion qui vient d’atterrir semblerait être un vol régulier comme tant d’autres. Mais aujourd’hui, il n’y a aucune arrivée programmée pour cette heure-ci. Les journalistes préparent leurs trépieds, leurs caméras et appareils photo. Près d’eux, au premier rang au pied de l’escalier, des fonctionnaires du gouvernement en costume cravate, des opérateurs de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) au Mali avec leurs dossards bleus et un fauteuil roulant, le chef de la protection civile de Bamako et un groupe de soldats flegmatiques en tenue de camouflage.

L’arrivée des migrants maliens à l’aéroport de Bamako, le 29 décembre 2016. (Sébastien Rieussec)

A l’ouverture de la porte de l’avion, une masse de personnes dépaysées commence à descendre les marches illuminées par les flashs des photographes. “Nous sommes ici pour accueillir, les bras ouverts, les fils du Mali qui ont décidé de rentrer à la maison”. Les “fils du Mali”, comme les appelle rhétoriquement Moussa Koné, chef du cabinet du Ministère des Maliens de l'Extérieur, ce sont 152 migrants de retour de Libye. “Parmi eux, il y a aussi cinquante détenus libérés des prisons libyennes et ramenés au Mali grâce aux efforts de notre ambassade en Libye, de l’OIM et des autres organisations avec lesquelles nous collaborons”.

À leur descente de l’avion mis à disposition par l’OIM, les migrants maliens montent dans quatre autocars et sont transportés au siège central de la Protection civile de Bamako. Durant le bref trajet, hommes, femmes et enfants se tiennent le nez collé à la fenêtre comme des touristes qui font une excursion. “Comme Bamako a changé… ça fait cinq ans que je ne l’avais pas vue”. Mamadou était un ado quand il est parti “à l’aventure”. Aujourd’hui, malgré ses vingt ans, cest un homme et, après s’être fait photographier avec son portable par son voisin de siège, il se laisse aller à des plaintes amères : “Grâce à Dieu, nous sommes revenus à la maison. Je n’avais jamais pris l’avion. Je suis heureux, mais en même temps, je ne sais pas quoi dire à ma famille, vu que je reviens au village les mains vides”. Comme beaucoup d’autres passagers, il porte une combinaison bleu foncé à capuche avec de grandes poches, et des chaussures de sport blanches et noires. En descendant de l’avion, ils avaient l’air d’une équipe de foot de retour d’un déplacement. “Les vêtements, c’est les opérateurs de l’OIM qui nous les ont donnés, quand ils sont venus nous sortir de prison à Tripoli”.

Les récits des gens qui, dans les dernières années ont connu les prisons pour migrants en Libye sont pleins de violence, d’exactions, de racisme, de rackets. “Mon frère est mort dans sa cellule. Il était trop faible, il n’a pas pu résister à nos conditions de détention”. Mamadou avoue à voix basse qu’il a passé plus d’un an en prison. “J’ai essayé trois fois de traverser la mer, trois fois j’ai été arrêté, trois fois mon père a dû envoyer l’argent pour payer la “rançon”. Les miliciens libyens réclamaient toujours plus pour nous libérer : 150, 200, 250 euros. La dernière fois, c’était le 4 novembre dernier, je me le rappellerai toujours. Nous étions 750 personnes sur une petite embarcation en bois qui a commencé à prendre l’eau après deux heures et demie de navigation. Nous avons demandé de l’aide, mais les barques des Libyens ne s’approchaient que pour faire des photos et des vidéos avec leurs portables. Ils sont tous morts, nous sommes sept à avoir été sauvés, grâce à l’arrivée d’un pétrolier, bien des heures après”.

Accueil à la Protection civile

L’autocar laisse derrière lui l’imposante Tour de l’Afrique, un ancien cadeau de Mouammar Khadafi, tourne à droite sur une petite route secondaire, et passe devant la gare routière de Sogoniko. Comme de nombreux passagers, Mamadou n’en croit pas ses yeux quand il voit l’endroit d’où il était parti. Sur un côté de la gare, symbole des migrations qui commencent ou passent par Bamako, il y a le siège de la Protection civile.

Ici les migrants sont identifiés, vaccinés (du moins ceux qui n’ont pas le carnet des vaccinations contre la fièvre jaune), restaurés et hébergés pour la nuit, avant d’être raccompagnés dans leurs villages d’origine le jour suivant. “Trente-deux femmes, vingt et un enfants, trois mineurs non accompagnés et trois personnes qui ont besoin de soins médicaux”, annonce le commandant Bakary Daou, directeur de cette structure. “Nous sommes prêts à offrir un accueil digne à tous nos concitoyens qui veulent rentrer volontairement des pays où ils sont en difficulté. Au cours des derniers mois, les retours d’Algérie et de Libye se sont multipliés et nous savons qu’à l’avenir, les migrants qui veulent rentrer seront encore plus nombreux”.

A l’extérieur du siège de la Protection civile, 29 décembre 2016. (Sébastien Rieussec)

Mais, comme le montre le cas de Mamadou et de ses camarades, les retours ne sont pas toujours volontaires. Et lors de la conférence de presse pour la Journée mondiale du migrant célébrée le 18 décembre dernier, Ousmane Diarra, président de l’Association malienne des expulsés, l’a rappelé : “Durant l’année 2016, nous avons enregistré 6627 expulsions d’Algérie, 45 de Libye, 29 du Niger, sept d’Allemagne, cinq de France, une de Suède. Ces données sont hélas destinées à augmenter sensiblement au cours de l’année 2017”. Cette association est unique en son genre en Afrique. Formée par d’ex-migrants victimes d’expulsions, comme Diarra, il y a plus de vingt ans qu’elle lutte pour la défense des droits des personnes en voyage. “Aujourd’hui plus que jamais, l’opinion publique malienne, particulièrement informée sur ce sujet du fait que, dans chaque famille, il y a au moins une personne résidant à l’étranger et plusieurs candidats à la migration, doit rester vigilante et se mobiliser contre la signature des accords imposés par l’Union Européenne pour essayer de bloquer les migrants à tout prix, même en violation des droits humains, comme cela a déjà été fait avec la Turquie et, plus récemment, avec l’Égypte et la Libye”.

Lors du sommet sur la migration entre l’Union Européenne et l’Union Africaine qui s’est déroulé à La Valette en novembre 2015, le Mali a été désigné, tout comme le Niger, le Nigéria, le Sénégal et l’Éthiopie, comme un pays d’intérêt prioritaire pour le contrôle des routes de la Méditerranée centrale. La création, à la rencontre de Malte, d’un Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, consolidé en juin 2016 par l’institution d’un Fonds européen pour le développement durable de 3,35 milliards d’euros, garantit à l’Union des instruments financiers intégrés (publics et privés) pour faire pression sur les pays africains signataires de l’accord de Cotonou afin qu’ils signent des pactes de coopération pour le contrôle des flux migratoires. Ces accords, appelés “compacts”, ont été proposés sur initiative italienne comme une pièce maîtresse dans les nouvelles relations entre l’Europe et l’Afrique, qui se concentrent de plus en plus sur le triptyque “développement-migration-terrorisme”.

Le bâton et la carotte

L’”accord du désaccord” ou du “bâton et la carotte”, comme l’ont défini les médias maliens, a été annoncé fin décembre par les hauts représentants de la diplomatie européenne. Après sept visites au Mali du bureau de Federica Mogherini, la haute représentante de l’Union Européenne aux Affaires étrangères et à la politique de sécurité, a été annoncée, à l’ambassade des Pays-Bas à Bamako, la signature historique du premier compact avec le Mali, qui devrait prévoir également un accord sur les réadmissions. Le conditionnel est obligatoire étant donné que, sous la forte pression de l’opinion publique interne et externe (manifestations à Bamako et occupation pendant des semaines des consulats maliens en France et en Espagne), le gouvernement d’Ibrahim Boubakar Keita s’est empressé de préciser qu’il s’agit seulement d’un “document d’intentions”, sans la valeur juridique d’un accord.

Un vice de forme pour gagner du temps dans les négociations, mais qui a été suivi d’une action politique concrète : le 28 décembre, deux migrants expulsés de France ont été ensuite renvoyés par la police malienne des frontières à l’aéroport de Bamako parce qu’ils étaient seulement en possession de “laissez-passer européens”. “Le gouvernement de la République du Mali a toujours clairement indiqué aux partenaires européens son opposition à l’utilisation du “laissez-passer européen” pour expulser nos compatriotes ou présumés tels. L’utilisation du laissez-passer européen est contraire aux conventions internationales”, dit un communiqué du gouvernement.

Ce n’est pas par hasard que le “laissez-passer européen” - un document qui permet aux États de l’Union Européenne d’expulser les migrants sans consulter les ambassades ou les consulats du pays d’origine - est un des piliers du compact, avec le retour, la réadmission et la réintégration dans la patrie. L’envoi d’”officiers de liaison” maliens dans les États européens, pour faciliter l’identification des migrants qui devraient être expulsés, comme c’est déjà arrivé dans les derniers mois à Malte et en Allemagne (qui voudrait expulser 700 Maliens), est un autre problème brûlant. Avec cette initiative à la tonalité populiste, le Mali crée un précédent juridique qui complique la signature des compacts de la part des pays africains. Le tout à quelques jours du deuxième sommet de La Valette, prévu pour les 8 et 9 février, qui s’annonce très chaud. Affaire à suivre, écrivent les journaux au Mali.

Andrea de Georgio 
Traduit par  Rosa Llorens
Edité par  Fausto Giudice

Merci à Tlaxcala
Source: http://www.internazionale.it/reportage/andrea-de-georgio/2017/01/17/rimpatri-migranti-mali
Date de parution de l'article original: 17/01/2017
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=19717