L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Se cogner la tête contre les murs : reportage photo en Palestine occupée

Arthur S. et Nejma G. (1) se sont rendus en Palestine il y a quelques mois. Ils en ont ramené un texte et des photos, que nous publions aujourd’hui. Lui est étudiant en géographie, elle envisage de devenir journaliste. Entre géopolitique des frontières et anecdotes du quotidien, ils nous montrent un pays travaillé par les murs, réels et mentaux, qu’il semble s'être condamné à édifier entre les peuples et les êtres.

 

Israël terre d'accueil (mais en fonction de tes origines)

Assis plus ou moins confortablement dans l'avion n°76767 en direction de Tel Aviv, nous observons à travers nos hublots les paysages terrestres défiler, cachés sporadiquement par des nuages solitaires qui stationnent au-dessus des frontières invisibles. Paniqués par l'altitude, les muscles agacés par les secousses, nous nous serrons les mains, afin de ne pas être séparés en cas de chute mortelle. Un homme vient à la rencontre de chaque passager et propose de prier à l'aide de sa téfiline, pour toucher Dieu de la tête, ce qui ne nous rassure pas tellement. Enfin, arrivés à l'aéroport Ben Gourion, théoricien sioniste créateur de l'Etat d'Israël, on nous demande de patienter dans une salle d'attente. Car l'un de nous a un nom de famille à consonance arabe. Ornée d'une fresque de huit mètres de haut représentant le chandelier sacré et l'étoile de David, la salle, peuplée d'Imams et d'arabes ordinaires, de russes et d'humanitaires occidentaux, est imbibée d'angoisse, alors qu'un homme vient toutes les trente minutes déclamer des noms : d'un côté ceux qui devront repartir, de l'autre ceux que l'on autorise à pénétrer en terre d'Israël. Trois heures plus tard, après plusieurs interrogatoires sans encombre, une observation accrue de notre comportement en situation d'attente et une invitation tamponnée à franchir la frontière, nous sautons dans un minibus en direction de Jerusalem. Il effectue un premier arrêt dans une nouvelle colonie taillée de toute pièce sur le flanc d'une colline avant de nous déposer dans le centre de la ville sainte.

La frontière, c'est l'amplification du temps. Durant deux jours nous traversons Jerusalem et ses quartiers juifs, musulmans, chrétiens, nous voyons des kippas et des voiles et des croix et des mitraillettes, civiles et militaires. On a l'impression que l'humanité entière est présente en un seul et même endroit, mais que rien ne communique, comme un labyrinthe sans solution. La traversée des contrastes est telle que les minutes paraissent des heures et les heures des jours entiers; nos pensées sont occupées en permanence à tenter de savoir comment les autres nous perçoivent (touristes ? musulmans ? juifs ? chrétiens ? infiltrés kosovars ? envoyés de Dieu sur terre ?). Occupation accentuée par les regards insistants, possiblement imaginaires, que nous subissons en permanence. La paranoïa a fini par prendre le dessus lorsque nous avons appris qu'une attaque a eu lieu le matin même, vers la Porte de Damas : un Palestinien a tué au couteau une militaire Israélienne. L'homme a été tué par balles directement après son acte assassin. Pris d'un réflexe de fuite irrationnel, motivé par notre volonté de comprendre au-delà d'une attaque isolée, nous embarquons dans le bus de nuit pour Ramallah. A vol d'oiseau, c'est trente minutes. Mais il faut contourner le mur, emprunter les routes certifiées, arriver au check-point de Kalandia, descendre du bus, traverser à pied les couloirs, saluer les soldats, passer les détecteurs de métaux, marcher de manière coupable près des palestiniens qui attendent depuis plusieurs heures, parfois plusieurs années, de pouvoir franchir la frontière.

La Palestine est une prison (pour innocents). Notre objectif est d'aller à la rencontre des grandes villes Palestiniennes, non pas à Gaza, quasiment impossible d'accès, mais dans ce qui est appelé Cisjordanie, ou Territoires Palestiniens Occupés, découpé en zones A, B, C . Nous irons à Ramallah donc, mais aussi à Jericho, Bethléem, Naplouse et Hébron. En tant que jeunes occidentaux dotés du bon passeport, nous avons le privilège de passer la frontière comme bon nous semble et ainsi, nous nous retrouvons dans la position du visiteur de prison - en Cisjordanie, chaque ville est une cellule bordée par des campagnes qui sont des couloirs sous surveillance et contrôle israélien, parsemés ici et là par des colonies. Et il n'existe pas d'autre lieu où se ressent autant la frontière qu'une prison : celle-ci contamine le quotidien palestinien dans toutes ses dimensions. A Ramallah, la frontière c'est la sympathie, la gentillesse, l'accueil, la chaleur des palestiniens, le mot Welcome qui abreuve les rues, face aux maisons en ruine, détruites par les soldats israéliens en guise de représailles. C'est le livre Mein Kampf vendu dans les librairies informelles face à l'immense villa de Mahmoud Abbas, Premier Ministre Palestinien, ironiquement entourée d'un mur de séparation. A Jericho, la frontière c'est le camp de réfugiés d'Aqabat Jabr, sorte de cité des enfants perdus, dans ce cas cité des enfants déplacés, spoliés, abandonnés, face à l'accès, gratuit pour les Israéliens, restreint pour les Palestiniens, à la Mer Morte. C'est cette plage foisonnant de touristes en bikinis et shorts aux couleurs d'Israël se baignant dans le sel sous le regard du temple de la Tentation, face à la Jordanie, dont la population comprend 60% de réfugiés palestiniens. A Bethléem, la frontière c'est le mur, physique, violent, que l'on voit au loin comme un élément presque banal du paysage et que l'on regarde au premier plan barbouillé de messages de paix, d'amour, de rapprochement mais aussi de revendications politiques qui deviennent évidentes et poétiques lorsque l'on s'aperçoit que le ciment nous empêche de penser. A Naplouse, la frontière c'est ce jeune Palestinien qui nous explique, autour d'une chicha, avec un sourire résigné et une joie de vivre qu'il nous est impossible de comprendre, qu'Israël lui interdit de sortir de Palestine car il filme son propre pays et qu'il ne pourra donc jamais voyager librement. A Hébron, la frontière c'est le centre, ville fantôme, où les colons se sont installés aux premiers étages des bâtiments et par haine déversent leurs ordures dans les rues, autrefois peuplées de Palestiniens. Aujourd'hui, des grillages empêchent les ordures de pourrir au sol, mais marcher sous un toit d'ordure n'est pas chose aisée, alors le désert s'invite en ville. La frontière, c'est le sourire d'une musulmane qui pose devant de jeunes militaires juifs innocents mais armés venus visiter la Mosquée d'Hebron, construite sur le Tombeau des Patriarches, abritant des cénotaphes en leurs noms, dont les répliques exactes se situent à quelques mètres, dans la Synagogue d'Hebron, comme si les morts pouvaient se décupler. La frontière, c'est le soutien du monde politique occidental à son activité historique favorite, la colonisation, face à un drapeau, presque nu, solitaire, mais animé par le vent des collines et l'humeur des oliviers.

1. Des attaques semblables ont lieu tous les jours, d'un côté comme de l'autre. Notre but ici n'est pas d'établir un procès statistique, mais vu l'exemple cité nous nous devons de rappeler que : du 1er Octobre 2015 au 30 Septembre 2016, sur les 275 individus morts dans le conflit, 236 étaient Palestiniens, 34 étaient Israéliens; 5 étaient de nationalité étrangère (source : Maan News Agency). Par ailleurs, il est estimé que depuis 1967, Israël a emprisonné 20% de la population palestinienne totale (800 000 individus); si l'on se concentre sur les hommes, le pourcentage augmente considérablement : 40% des hommes palestiniens ont déjà été détenus en prison. (source : Addameer). Au 1er avril 2017, 7000 Palestiniens sont détenus dans les prisons Israéliennes, dont 400 enfants (source : Al Jazeera). Ces détentions sont le plus souvent des détentions "préventives", casées sous le bien-nommé terme magique "détention administrative". On ne rappellera jamais assez le rôle dévastateur que peut tenir la prison : "la prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants" (Michel Foucault, Surveiller et Punir)

2. "La zone A (qui recouvre aujourd'hui environ 18% de la superficie totale des territoires et regroupe près de 50% de la population) est sous le contrôle civil et militaire palestinien et englobe les grandes villes, à l'exception d'Hébron, qui est en partie sous le contrôle de l'armée israélienne. La zone B (actuellement près de 18% du territoire, et environ 40% de la population) est sous le contrôle civil et militaire palestinien et englobe les grandes villes, à l'exception d'Hébron, qui est en partie contrôle de l'armée israélienne. La zone B (actuellement près de 18% du territoire, et environ 40% de la population) est sous contrôle civil palestinien et sous contrôle militaire conjoint israélo-palestinien et comprend essentiellement des communes rurales et des villages. La zone C (qui représente aujourd'hui à peu près 60% du territoire, et abrite environ 6% de la population) est la seule bande de terre continue, et se trouve entièrement sous contrôle israélien, tant au plan civil que militaire. Ces territoires se composent avant tout de zones peu peuplées, de villages palestiniens et de colonies israéliennes." Source : OCHA (Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations-unies)

Nejma G et Arthur S.

Arthur S. et Nejma G. ont préféré garder l’anonymat, afin de pouvoir retourner en Israël pour un autre reportage. Un souci qui est tout sauf anecdotique, lorsqu’on voit la mésaventure des députés de gauche français interdits de territoire israélien, alors qu’ils comptaient se rendre dans le pays pour y rencontrer des prisonniers, notamment le Mandela palestinien, Marwan Barghouti.


Se cogner la tête contre les murs israéliens comme expérience du voyage en Palestine

Vue du mur de séparation depuis Jerusalem

La construction du mur de séparation a commencé en 2002. L'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté le 21 octobre 2003 une résolution condamnant la construction du mur, avec une écrasante majorité, par 144 voix pour et 4 voix contre. Le 9 juillet 2004 la Cour Internationale de Justice a jugé la construction du mur illégale et a exigé son démantèlement.

Aujourd'hui le mur atteint environ 700 kilomètres de longueur.

Vue du mur de séparation depuis Bethléem.

Le tracé du mur ne suit qu'à 20% celui de la Ligne Verte, ligne de démarcation adoptée en 1949 résultant des accords d'armistice entre Israël et les pays arabes voisins.

Il empiète de manière significative sur le territoire Cisjordanien et sous couvert d'arguments sécuritaires, a entraîné des déplacements de population importants, un effondrement de l'économie palestinienne, des restrictions de liberté générale pour les palestiniens (circulation, accès aux lieux saints, accès à la santé, divisions familiales). Les conséquences psychologiques et la situation anxiogène créée ne sont pas à démontrer.

Un enfant dans le camp de réfugiés d'Aqabat Jabr

Aqabat Jabr est un camp de réfugiés situé à proximité de la ville Palestinienne de Jericho. Le camp a été créé en 1948 suite au Plan de Partage de la Palestine pour accueillir environ 30 000 réfugiés Palestiniens en provenance des régions d'Haifa, Gaza et Hébron. En 2007, il ne compte plus que 6851 habitants, la plupart des familles ayant fui en Jordanie pendant la guerre des Six Jours de 1967. 44,2% des habitants d'Aqabat Jabr sont des enfants de moins de 15 ans.

La plage de Nevemidbar près de la mer Morte

La plage de Nevemidbar est en zone A (sous contrôle civil et militaire Israélien), comme 60% du territoire Cisjordanien. Située à seulement 5 kilomètres du camp d'Aqabat Jabr, les Palestiniens y ont théoriquement droit d'accès, mais comme l'ensemble des plages de la Mer Morte de

Cisjordanie, il sera difficile d'en apercevoir : non seulement l'accès leur est payant, contrairement aux Israéliens, mais les militaires Israéliens les empêchent parfois tout simplement d'y accéder, notamment en période de fêtes Juives, pour laisser entière place aux colons habitant à proximité.

Une musulmane posant devant des militaires Israéliens dans la Mosquée d'Hebron

Dans le centre-ville d'Hebron se situe le Tombeau des Patriarches, au-dessus duquel sont installées une Mosquée, et plus récemment une Synagogue.

Le Tombeau des Patriarches abriterait les tombes des patriarches bibliques Abraham, Isaac, Jacob et de leurs épouses Sarah, Rébecca et Léa..

Le Tombeau des Patriarches est un lieu saint et un site de pèlerinage pour les trois religions monothéistes - le christianisme, l'islam et le judaïsme.

Cette importance religieuse fait de ce lieu et d'Hebron de manière générale un espace de tensions, agrémenté d'un historique de massacres important, commis autant par les Juifs que les Arabes. Le dernier massacre en date a eu lieu le 25 février 1994 au sein même de la Mosquée d'Hebron. Baruch Goldstein, colon israélien extrémiste, rentra dans la Mosquée armé d'un fusil d'assaut, tua 29 palestiniens et en blessa 125 autres, alors qu'ils étaient en train de prier.

Les ordures du centre-ville d'Hebron

Dans le centre-ville d'Hebron, des colons extrémistes Israéliens se sont installés aux premiers étages des bâtiments, afin de se rapprocher du Tombeau des Patriarches, et ceci illégalement - au regard de la loi internationale mais aussi de la loi Israélienne. Ils ont commencé à déverser leurs ordures dans les rues, là où les Palestiniens tenaient leurs commerces. Un grillage a depuis été installé, ce qui n'a pas empêché le déversement d'ordures de continuer. Aujourd'hui il n'y a plus aucun commerce.

Centre-ville d'Hebron

Le 7 juillet 2017 l'UNESCO a inscrit le centre-ville d'Hebron et plus particulièrement le Tombeau des Patriarches, considéré comme site palestinien « d'une valeur universelle exceptionnelle en danger », sur les listes du Patrimoine Mondial de l'Humanité et du Patrimoine Mondial de l'Humanité en Péril. Par conséquent, Israël et les Etats-Unis se sont retirés de l'UNESCO.

Palestiniens dans le centre-ville de Naplouse

La Palestine (Cisjordanie et Bande de Gaza comprises) compte 4,4 millions d'habitants. On estime à 6 millions le nombre de Palestiniens vivant hors de leur propre pays, ce qui en fait une des diasporas les plus importantes au monde.

Palestiniens dans le centre-ville de Naplouse (2)

Au-delà des chiffres, au-delà de l'Histoire, au-delà des jugements de responsabilité intentés de part et d'autre, ce qui marque le plus en Palestine, c'est le sentiment de joie et de bonheur qui fourmille dans les rues, c'est la résilience d'un peuple face à son destin tragique.

Il y'a une expression intense d'humanité qui se dessine sur les visages lorsqu'on leur parle.

Et cela suffit à comprendre.

To be continued...

Arthur S. et Nejma G.