« Retour forcé vers l’insécurité » : l’expulsion massive des Afghans par les pays européens
Les pays européens, dont la France, multiplient les renvois d'étrangers dans des pays où ils risquent leur vie, comme la Somalie ou le Soudan. Alors que l'Afghanistan n'en finit plus de se débattre avec une guerre civile dont les interventions occidentales sont largement responsables, le nombre de personnes expulsées vers Kaboul a triplé en un an, mettant clairement leur vie en danger.
« Une violation flagrante du droit international ». C’est ainsi que Amnesty International qualifie le renvoi vers l’Afghanistan de près de 9 500 personnes par les pays européens en 2016. Un chiffre qui a triplé depuis 2015. L’organisation de défense des droits de l’homme rappelle que, cette même année, selon une mission de l’ONU, près de 11500 personnes y ont été tuées, dont la moitié sont des civils. Dans le rapport qu’elle publie aujourd’hui sur son site, Amnesty explique que « des civils sont pris pour cible dans toutes les régions du pays notamment à Kaboul », particulièrement les enfants, les minorités sexuelles et les personnes perçues comme « occidentalisées ». Selon l’ONU, l’année 2016 a été l’année la plus meurtrière jamais enregistrée en Afghanistan pour les civils.
En France, les expulsions d’Afghans ont augmenté de 50%
Pour ce qui est du renvoi des Afghans vers un pays déchiré par la guerre civile, la France n’est pas en reste, puisqu’elle a expulsé 640 Afghans en 2016, contre 435 en 2015. Soit une augmentation de 50%. Ces renvois auraient été effectués sur une base volontaire. Mais, compte tenu des conditions indignes dans lesquels vivent les personnes concernées sur le territoire français, l’ONG émet des doutes sur le caractère volontaire de ces renvois. Elle rappelle que les placements en rétention de ressortissants afghans a également triplé en 2015 et 2016. Selon les chiffres de la Cimade, 1046 civils afghans ont été placés en centre de rétention en 2016. Un chiffre qui a encore augmenté en 2017, puisque pour la seule période de janvier à septembre, leur nombre grimpe à 1614.
Les « dublinés » en première ligne
Les personnes placées dans les centres de rétention français courent le risque d’être renvoyés vers d’autres pays européens -dans le cadre de la « procédure de Dublin » (1)-, comme la Suède, le Royaume-Uni, la Norvège ou l’Allemagne, pays qui renvoient le plus de personnes en Afghanistan. Plusieurs pays européens n’ont pas hésité à déclarer sûres un certain nombre de zones du territoire afghan, ne misant sur une « option de déplacement à l’intérieur du pays ». « Autrement dit, écrit Amnesty, « les pouvoirs publics reconnaissent que la province d’origine de la personne est dangereuse, mais lui demandent d’aller vivre ailleurs dans son pays ». Kaboul a pu ainsi être déclaré zone sûre, alors que l’ONU reconnaît que la capitale et sa province restent la zone la plus meurtrière pour les civils.
Des témoignages glaçants
Amnesty, dont plusieurs membres se sont rendus en Afghanistan en mai 2017, a pu recueillir sur place un certain nombre de témoignages qui montrent les dangers auxquels sont exposées les personnes que les pays européens renvoient vers l’Afghanistan. Il cite notamment le cas de Sadeqa et de sa famille, qui ont fui en 2015. Son mari, Hadi, avait été enlevé, roué de coups et contraint de payer une rançon. Réfugiés en Norvège, ils ont été déboutés du droit d’asile et contraint au retour. Quelques mois après leur retour dans le pays, Hadi a disparu. Sadeqa a appris, quelques jours plus tard, qu’il avait été tué. Depuis, la jeune femme vit cloitrée chez elle, « terrorisée au point qu’elle a peur de se rendre sur la tombe de son mari avec ses enfants ».
Des pressions sur le gouvernement afghan
Ces renvois, qu’ils soient forcés ou dits « volontaires », sont la conséquence d’un accord de coopération, signé en catimini, en octobre 2016, entre le gouvernement de Kaboul et l’Union européenne. Baptisé ironiquement « Action conjointe pour le futur », l’accord vise à faire pression sur le gouvernement afghan pour qu’il facilite le retour de ses nationaux depuis les pays membres de l’UE. Le rapport cite une déclaration du ministre des finances afghan devant le parlement : « Si l’Afghanistan ne coopère pas avec les pays de l’Union européenne dans le cadre de la crise des réfugiés, cela aura des conséquences négatives pour le montant de l’aide allouée à notre pays ». Une source proche du gouvernement de Kaboul aurait qualifié l’accord de « coupe de poison », que le gouvernement afghan aurait été obligé d’avaler en échange d’une aide au développement, alors que l’aide internationale représente 70% des ressources du pays.
Un moratoire sur les expulsions
Selon une note datée de mars 2016 ayant fuité, l’objectif serait de renvoyer 80 000 Afghans vers leur pays d’origine, alors même que l’UE reconnaît dans le même temps que l’Afghanistan est confronté à « une détérioration de sa situation sécuritaire et une aggravation des menaces auxquelles les gens sont exposés, avec un nombre record d’attaques terroristes et de civils tués ou blessés ». Amnesty exige donc un moratoire sur le renvoi des réfugiés afghans et rappelle qu’en vertu de la déclaration universelle des droits de l’homme, « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ». Et rappelle que le principe de non-refoulement, qui est légalement contraignant en vertu du droit international, interdit aux pays européens d’envoyer un individu dans un endroit où existe un risque réel d’atteintes graves à ses droits fondamentaux.
(1) Règlement de Dublin : Aux termes des accords de Dublin, les demandeurs d’asile sont renvoyés dans le pays où ils ont initialement déposé leur demande.
L’Autre Quotidien
Lire le rapport d’Amnesty International : https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr%2F2df2d4c9-9b58-4ce8-b0f2-ad71df39de87_asa_11_6866_2017_synthese_fr.pdf
Signer la pétition « Halte aux expulsions vers l’Afghanistan » : https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/petitions/halte-aux-expulsions-vers-lafghanistan