L'AUTRE QUOTIDIEN

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Colère à Cayenne : les Guyanais exigent le respect de la parole de l'Etat

En mars-avril dernier, un puissant mouvement de protestation paralysait la Guyane. Pour mettre fin à la grogne, le précédent gouvernement avait accepté un plan d’urgence de plus d’un milliard d’euros. C’est le respect de ces engagements que réclame le mouvement social guyanais.

« Je ne suis pas le Père Noël, parce que les Guyanais ne sont pas des enfants ». Cette déclaration dans laquelle Macron explique qu’il n’est « pas venu faire des promesses, [parce que] ce temps-là est fini », ont largement contribué à mettre le feu aux poudres, dans un département où la situation reste explosive, depuis le vaste mouvement social qui avait paralysé ce département et région d’outre-mer. Ce territoire d’outre-mer est le plus vaste mais aussi le moins bien doté sur le plan des services publics et des infrastructures.

Arrivé hier à Cayenne pour une visite de deux jours, Macron aura accumulé les symboles désastreux et les phrases calamiteuses, ce qui a suscité la colère chez les Guyanais qui lui reprochent son mépris. Comme ce déplacement à Maripasoula, commune située au sud-ouest, à la frontière fluviale du Surinam. Guyane première racontait comment, alors que le président devait prononcer un discours sur un podium dressé devant la mairie, les autorités locales avaient installé des panneaux de contreplaqué pour dissimuler une maison particulièrement défraîchie. Tout un symbole, car cette maison est celle de Omer Jacobin, le père de Yoma, l’un des plus grands boxeurs guyanais…

Maripasoula, qui est la plus vaste commune française -sa taille est de une fois et demi celle de l’Ile-de-France-, est aussi l’une des plus déshéritée et enclavée. La ville n’est accessible qu’en hélicoptère ou en pirogue. Le président devait ensuite se rendre à Kourou, toujours en hélicoptère. Ce qui lui vaut l’accusation de « survoler la Guyane » et les Guyanais, puisqu’il n’empruntera pas les routes particulièrement détériorées du territoire. Line Létard, conseillère municipale à Kourou racontait comment Macron avait indiqué ne pas vouloir construire d’hôpital à Maripasoula, parce qu’il « serait rempli par les Brésiliens ». Une boutade très mal reçue par ses interlocuteurs qui rappellent que Maripasoula n’est pas limitrophe du Brésil, mais du Surinam.

Il y a aussi eu ces consignes distribuées aux journalistes participant au voyage présidentiel : « ne pas consommer de l’eau du robinet, des glaçons, des légumes crus, des poissons, des œufs dont vous ne connaissez pas la provenance et des viandes insuffisamment cuites », ne pas se baigner ou encore éviter « tout contact avec les animaux ».  Ces consignes font aussi référence à une épidémie de Zika terminée depuis plus d’un an. Plus ignoble encore, les journalistes se voient conseillés de ne pas avoir de rapports sexuels non protégés sur place. La note de l'Elysée a bien entendu suscité des réactions ulcérées des maires guyanais. On se souvient aussi que, lors d’un déplacement à la Réunion en mars dernier, en pleine crise sociale guyanaise, il avait qualifié la Guyane… d’île. Une précédente bourde concernant une mère de famille « expatriée en Guadeloupe » avait déjà ulcéré les ultramarins. Ces bévues répétées révèlent non seulement une ignorance crasse des réalités de ces territoires mais aussi un mépris fortement teinté de colonialisme.

Ce qu’ont très bien compris les Guyanais qui ont manifesté à Cayenne hier. Le collectif Pou lagwiyann dékolé -Pour que la Guyane décolle- avait organisé une marche dans l’après-midi et une opération ville morte. Ils demandaient à être reçu le jour-même, alors que Macron proposait de les rencontrer le lendemain. Près d’un millier de personnes ont défilé dans le calme jusqu’à la préfecture, où Macron rencontrait les maires, pour exiger le respect des accords conclus avec le gouvernement précédent. Devant le bâtiment préfectoral, des barrières avaient été dressées, ce qui suscite la colère des manifestants. A 20h15, les barrières sont renversées par la foule, ce qui entraîne une riposte des policiers, qui font alors usage de gaz lacrymogène, provoquant un mouvement de panique. Les tensions accumulées débouchent sur des échauffourées entre manifestants et policiers, qui se poursuivront tard dans la nuit.

On mesure dans cette séquence toute la morgue d’Emmanuel Macron, qui entretient le doute sur la principale revendication du collectif Pou lagwiyann dékolé. Celui-ci ne fait que réclamer le respect de la parole de l’Etat et la mise en œuvre du plan de développement négocié avec le précédent gouvernement. Or, les maires reçus hier à la préfecture par Macron sont ressortis de la réunion avec le sentiment qu’on les fait lanterner pour appliquer l’accord du 21 avril dernier. Celui-ci prévoyait une enveloppe de 1,1 milliard à débloquer pour l’immédiat et 2,1 milliards d’euros supplémentaires pour des mesures d’urgence. L’accord concerne tous les secteurs : éducation, santé, chômage, infrastructures, économie du territoire, sécurité… Rappelons que de nombreuses communes guyanaises n’ont encore ni eau, ni électricité. Les Guyanais demandent donc une égalité des conditions de vie avec la métropole.

L’accord signé en avril dernier était perçu comme une volonté de l’Etat française d’avancer sur ce processus de rattrapage social et économique. Il s’agissait là d’un engagement ferme de l’Etat et a d’ailleurs été publié au journal officiel le 2 mai dernier. Il est donc tout à fait irresponsable de la part de Macron de laisser à la fois entendre que l’Etat respectera ses engagements tout en expliquant qu’il ne fera que des promesses qu’il peut tenir. Cet entre-deux n’est pas tenable et les maires guyanais qui ont rencontré Macron ont cru comprendre que si le premier milliard promis en urgence -mais toujours attendu- serait bien débloqué, il n’en irait pas de même pour la deuxième tranche de crédits d’un montant de 2,1 milliards.  Dans son préambule, l’accord du 21 avril évoquait « un sentiment d’abandon », revendiquant « un traitement juste et équitable » des difficultés auxquelles la Guyane doit faire face. Il expliquait que « le mouvement (de protestation] traduit une demande de plus de considération par la République et la volonté des Guyanais de prendre en main leur destin ». Emmanuel Macron aurait été bien inspiré de prendre la mesure de ces attentes avant des'envoler pour Cayenne.

Véronique Valentino