L'AUTRE QUOTIDIEN

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Frédéric Raguénès, automédia à défendre

Depuis six ans, Frédéric Raguénès filme ZAD, manifestations et mobilisations sociales et écologiques, partout en France et en Europe. Un travail militant qui en fait une cible privilégiée pour la police. Condamné à quatre mois de prison ferme en février, il comparaissait vendredi dernier devant la cour d’appel de Paris. Décision attendue à la veille de Noël.

L'arrestation de Frédéric Raguenès

Il paraît presque détendu, malgré l’enjeu. Frédéric Raguénès a été condamné à quatre mois de prison ferme, en première instance, malgré un dossier vide. Ce vendredi 20 octobre, une quinzaine de personnes sont venues soutenir le vidéaste militant. Amnesty international, qui suit de près les atteintes aux libertés fondamentales et qui a publié un rapport cinglant sur la répression des manifestations contre la loi travail en 2016, est également sur place. Son avocat a eu le temps de verser au dossier un ultime article de l’Humanité paru le jour même. Article qui s’ajoute à celui publié par Politis et aux cinq vidéos qui montrent l’arrestation musclée du vidéaste. 7500 responsables syndicaux, élus, artistes, universitaires, militants et citoyens ont signé une pétition pour réclamer sa relaxe.

Fred Mercure -c’est le nom de sa chaîne youtube- est poursuivi pour outrage par crachats, menaces de mort, rébellion et violences à l’encontre de deux policiers, lors de la manifestation du 5 juillet 2016. Ce jour-là, après un nouveau recours au 49-3 pour forcer l’adoption de la loi travail, une manifestation improvisée se forme devant l’assemblée nationale. L’ambiance est bon enfant, malgré une forte présence policière. Les manifestants sont rapidement nassés par les CRS sur le pont de la Concorde.

Pendant cette manifestation pacifique, la cinéaste Mariana Otero, auteure du film l’assemblée, qui a suivi le mouvement Nuit Debout, est embarquée avec plusieurs membres de son équipe, avant d'être relâchée, aucune charge ne pouvant être retenue contre eux. Juché sur le parapet, Fred, lui, filme pendant cinq heures le rassemblement à visage découvert, comme à son habitude. Sa caméra capture une série d’arrestations particulièrement violentes. Alors qu’il s’apprête à partir, le vidéaste est lui-même violemment plaqué au sol, frappé à la tête et menotté, puis embarqué sans ménagement. 

Devant la cour d’appel de Paris, Me Adrien Mamère démonte patiemment, ce vendredi, « un dossier vide », construit sur la seule foi du témoignage des deux CRS. Non seulement ceux-ci ne sont pas présents, mais, étant parties civiles au procès, ils ne prêtent pas serment, comme le rappelle l’avocat de la défense. Il dénonce la violation de la présomption d’innocence et le recours à des éléments de personnalité tirés de précédents dossiers d’instruction contre le vidéaste, qui se sont soldés par des relaxes. Des éléments « erronés en droit » et « pernicieux », dont Me Mamère demande la nullité.

Heureusement, l’avocat a eu la bonne idée d’apporter un ordinateur portable car rien n’est prévu pour visionner les cinq vidéos qui sont au centre du dossier présenté par la défense. Et qui montrent qu’à aucun moment Fred ne s’est rendu coupable des faits dont on l’accuse. Regroupés près du box de la greffière, les membres de la cour et la procureure visionneront attentivement ces images, penchés en rang serré sur l’écran du portable fourni par l’avocat.

Les insultes et les crachats à l’encontre des deux CRS ? Il n’en est pas l’auteur. Les violences ? C’est lui qui en a été la victime, comme en attestent les images tournées ce jour-là et le certificat médical joint à son dossier. Fred est aussi accusé par les deux CRS d’avoir menacé des journalistes, dans ce qui est peut-être une tactique pour isoler ce vidéaste militant. L’accusation est tout aussi fantaisiste et, comme le reste, ne repose sur aucune preuve. Ce dont finira par convenir, y compris la représentante du parquet, qui laisse la porte ouverte pour une relaxe, s’il existe « une place pour le doute ». Le jugement est sera finalement rendu le 22 décembre prochain.

Contrairement au procès qui s’était tenu en février dernier, les magistrats ont longuement interrogé le vidéaste pour tenter de comprendre. Celui qui se revendique comme « automédia » a ainsi pu expliquer son parcours et ses engagements. Un parcours étonnant qui l’a amené à tout quitter en 2012 -son travail de boulanger et son domicile toulousain-, pour aller à la rencontre du mouvement des Indignés à Madrid. Depuis, il sillonne la France et l’Europe, filmant les ZAD de Notre Dame des Landes et d’Agen, les manifestations contre le barrage de Sivens, celles contre la loi travail en 2016 et la réforme du code du travail en cours, en passant par les squats anarchistes d’Exarchia en Grèce.

Pacifiste, cet ex-militaire -il a été parachutiste- a participé à une marche pour la paix de 1000 kilomètres, de Berlin à Alep. Devant le tribunal, il s’assume comme « anarchiste », expliquant qu’il a pour habitude de « revendiquer ses actes », excepté, bien sûr, ceux qu’il n’a pas commis. « Ce n’est pas moi qui crée la violence, j’en témoigne », explique cet homme de 39 ans, dont les vidéos ont permis d’innocenter quinze à vingt personnes. Devant des magistrats interrogatifs, il explique n’avoir aucun domicile, récupérant des fruits et légumes invendus pour se nourrir. Invité à s’exprimer par le président du tribunal, il explique qu’une condamnation le contraindrait à mettre un terme à son activité.

Lui dont certaines vidéos -comme celle montrant un policier sortant son arme face à des manifestants en mai 2016 à Paris- ont été vues plus de 115 000 fois, tient à rester indépendant. Il refuse de faire payer son travail et a décliné une offre d’emploi de la chaîne pro-russe RT. Une totale liberté qu’il paie cher. A la veille de son procès en appel, il est aiguillé vers un squat en banlieue sud de Paris. Le soir-même, les policiers débarquent et embarquent tout le monde. Fred, qualifié de meneur, sera le seul à repartir avec une convocation en justice pour février prochain. Une de plus.

Véronique Valentino