L'AUTRE QUOTIDIEN

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Malte : "Nous sommes un peuple en guerre contre l'État et le crime organisé, qui sont devenus impossibles à distinguer"

Ma mère a été assassinée parce qu'elle se tenait entre la primauté du droit et ceux qui cherchaient à la violer. Mais elle a également été ciblée parce qu'elle était la seule personne à le faire. C'est ce qui arrive quand les institutions de l'État sont mises en incapacité : la dernière personne qui reste debout est souvent un.e journaliste. Ce qui fait d'elle la première personne laissée morte.

Je n'oublierai jamais comme je courais autour de l'enfer dans le champ, essayant de trouver un moyen d'ouvrir la porte, le klaxon de la voiture hurlant encore, et moi criant à deux policiers qui étaient arrivés avec un seul extincteur de l'utiliser. Ils me regardaient fixement. "Je suis désolé, nous ne pouvons rien faire", a dit l'un d'entre eux. J'ai regardé vers le bas et il y avait des parties du corps de ma mère tout autour de moi. Je me suis rendu compte qu'ils avaient raison, c'était sans espoir. "Qui est dans la voiture?", m'ont-ils demandé. "Ma mère est dans la voiture. Elle est morte. Elle est morte à cause de votre incompétence. " Oui, l'incompétence et la négligence qui ont provoqué l’échec à  empêcher que cela se produise.

Je suis désolé d'être si cru, mais c'est à ça que ressemble la guerre, et vous devez le savoir. Ce n'était pas un meurtre ordinaire et ce n'était pas tragique. C’est tragique quand quelqu'un est renversé par un bus. Quand il y a du sang et du feu tout autour de vous, c'est la guerre. Nous sommes un peuple en guerre contre l'État et le crime organisé, qui sont devenus impossibles à distinguer.

Quelques heures plus tard, pendant que ce clown de  Premier ministre faisait des déclarations au parlement à propos d'une journaliste qu'il a passé plus d'une décennie à diaboliser et à harceler, l'un des sergents de police censés enquêter  sur le meurtre de ma mère, Ramon Mifsud a posté sur facebook : "Chacun a ce qu'il mérite, bouse de vache! Je me sens heureux :)"

Oui, c'est là que nous en sommes: dans un État mafieux où vous pouvez maintenant changer votre sexe sur votre carte d'identité (Dieu merci pour cela!) mais où vous allez être mis en pièces pour exercer vos libertés fondamentales. Seulement à cause des gens censés vous protéger au lieu de célébrer votre mort. Comment en est –on arrivé là ?

Une culture d'impunité a été autorisée à prospérer par le gouvernement de Malte. C’ est peu réconfortant d’entendre le Premier ministre de ce pays dire qu'il ne «prendra aucun repos» tant que les auteurs n'auront pas été retrouvés, alors qu'il dirige un gouvernement qui encourage cette même impunité. D'abord il  a rempli ses bureaux  d'escrocs, puis il a rempli la police d’escrocs et d’ imbéciles, puis il a rempli les tribunaux d’ escrocs et d’ incompétents. Si les institutions fonctionnaient déjà, il n'y aurait pas d'assassinat sur lequel enquêter - et mes frères et moi aurions encore une mère.

Joseph Muscat, Keith Schembri, Chris Cardona, Konrad Mizzi*, le procureur général et la longue liste des commissaires de police qui n'ont rien fait: vous êtes complices. Vous êtes responsable de ça.

Matthew Caruana Galizia 
Traduit par  Fausto Giudice

NdT : Joseph Muscat : Premier ministre; Keith Schembri : chef de cabinet du précédent, Chris Cardona : ministre de l’Économie ; Konrad Mizzi : ministre du Tourisme . Tous travaillistes, tous impliqués dans le scandale des Panama Papers, section MaltaFiles, rendus publics par Daphne Caruana Galizia.