Une jarre de lait,
une odeur de campagne, de lampe à pétrole
dans la nuit, 
une bouse de vache
déposée sur de l'herbe jaune ; 
baigne un escadron de mouches
hallucinées dans cette confiture, ce yaourt.
Quelqu'un voudrait bien leur faire la guerre,
quelqu'un, comme aux Navajos, 
les mettre en cage.

Je hais les mouches.
Je et les autres enfants aussi.
Mais moi, en plus de ça
je hais la glace au citron, la réglisse, 
tout ce qu'est acide, amer.
Je hais comme on peut haïr
une famille de mouches toute à sa sieste
dans une flaque de viande. 

Y'a pas de quoi être fière, vraiment pas, 
quand on a serré la pince aux mouches.
Et moi qu'aime pas bien les banquiers, les curés
j'aime pas non plus Sucre d'os qui
roule à mobylette dans le village, qui
le premier a serré la pince aux mouches.

Les mouches elles sont obèses, 
toutes,
comme de vieilles californiennes.

Les mouches comme les lions
font mourir, 
pas comme les lions, les mouches font mourir
en regardant passer le temps.

J'ai dit aux mouches, moi qu'ai pas peur du bon dieu, 
que Sucre d'os il irait en enfer, j'ai dit
un jour on le retrouvera mou, comme un œuf
battu,
visage percé de clous, alors, les mouches comme de vielles femmes
un jour de messe, immobiles, elles ont planté leurs yeux, les mille, 
dans les miens, les deux, noirs, et j'ai senti mes os s'éloigner de ma chair, 
et ma chair s'éloigner de mes os,
comme un léger mouvement de scie, avant-arrière, 
avant-arrière, 
j'ai senti quelqu'un
quelqu'un qui respirait en moi, 
et qui disait doucement: 
« je t'attends ! »

Kenny OZIER-LAFONTAINE

Kenny OZIER-LAFONTAINE (parfois Paul Poule) est poète, plasticien, vidéaste, né pour la première fois à Fort-de-France, Martinique.