Risquons-nous la guerre en Europe ? par Christian Perrot
C'est à croire que tout le monde a des nerfs d'acier, ou une foi inébranlable dans le caractère profondément pacifique des Européens et des Russes, car dans cette campagne électorale, personne ne semble entendre les avertissements de Jean-Luc Mélenchon, qui du coup devient Cassandre, sur les risques d'une nouvelle guerre en Europe - sujet pourtant alarmant s'il en est.
Ou non ? Clairement, si l'on en parle si peu, si le sujet ne prend pas, si ses alertes tombent dans l'oreille des sourds, cela ne peut pas être parce qu'il n'aurait pas d'importance, mais parce que les experts et éditorialistes s'accordent à trouver une guerre en Europe, et donc mondiale, à en juger par l'expérience passée et les forces en présence, qui incluent naturellement les Américains, proprement impossible, impensable (ou peut-être seulement inimaginable ? si c'est cela, nous n'avons décidément rien appris). Au regard de l'importance du sujet, laquelle importance paralyse peut-être la pensée à son égard, la méduse, comme à chaque avant-guerre, nous avons quand même jugé bon d'écouter de quoi essaie de nous avertir Jean-Luc Mélenchon, parfois solennellement, comme dans son adresse au Parlement européen, le 18 janvier, parfois à bâtons rompus, mais avec beaucoup plus d'arguments, comme dans sa dernière émission hebdomadaire sur YouTube, de la septième à la quinzième minute. D'abord les faits, pour situer l'époque : l'armée américaine vient d'envoyer dans les pays baltes, à la frontière même de la Russie, 4500 hommes, 250 chars, des hélicoptères de combat. Pour la plupart des média et des hommes politiques, c'est un geste si anodin qu'il ne mérite même pas qu'on en parle. Comment est-ce possible ? La Lituanie, l'Estonie et la Lettonie ont signé mardi 17 janvier des accords militaires avec les Etats-Unis. Ne sont-ils pas membres de l'Union Européenne ? Le gouvernement ultra-réactionnaire de la Pologne souhaite en faire autant. Ces pays ont déjà créé des milices - qu'on a toutes les raisons de soupçonner d'être, comme en Hongrie, le bras armé des partis d'extrême-droite locaux - et entretiennent ce qu'on ne peut qu'appeler un climat de guerre. Rien n'est encore réglé en Ukraine, où l'on se bat encore au Donbass. Il faut être bien léger pour ne pas voir le danger de cette situation, où toute provocation peut mener à une confrontation plus grave.
Qu'est-ce qui peut alors expliquer le peu d'attention qu'on y apporte ? Sans doute tout le monde croit-il tout le bruit qui est fait sur les bonnes dispositions d'un Trump ou d'un Fillon envers Poutine. Ou prend-il au pied de la lettre - ce qui est très risqué concernant ce que peut tweeter un Donald Trump, on devrait pourtant le savoir - un repositionnement des USA qui les conduirait à se désengager de l'Europe et de l'OTAN pour concentrer leur attention sur la Chine et l'Asie. Nous n'aurions donc jamais été aussi près d'une paix garantie avec la Russie. Alors pourquoi voyons-nous en parallèle le grand retour de l'armée américaine en Europe ? Jean-Luc Mélenchon attire notre attention sur un point troublant : l'importance du complexe militaro-industriel est telle aux USA qu'elle ne saurait être remise en cause, fût-ce par un président, et les divergences entre le haut commandement militaire de l'OTAN et Donald Trump sont maintenant sur la table, énoncées clairement, ce qui est tout sauf anodin.
Autre chose étrange, et qui doit nous alerter : le rôle essentiel (proprement inouï dans un pays démocratique) des agences de surveillance dans la campagne présidentielle américaine, et maintenant dans la politique américaine tout court, puisque la CIA continue à dominer les débats avec ses révélations qui semblent danser d'un pied à l'autre (pour Clinton, contre Clinton, avec Trump, contre Trump), mais donnent assurément le tempo (Trump pourrait-il in fine être la victime d'une procédure d'impeachment ?). Tout, y compris une démarche à la Docteur Folamour, devient donc possible dans ces conditions que le mot "trouble" décrit parfaitement. On est dans l'ombre. La zone grise. Le secret. Dans ces circonstances, rappeler le danger de la guerre, toujours tentante pour quelques-uns comme sortie d'une crise qui n'en finit pas, moyen de redistribuer les cartes, réaffirmer son hégémonie, nous semble légitime.
Christian Perrot, le 3/3/2017