L'AUTRE QUOTIDIEN

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USA : Grève générale des détenus le 9 septembre contre les travaux forcés

Les théoriciens sociaux nous disent que nous vivons dans un temps d'émeutes et de soulèvements. Mais le 9 septembre, pour le quarante-cinquième anniversaire de la révolte de la prison d'Attica, les prisonniers à travers le pays espèrent employer une tactique différente, en appelant plutôt à une grève.

Cette grève devrait être la plus importante dans l'histoire des prisons, avec des actions prévues dans au moins 20 États, et a été préparée depuis un bon moment, précédée par des arrêts de travail en Géorgie en 2010 et de l'Alabama en 2014 et plus tôt cette année. Le texte qui a déclenché l'initiative a été publié l'automne dernier par le Mouvement Alabama Libre (FAM), une organisation nationale de lutte contre l'incarcération.  Intitulé “Let The Crops Rot in the Fields”(Laissons les récoltes pourrir dans les champs), ce texte encourage les détenus et leurs partisans à perturber les prisons dans leur base économique. L'avis de grève officiel, publié en avril dernier, déclare :

Ceci est un appel pour mettre fin à l'esclavage en Amérique. Cet appel va directement aux esclaves eux-mêmes. Nous ne faisons pas des demandes ou des demandes à nos ravisseurs, nous nous appelons nous-mêmes à l'action. À chaque détenu dans chaque institution étatique et fédérale de ce pays, nous demandons de cesser d'être un esclave, de laisser les cultures pourrir dans les champs de plantations,
de faire grève et de cesser de reproduire les institutions de votre confinement.

Comme l'infrastructure de communication peut être difficile à établir derrière les barreaux, le texte a été largement diffusé dans les prisons à travers le pays avec l'aide de réseaux extérieurs. FAM a fait équipe avec d'autres organisations comme le Comité d'organisation des travailleurs incarcérés (Incarcerated Workers Organizing Committee, affilié au syndicat Industrial Workers of the World), le Mouvement Ohio Libre (Free Ohio Movement), le Mouvement Mississipi Libre  (Free Mississippi Movement) et le Nouveau Mouvement du Chemin de Fer clandestin (New Underground Railroad Movement)  pour aider à organiser la grève, qui a est en outre soutenue par un certain nombre d'organisations, dont la Ligue nationale des juristes ( National Lawyers Guild).

Alors que les arrêts de travail pourraient être considérés comme une arme anachronique du mouvement ouvrier, ils sont en fait plutôt novateurs dans le cas des personnes incarcérées, qui sont rarement considérés comme des travailleurs tout court, en dépit du fait que le fait que près de la moitié de la population carcérale des USA bosse pour une poignée de centimes, souvent pour des entreprises comme McDonald's, Victoria's secret et (jusqu'à récemment) Whole Foods. En Californie, près de cinquante pour cent des pompiers forestiers sont des détenus, ce qui permet à l'État d'économiser 1 milliard de $ par an. En même temps, les syndicats traditionnels, y compris l'AFSCME, le SEIU et le syndicat des Teamsters, représentent activement les intérêts des policiers et des gardiens de prisons à travers le pays. La grève du 9 septembre ne sera donc pas simplement une tentative d'améliorer les conditions de travail, mais une attaque contre le complexe industrialo-carcéral lui-même.

Le site ouèbe de la prison-usine de Montgomery, Alabama, propose un catalogue de 500 produits et services réalisés par 100 travailleurs "libres" et 700 détenus, à des prix défiant toute concurrence, même chinoise, et pour cause...


Melvin Ray, un co-fondateur de FAM qui a été à l'isolement pendant un an après avoir aidé à organiser la grève en prison de 2014, a récemment déclaré dans une interview Skype depuis l'intérieur de sa prison:

Ces entreprises qui utilisent ce travail pénitentiaire, ce travail d'esclave, elles financent les comités d'action politique, elles financent les politiciens, pour être sûres que les gens qui vont être élus vont faire passer le genre de lois dont elles ont besoin pour avoir accès à ce bassin de main-d'œuvre gratuite. Et quand vous regardez ce bassin de main-d'œuvre, vous vous rendez compte que ce n'est rien d'autre qu'une entreprise. C'est une entreprise qui est basée sur des mêmes principes que l'esclavage avant le XIIIème amendement*, sauf que ce sont des gens différents qui en ont le contrôle. Et tout ça, maintenant, est géré par l'État.

Cette grève vient dans la foulée d'un mouvement généralisé d'organisation et de révolte contre la violence d'État et les meurtres policiers. Et l'État semble avoir commencé à réagir superficiellement : rien qu'au cours des dernières semaines, le ministère de la Justice a appelé à mettre fin aux cautions pour les pauvres et de cesser la sous-traitance à des prisons privées. Mais les prisons et centres de détention publics prolifèrent dans des conditions intrinsèquement inhumaines.

L'organisation en prison exige d'immenses ressources et est incroyablement risqué" pour ceux qui sont déjà enfermés. Mais comme dit Ray: "Il y a toujours une possibilité de répression ... Je dois faire un choix, je peux soit me tenir à carreau et avoir peur du système et ne pas permettre que ma voix soit entendue, ou je peux donner de la voix et me préparer à faire face à toutes les conséquences possibles". 

Vous trouverez ci-dessous quelques suggestions sur la façon de soutenir la grève et d'en apprendre davantage sur l'économie politique des prisons, le travail des prisonniers et l'histoire de l'organisation derrière les barreaux. Remuons-nous.

Comment participer

De nombreux groupes de solidarité avec des prisonniers tiennent
des soirées régulières d'écriture de lettres jusqu'au 9, pour diffuser l'information sur la grève aux et sont essentielles pour la construction
et le maintien de liens entre ceux dedans et ceux dehors.

Le 9 Septembre, des manifestations bruyantes devant les prisons à travers le pays manifesteront la solidarité pour les grévistes, établiront des liens entre les militants et feront pression sur les administrations pénitentiaires et les décideurs pour les amener  à faire des concessions. Comme le dit Ray: "C'est là que sont les problèmes est où les questions sont. C'est là
que les gens sont incarcérés. Et c'est donc là que nous voulons des actions militantes. C'est là que nous voulons qu'il y ait de l'énergie et des gens".
De plus, il y a peu de choses plus émouvantes que de voir et entendre des prisonniers crier et cogner sur les fenêtres. C'est un rappel fort de toute
la vie palpitante qui reste encagée et de la puissance qui peut naître
quand on forge des liens qui étaient censés ne jamais exister.

►Calendrier de toutes les actions prévues : itsgoingdown.org

►Lectures complémentaires (en anglais)
 

Madison Van Oort 
Traduit par  Fausto Giudice

NdT

* Le chemin de fer clandestin était un réseau secret d’abolitionnistes qui aidait les Noirs à fuir l’esclavage dans le Sud des USA vers les États libres du Nord et le Canada. Il était le plus important mouvement antiesclavagiste d’Amérique du Nord. De 30 000 à 40 000 fugitifs ont trouvé refuge en Amérique du Nord britannique (Canada).

*Le XIIIème amendement à la Constitution US proclame :   "Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n'est en punition d'un crime dont le coupable aura été dûment condamné, n'existeront aux USA ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction". Il a été adopté par le Congrès le 6 décembre 1865.



Merci à Tlaxcala
Source: http://www.versobooks.com/blogs/2813-a-call-to-end-slavery-in-america-september-9-national-prisoner-work-stoppage
Date de parution de l'article original: 25/08/2016
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=18762