Short-Cuts 35, par Nina Rendulic
au bout de chaque semaine, ce(ux) que je retiens dans la réalité subjective du monde qui nous entoure
krajem svakog tjedna, ko/čega se sjećam u subjektivnoj stvarnosti svijeta oko nas
semaine du 19 / 9 / 16
"Imagine tout ce que tu peux faire."
Ce qui ressemble à Paris :
Dehors, la lumière des néons, stable et horizontale. Sur le parvis du Centre Pompidou, le jour, le ciel rouge se reflète dans les rétines des passants indifférents (la nuit, des rats). Les platanes perdent leurs feuilles. Paris est une fête de cafés à emporter, de glaces à l’eau, de curieux de Magritte. Les enfants courent et leurs êtres sont contradictoires. Caricaturistes, mendiants, distributeurs de prospectus, hommes barbus, femmes voilées, sacs à dos abandonnés : dans l’air plane l’odeur d’une paranoïa ordinaire. Personne ne lève le regard (sauf les ivrognes au regard fuyant). La douceur d’une léthargie indifférente sur les paupières, baume, ou brume… Et sur le seuil, devant les baies vitrées, trois bananes et deux pommes. Une membrane qui étalonne les importances singulières.
Dedans, la lumière des néons dans la nuit blanche et le jour rouge. Arrêter - partager - imaginer le temps (car la quarante-cinquième heure commence). Elle, elle, lui, lui. Chair, os, voix. Porte-paroles des invisibles, des inaudibles, des ignorés. Ils parlent. Dans le grand livre rouge : une orange pour chaque Noël / la manufacture familiale de chapeaux en laine pour de grandes dames, faussement fabriqués en France / un enfant, puis vice-consul qui s’habille à Londres (qui l’eut cru ?) / les centenaires. parfois, ils pleurent / les séparations / la nuit, la marche / traverser l’Europe entière à pied / arrêter ses rêves devant des barbelés / des barbares / puer la mort. Les images imagées et noires et blanches. Comment cela pourrait-être réel, ces forêts, ces couvertures miteuses, ces yeux remplis d’espoir désespéré ? Un espace de sommeil sous le piano noir (traces des empreintes digitales, deux verres à vin, souvenir des mots murmurés dans les pages froissées). L’air est doux : leurs sourires. Ils lisent. Nous lisons. Jusqu’à la fin. Plus tard, les murs murmureront les histoires de leurs vies.
Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis