Nous devons empêcher l’expulsion d’Abdoulaye, étudiant à Paris 1, par Frédéric Lordon
Alors que l’expulsion d’Abdoulaye est prévue pour lundi vers l’Espagne, sans aucune garantie sur l’attribution du statut de réfugié politique, Frédéric Lordon a tenu à adresser un message qu’il a transmis au Collectif de soutien. Un message d’autant plus important qu’est organisé demain à 8h00 un rassemblement de soutien au Tribunal administratif de Paris pour soutenir Abdoulaye durant son audience - celle de la dernière chance - et exiger sa régularisation.
On peine à croire (en fait on ne peine pas du tout hélas) qu’en 2016 il puisse y avoir des situations administratives et humaines, ou plutôt des situations administratives et inhumaines, aussi absurdes que celle d’Abdoulaye, étudiant en deuxième année de licence à la Sorbonne, brillant au dire de tous ses condisciples, ayant fui son pays d’origine, la Guinée où sa situation d’opposant politique lui a valu des menaces de mort des soutiens du pouvoir en place. On n’est visiblement pas sans payer au prix fort d’avoir été l’un des coordinateurs de la grande marche pacifiste du printemps 2013, réprimée dans le sang à Conakry, et comme il semble que le prix du sang ne soit jamais définitivement acquitté, celui d’Abdoulaye était promis à s’ajouter à celui qui avait été déjà versé : les nervis sont simplement arrivés trop tard, et Abdoulaye avait fui avant qu’ils ne lui mettent la main dessus. La Sorbonne, par-là conforme à la vocation inscrite dans son nom même d’université, peut s’honorer d’avoir accueilli un jeune homme dont la condition d’opposant n’est pas un vain mot puisqu’il y aura apporté en gage l’exposition de sa vie même.
Mais la Sorbonne n’est pas toute la France et l’administration ne connaît pas ce genre de valeurs. Pour avoir été mal conseillé semble-t-il, et n’avoir pas déposé de dossier de demande d’asile, pour avoir également été perdu dans les méandres de la préfecture de Créteil où il s’est pourtant rendu régulièrement sans rien obtenir, Abdoulaye s’est fait arrêter sans papier et le voilà menacé d’expulsion. En parlant de valeurs, l’administration révèle les siennes : aux enjeux vitaux d’un engagement politique démocratique, ses formalismes impersonnels répondent par codes – OQTF, obligation de quitter le territoire français… Il faut avoir le cœur bien accroché pour ne pas céder totalement au vertige des poids inégaux qui font pencher cette balance tordue – une vie, un code.
Mais tout n’est pas irrémédiablement tordu dans ce pays : les camarades d’Aboulaye sont mobilisés depuis le début, le président de Paris-1 plaide sa cause, des politiques interviennent, des groupes de toutes sortes s’y mettent. Tous refusent de se rendre à l’absurdité, et surtout à l’outrage : que des formulaires fassent si peu de cas d’une vie d’homme. Au milieu des miasmes d’un air du temps toxique, il n’est pourtant pas interdit d’espérer que la France, si elle veut bien se souvenir de tout ce qui la lie à l’universel, rejoigne l’université, ici sa part la plus fidèle, pour ratifier un accueil qu’en réalité tout justifie : l’indistinction de ceux qui entrent dans l’étude, l’hospitalité qu’on doit aux opprimés, la simple humanité qui refuse de prêter la main à un destin tragique annoncé. Abdoulaye doit rester.
Frédéric Lordon
Dimanche 18 Septembre 2016 le Tribunal de Grande Instance de Paris a confirmé l’expulsion d’Abdoulaye, réfugié politique guinéen étudiant à l’université Paris 1. Arrêté il y a quelques jours lors d’un contrôle d’identité à la gare de Lyon, l’étudiant de 25 ans a été placé en centre de rétention et condamné à une Obligation de Quitter le Territoire Français. La "juge des libertés" a prolongé sa détention et ordonné son renvoi, pour le moment en Allemagne sous les 20 jours. Abdoulaye a donc été ramené au centre de rétention de Joinville. Face à cette nouvelle expulsion, seule la mobilisation et le soutien des étudiants pourront faire reculer ce gouvernement, sa justice, cette nouvelle attaque xénophobe et raciste contre l’un des nôtres.
Prolongation de la durée de détention et déportation pour Abdoulaye, étudiant et militant politique menacé de mort en Guinée
Après l’arrestation et le placement en CRA (Centre de Rétention Administrative) d’Abdoulaye, le Tribunal Administratif a été saisi pour demander l’annulation de l’OQTF. Lors de son arrivée en France en avril dernier, sa demande d’asile déposée à la Préfecture de Créteil n’avait en effet pu être enregistrée. Rien d’accidentel à cela, de façon similaire un grand nombre de réfugiés ne peuvent déposer leur dossier, du fait notamment du manque de moyen largement organisé pour obtenir leur « quota » d’expulsion. Or, militant politique ayant contribué à l’organisation d’importantes manifestations contre le régime en place en Guinée Conakry, il a reçu des menaces de mort qui l’ont contraint à fuir son pays. Témoin en 2013 de la mort d’un de ses camarades de lutte et faisant l’objet de recherches, il risque l’emprisonnement voire la mort s’il y est renvoyé. L’avocat d’Abdoulaye a rappelé le contexte de grande répression policière en Guinée Conakry, qui a encore conduit il n’y a pas un mois de ça à l’assassinat par la police d’un jeune homme d’une vingtaine d’année lors d’une manifestation. Malgré l’inscription d’Abdoulaye en deuxième année de licence en Administration Economique et Sociale à l’Université de Paris 1, l’attestation de logement produite par son avocat et le péril pour sa vie, sa demande à été rejetée par la juge. Tout cela fait interroger ainsi un de ses camarades de classe présent au rassemblement : « Faut-il arriver en France dans un cercueil, ou prendre un avion diplomatique pour se voir attribuer cette carte de résident politique ? »
Une deuxième audience a eu lieu au Tribunal de Grande Instance de Paris. Maintes manœuvres ont été usées pour empêcher aux étudiants venus apporté leur soutien d’assister à l’audience : changement soudain de salle, interdiction de rentrer dans la nouvelle salle bien plus exiguë, à plus de deux ou trois "proches ou membres de la famille" d’Abdoulaye, etc. L’audience, la délibération et l’annonce du jugement, après des heures d’attente ont été expédiées en quelques minutes. Le verdict : prolongation du placement en Centre de rétention et renvoi en sous 20 jours en Allemagne – sous l’effet de la procédure Dublin.
La Présidence de Paris 1 collabore...
Alertés il y a quelques jours des militants ont contacté la présidence de Paris 1 Panthéon – Sorbonne pour lui demander une lettre de soutien, attestant l’inscription à la faculté de l’étudiant menacé d’expulsion. Cette simple lettre qui aurait pu apporter une aide véritable au dossier a été refusée par Georges Haddad, nouveau président de l’université, sous prétexte « ne pas connaître suffisamment » l’étudiant en question. Or même Philippe Boutry, son prédécesseur s’étant illustré en Mars dernier en envoyant 250 CRS et 50 policiers de la BAC évacuer un amphithéâtre d’étudiants tenant une Assemblée Générale, avait toujours fini par accepter de signer la dite lettre. On notera également que Georges Haddad lors de l’entretien prend le jeune militant noir du RUSF présent pour l’étudiant sans papier, dans un étalage de racisme ordinaire. En ce sens, le président détient la palme d’or de la journée — et nous ne parlerons pas de la fermeture administrative arbitraire de Tolbiac le jeudi 15 Septembre pour empêcher la tenue d’une assemblée interfacs dans le cadre de la mobilisation contre la loi travail. Nous pointons la collaboration de Georges Haddad, qui aime à se faire passer pour un "homme de gauche", à l’expulsion d’Abdoulaye et sa déportation, et sa responsabilité s’il venait à être envoyer en Guinée, suite à son renvoi en Allemagne, puis assassiné.
... Les étudiants se mobilisent, et n’est qu’un début.
Plus de cinquante personnes étaient présentes au Tribunal Administratif de Paris pour exiger la libération d’Abdoulaye et l’annulation de l’OQTF. Parmi eux des militants du RUSF (Réseau Universitaire Sans Frontière), mais en majeure partie, des étudiants de Paris 1 et d’autres facs parisiennes. Loin d’être isolé le cas d’Abdoulaye prend place dans une offensive grandissante de l’Etat contre les sans papiers et une multiplication sans précédant des OTQF. Dans un contexte où le gouvernement attise les amalgames contre les populations musulmanes ou assimilées, instrumentalisant les attentats, cette politique d’expulsion n’est qu’un autre aspect du racisme et de la xénophobie d’Etat.
En 2013 l’arrestation et l’arrêté d’expulsion de Khatchik et Leonarda avait fait se mobiliser dans la rue des milliers de lycéens. Aujourd’hui encore seule la mobilisation massive est une des conditions nécessaires pour contrer l’expulsion d’Abdoulaye, et cette nouvelle attaque xénophobe du gouvernement qui ne vise qu’à briser notre unité. Nous ne pouvons plus laisser passer sans résistance cette politique raciste et réactionnaire.
Prochaines dates de mobilisation en soutien à Abdoulaye :
vendredi 18h : Réunion du Collectif de soutien (à Tolbiac)
samedi 14h : Rassemblement devant le Centre de Rétention Administrative de Joinville où Abdoulaye est détenu.
Signez la pétition pour la Libération et la régularisation d’Abdoulaye