L'AUTRE QUOTIDIEN

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Pour les sans domicile, l'été tue autant que l'hiver, par le collectif Les Morts de la rue

Le thermomètre monte et, à mesure, les radios, télévisions et journaux s’inquiètent : ils se précipitent dans les maisons de retraite, guettent le souffle vacillant des personnes âgées et s’enquièrent aussi d’un éventuel regain de mortalité dans nos rues. Nos politiques prennent l’air grave et s’assurent de leur garde-robe pour être certains qu’ils ne risqueront pas, cette fois, en cas de mauvaises nouvelles, d’être pris au dépourvu avec une mine de vacanciers. Et nos concitoyens, partagés entre réelle compassion et un peu de voyeurisme, aimeraient bien qu’on leur montre les effets de cette nouvelle canicule. 

Alors, pour les personnes à la rue, que réserve cette hausse du thermomètre ? Et l’on nous somme d’anticiper ceux qui vont périr de ce pic de chaleur. Mais avant de s’occuper de ce moment précis et de cette chaleur plus élevée que d’habitude, il convient de rappeler deux points essentiels de la vie (et de la mort !) à la rue. Tout d’abord, sauf cas particulier, le nombre de morts à la rue est assez stable d’un mois à l’autre tout au long de l’année. Deuxième point : l’âge moyen de mort à la rue varie, là aussi, d’une année à l’autre, mais il reste toujours un peu au-dessous de 50 ans, en gros entre 45 et 49 ans. C’est très jeune. Le vrai sujet, le vrai scandale, il est là ! Il faut le dire, le redire et le répéter sans cesse : avant les conditions climatiques, qu’il fasse chaud ou froid, c’est la dureté de la vie à la rue qui tue ! Elle commence par affaiblir l’organisme, le rendre très vulnérable. En général, cela ne se voit guère car on ne peut qu’être confondu par la résistance des personnes à la rue qui endurent, sans trop de dommages apparents, des conditions de vie que nous ne supporterions pas. Ils serrent les dents et tiennent le coup. Et puis soudain, tout lâche. En soi, la chaleur de ces derniers jours est dure à supporter mais elle est, précisément, supportable pour une personne en bonne santé. Surtout si cette personne peut, après une rude exposition, par exemple, dans les transports en commun surchauffés et surchargés, se reposer chez elle, prendre une douche, un verre bien frais… Pour celui qui ne bénéficie pas de ces moyens de reprendre son souffle, de se poser, pour celui qui va rester dehors sans profiter de la moindre fraicheur, il n’y aura aucun répit avant d’attaquer la prochaine journée, tout aussi bouillante que la précédente. Certains, si leur allure est discrète et passe-partout, pourront errer dans tel magasin climatisé y chercher un peu d’air frais ; ils n’y resteront pas aussi longtemps qu’ils le voudraient sans attirer le regard des vigiles ; ceux dont l’apparence sera plus typée ne parviendront même pas à entrer et « glaner » ces quelques instants… Quelques-uns vont nous surprendre, voire nous choquer, portant, avec cette canicule, des blousons ou des chandails ; parfois même ils ont plusieurs couches : c’est qu’ils anticipent déjà la rudesse de l’hiver à venir ; ils ont réussi à trouver des vêtements chauds qui leur conviennent ; ils craignent de les perdre ; ils n’ont où les entreposer et leur seule solution est de les conserver sur eux… 

Dormir dehors avec un bon sac de couchage avec une température négative est également inconfortable mais tout à fait réalisable sans dommage (les scouts aînés le démontrent souvent lors de camps d’hiver) si, après la nuit, on peut, là encore, profiter de tous les avantages d’un réel abri (chauffage, repas normal…). En fait, c’est d’une part d’être fragile avant d’être confronté à des situations un peu extrêmes de froid ou de chaud, qui rend vulnérable. C’est aussi de ne pas bénéficier de la mise à couvert que permet un logement. Alors, oui, bien sûr, il serait bon que, l’été, il n’y ait pas de pic de chaleur, et que l’hiver il n’y ait pas de pic de froid. Mais, sauf erreur, à cela on ne peut pas grand-chose ! En revanche, on peut mieux suivre les personnes à la rue. Et déjà commencer par faire qu’elles ne soient plus ni à la rue, ni isolées. Leur mortalité en sera repoussée d’autant ! Si on ne voit pas là les priorités de l’action publique et sociales à leur égard (même si ce n’est pas forcément simple !), on continuera un peu vainement de s’interroger sur les risques de morts à la rue… 

Nicolas Clément

Président du Collectif Les Morts de la Rue 

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