L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Français, nous vous présentons votre chef de guerre

Le nouveau Commandant suprême allié en Europe : le général Curtis Scaparrotti de l’armée de terre US.

Personne en Europe ne connait son nom. Ni même se soucie de lui, on dirait. Il y a comme ça des informations importantes qui passent inaperçues. Pourtant, par les temps qui courent, aux relents de guerre froide, et avec tous les excités anti-russes qui réclament qu'on libère Moscou (de quoi ? du communisme ? mais c'est fait depuis longtemps ! de la Russie, alors ?),  il n'est pas anodin de savoir qui aurait la guerre en charge en Europe. Et pourquoi lui plutôt qu'un autre. Le général Scaparrotti est le chef du Commandement des forces US en Europe, charge qui lui donne le droit d’assumer en même temps celle de Commandant suprême allié en Europe. Eh oui, c'est ainsi que fonctionne l'OTAN, réintégré par la France en 2007. Une décision de Nicolas Sarkozy, que François Hollande n'a pas remise en cause.

Le président Obama —qui est en même temps chef d’État, chef du gouvernement et commandant en chef des forces armées— a nommé le général Scaparrotti commandant du Commandement des forces US en Europe, charge qui lui donne le droit d’assumer en même temps celle de Commandant suprême allié en Europe. Le Conseil de l’Atlantique-Nord, composé des représentants des 28 États membres, a ensuite approuvé la nomination.

Ainsi se poursuit la « tradition » selon laquelle le Commandant suprême en Europe doit être toujours un général ou un amiral des USA, lesquels peuvent ainsi contrôler l’OTAN à travers leur propre chaîne de commandement. Les autres commandements clés sont aussi entre des mains US. En Afghanistan, le général US Nicholson a pris le commandement de la mission de l'OTAN « Soutien résolu », en remplacement du général US Campbell.

En même temps l’OTAN a signé avec le Koweït l’ « Accord sur le transit », qui permet de créer le premier « hub » (escale aéroportuaire de transit) de l’Alliance atlantique dans le Golfe. Il servira non seulement à accroître l’envoi de forces et de matériels militaires en Afghanistan, mais aussi à la « coopération pratique de l’OTAN avec le Koweït et autres partenaires de l’Ici (Initiative de coopération d’Istanbul), comme l’Arabie Saoudite » ; des partenaires soutenus secrètement par les USA dans la guerre qui fait des massacres de civils au Yémen.

Sur la base d’un plan du Pentagone approuvé par le président Obama —rapporte le New York Times [1]— a été constitué un groupe de planification composé de 45 officiers US, sous les ordres du général des Marines Mundy: il fournit à l’Arabie Saoudite et à ses alliés des informations, recueillies par des drones-espions, sur les objectifs à frapper au Yémen, et entraîne avec des forces spéciales des unités amphibies des Émirats pour un débarquement au Yémen.

Dans ce cadre une décision du président Obama prend une particulière importance : celle de mettre le général Joseph Votel, chef du Commandement des opérations spéciales, à la tête du Commandement central US, dans l’ « aire de responsabilité » duquel entrent le Proche-Orient, l’Asie Centrale et l’Égypte. Ceci confirme —comme le soulignait le Washington Post en 2012 [2]— « la préférence de l’administration Obama pour l’espionnage et l’action clandestine plutôt que l’emploi de la force conventionnelle ».

C’est le président US lui-même —rapportait en 2012 le New York Times dans une enquête, confirmée par une suivante de 2015 [3]— qui approuve la « kill list », continuellement mise à jour, comprenant les personnes du monde entier qui, jugées nuisibles pour les USA et pour leurs intérêts, sont condamnées secrètement à mort sous l’accusation de terrorisme.

Même si avec son entrevue à The Atlantic [4] Obama s’est ôté quelques cailloux de la chaussure, restent les rocs qui pèsent sur son administration, comme sur les précédentes. Parmi ceux-ci, comme il ressort des courriels d’Hillary Clinton, l’autorisation secrète d’Obama pour l’opération secrète en Libye, coordonnée avec l’attaque de l’OTAN depuis l’extérieur. Le but réel de l'attaque était de bloquer le plan de Kadhafi de créer une monnaie africaine, alternative au dollar et au franc CFA, qui aurait nui aux multinationales et aux groupes financiers occidentaux.

L’ordre de démolir l’État libyen est venu, avant même de venir du président US et de la hiérarchie de ses alliés, de la coupole du pouvoir économique et financier, de ce 1 % qui arrive à posséder plus que les 99 % restants de la population mondiale.

Manlio DINUCCI

Il Manifesto

Traduit par Marie-Ange Patrizio

Notes

[1] “Quiet Support for Saudis Entangles U.S. in Yemen”, Mark Mazzetti & Eric Schimitt, The New York Times, March 14, 2016.

[2] « Obama la préfère cachée », par Manlio Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio, Il Manifesto (Italie) ,Réseau Voltaire, 5 décembre 2012.

[3] “President Obama’s Kill List”, Andrew Rosenthal, The New York Times, May 29, 2012 ; “Killing of Americans Deepens Debate Over Use of Drone Strikes”, Mark Mazzetti, The New York Times, April 23, 2015.

[4] “Barack Obama’s Revolution in Foreign Policy”, “The Obama Doctrine”, by Jeffrey Goldberg, The Atlantic, March 10, 2016.