L'AUTRE QUOTIDIEN

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Égypte : la vérité sur Giulio Regeni noyée dans le gaz

L' Italie relâche la pression, mais pas le régime égyptien. Pas plus tard qu'hier, 116 condamnés, dont un enfant de quatre ans (!). Et incarcération de l' écrivain Ahmed Naji pour "langage obscène". Parmi les tables des bars du Caire, alors qu'il y a encore quelques jours, tous les clients parlaient de Giulio Regeni, chercheur italien enlevé et retrouvé mort après avoir été torturé (voir notre article précédent) et de la nécessité de clarifier les choses, l'ambiance a changé. "L'Italie ne fait pas la grosse voix", entend-on répéter.



En vérité, il y a deux raisons pour lesquelles il semble qu'il n'y ait pas de pression significative du gouvernement Renzi sur le président al-Sissi. L'Italie est prête à soutenir l'Égypte en cas de guerre en Libye. Ceci est aujourd'hui l'un des points les plus délicats de la politique étrangère italienne après la formation en Libye d'un gouvernement d'unité nationale qui ne montre aucun signe de mise en route et le raid US sur Sabratha. Deuxièmement, les accords sur  l'exploitation des gisements  de gaz de l'ENI*, au large de Port-Saïd, sont parmi les priorités de la politique économique. Hier, le ministère du Pétrole égyptien a donné le feu vert final à l'ENI pour le développement de Zohr IX, la découverte historique de septembre dernier qui va changer les équilibres économiques de la Méditerranée orientale. La signature des accords de mise en œuvre pour procéder aux travaux, qui devraient s'achever  d'ici à 2017, entre l'ENI et les autorités égyptiennes, était prévue quelques jours après la découverte du cadavre de Giulio.

Tout cela rend la vérité dans l'affaire Regeni plus difficile à exiger et la laisse aux mains des autorités égyptiennes qui ont tout intérêt à mettre sur des fausses pistes et à étouffer l'affaire. Ces derniers jours, les Égyptiens avaient repris leurs protestations dans le sillage de l'indignation sur la mort du jeune doctorant italien. Après les demandes de clarifications sur l'événement, faites dimanche dernier par le Premier ministre Renzi, le ministre de l'Intérieur, Abdel Ghaffar, a évoqué l'entente avec l'Italie et la nécessité d' "arrêter les responsables." Mais il semble que les autorités égyptiennes ne veuillent pas vraiment  collaborer avec l' équipe d'enquêteurs italiens (ROS  des carabiniers, SCO de la police d'État et Interpol), qui est maintenant depuis presque trois semaines au Caire. Les enquêteurs prolongeront leur séjour, comme l'a demandé la famille du jeune Frioulan dans une interview il y a quelques jours.

L'Égypte a repris les protestations contre les abus commis par la police. Des dizaines de membres des familles des prisonniers politiques et des disparus se sont rassemblés devant le siège du Syndicat des journalistes de demander "des procès équitables". Certains des manifestants brandissaient des photos de leurs proches, détenus à la prison d'al-Aqrab, presque tous jugés par des tribunaux militaires et condamnés à mort. En outre, les dirigeants du Centre de réhabilitation des victimes de la violence et de la torture (Nadeem) ont annoncé qu'ils résisteront à la procédure de fermeture la clinique, ordonnée directement par le gouvernement.

Selon Amnesty International il y a 41 000 prisonniers politiques en Égypte, environ 1500 cas de disparitions signalés et des milliers de condamnations à mort. Rien qu' hier, le tribunal du Caire a condamné 116 personnes à mort pour les affrontements du 3 janvier 2014 entre les partisans des Frères musulmans et la police qui avaient fait 13 morts. Parmi les condamnés à mort figurerait un enfant de quatre ans qui en avait deux à l'époque des faits. Cela prouve encore une fois que les juges procèdent à des condamnations sommaires sans même étudier les cas des personnes condamnées ou lire les noms des l'accusés présents dans la salle d'audience.

Dans une lettre écrite depuis sa prison, l'un des leaders du mouvement du 6 Avril, Ahmed Maher, a critiqué la répression qui a empêché des milliers d'Égyptiens de protester à nouveau contre le régime militaire, le 25 janvier dernier. Le jour où Giulio Regeni a disparu, jour du cinquième anniversaire des révoltes de 2011, il n'y a pas eu de manifestations importantes.

 

Ahmed Naji et son livre

Et après les protestations des journalistes et des arrestations de comédiens et de dessinateurs, hier, l'écrivain Ahmed Naji a été incarcéré après avoir été condamné à une peine de deux ans de prison pour langage obscène. Les accusations portent sur son dernier roman, Istikhdam al-Hayat (Usage de la vie) de 2014. Naji a rejeté les accusations. Selon l'écrivain, auteur de Rogers (2007), les juges continuent à se référer au texte comme à un article alors qu'il s'agit d'un des chapitres de son livre. Le rédacteur en chef du magazine littéraire hebdomadaire Akhbar al-Adab, Tarek al-Taher, qui a publié ce chapitre, devra payer une amende de 1500 euros. Le syndicat des journalistes a qualifié la sentence d'attaque contre "l'imagination des écrivains".

Giuseppe Acconcia 
Traduit par  Fausto Giudice

NdT
L’ENI (Ente Nazionale Idrocarburi, Société nationale italienne des hydrocarbures), est une entreprise d'hydrocarbure créée en 1953 sous la présidence d’Enrico Mattei et privatisée en 1998. L’État italien y conserve une minorité du capital (environ 30 %).
Elle est présente dans les secteurs du pétrole, du gaz naturel, de la pétrochimie, de la génération d’énergie électrique et de l’ingénierie, et dans 85 pays, avec des effectifs d'environ 78 000 salariés. Son chiffre d'affaires s’est élevé à 167,9 milliards d’euros en 2013 pour un bénéfice de 10,0 milliards d’euros.
Première société italienne par sa capitalisation boursière, elle était en 2008 le cinquième groupe pétrolier mondial (classement par chiffre d’affaires) derrière ExxonMobil, BP, Royal Dutch Shell et Total.