L'AUTRE QUOTIDIEN

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Ces quatre millions de français qui soutiennent le coup d'état social promis par François Fillon

François Fillon a gagné la primaire de la droite, parce qu’il a su s’adresser à son noyau dur, la France de la rente et du goupillon. Mais cette stratégie qui a fait son succès, pourrait le conduire à l’échec en 2017. N’en déplaise, encore et toujours, à des instituts de sondage complaisants.

« La France sénatoriale et provinciale de François Fillon n’est pas la France en souffrance des catégories populaires, qui ne sont pas allées voter », c’est ainsi que Patrick Buisson, éminence grise du sarkozysme, pourtant rallié à Fillon, résume le dilemme auquel son poulain doit faire face. Et de décrire un candidat « porté par un électorat conservateur et catholique, qui n’était pas du tout tenté par le vote Le Pen » et une élection qui « ne dit rien sur le comportement des 20 millions d’électeurs de « la France périphérique » qui feront l’élection présidentielle ».  Quant à Henri Guaino, l’ex-plume de Sarkozy, qui dispute à François Fillon l’héritage de Philippe Séguin, avec, sans doute plus de cohérence, il le déclare sans ambages : "le programme de François Fillon, c'est une purge comme on n'en a jamais proposé depuis la Seconde Guerre mondiale" . Au point d’envisager de se présenter lui aussi en 2017.

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De quoi compliquer un peu la situation de Fillon, auquel les instituts de sondage prédisent un avenir radieux. Fillon président en 2017 ? C’est ce qu’annonçaient déjà certains instituts de sondage, dimanche soir, juste après l’annonce de la victoire de l’ex-premier ministre de Sarkozy aux primaires de la droite et du centre. Harris Interactive donne Fillon en tête des deux tours de l’élection présidentielle en 2017, avec 67% des voix face à Marine Le Pen. Selon Odoxa, l’avance de Fillon serait encore plus nette avec 71% des voix face au Front national. Les instituts de sondage oublient, un peu vite, leurs prévisions totalement à côté de la plaque pour le premier tour de la primaire, puisqu’ils n’avaient pas vu venir le score de François Fillon et qu’ils annonçaient un duel Juppé-Sarkozy. Annonce qui aura d’ailleurs totalement planté le camp du maire de Bordeaux, qui a concentré ses attaques sur l’ex-président de la république, plutôt que sur l’outsider Fillon.

Revenons à dimanche soir. Fillon, sur un nuage, semblait léviter, tandis que les commentateurs, extatiques, répétaient à l’envi que cette primaire pourrait bien avoir désigné le futur vainqueur de la résidentielle. Donc, on était déjà en 2017. Il fallait les voir, ces notables, ces rombières de province et ces grenouilles de bénitier, se pâmer, heureux de se compter si nombreux, au point de croire que la France leur ressemblait. Il y avait presque quelque chose de transgressif dans cette ivresse des foules de droite acclamant le « choc libéral » promis par l’ex-maire de Sablé-sur-Sarthe. Un choc fiscal aussi, mais avec le rétablissement de LEURS allocations familiales et une baisse de LEURS impôts. Ah oui, quelle joie que de voir triompher une « droite décomplexée qui n’a pas honte de ses valeurs », à l’instar de Madeleine de Jessey, porte-parole de Sens commun, émanation politique de la Manif pour tous, un mouvement qui n’a pas ménagé ses efforts pour faire élire Fillon.

Un électorat de notaires et de curés de province

Oui, dimanche soir, sur les télés, on pouvait croire que l’on vivait le deuxième tour de la présidentielle. Et les journalistes de le répéter sur tous les tons : la primaire de la droite aura désigné rien de moins que le futur président de la république ! Rappelons pourtant que la primaire de la droite a rassemblé 4,3 millions de votants. C’est beaucoup, certes, mais c’est seulement 10% des inscrits sur les listes électorales. Et, lorsqu’on regarde en détail qui a voté Fillon, on est obligé de se dire que l’ex-premier ministre aura bien du mal à réitérer pareil exploit. Le vote Fillon est en effet masculin : 59% des votants de la primaire contre 48% d’hommes dans la population âgée de 18 ans et plus, selon une étude Elabe pour BFM TV . Toujours selon Elabe, plus du tiers (39%) des électeurs du caudillo de Sablé-sur-Sarthe ont plus de 65 ans, soit plus de 15 points par rapport à la population en âge de voter. Les retraités sont aussi sur-représentés (43% contre 28%), ainsi que les classes supérieures (32 % contre 29%). Le vote est en revanche assez représentatif de la France des villes de province et un peu plus parisien. Enfin, cet électorat est très majoritairement de droite (70%), seuls 15% se disant de gauche. Bref, l’électorat de Fillon c’est le noyau dur de la droite, celle des notaires et des curés de province.

Et c’est là que le bât blesse. Les catégories populaires, employés et ouvriers, les jeunes, les habitants des banlieues ou des zones périurbaines sont totalement absents dans ce plébiscite (plus de 66 % des voix) du nouveau leader maximo de la droite. Ce qui n’a rien d’étonnant si on considère son programme : suppression de l’ISF et des 35 heures, casse de la fonction publique et de la sécurité sociale, dégressivité des allocations chômage, hausse de la TVA de deux points pour compenser les allègements de charges, report de l’âge de la retraite, voire suppression du statut des fonctionnaires… A tel point que Alain Madelin, fer de lance du libéralisme en France, a qualifié Fillon de « Robin des bois à l’envers », qui « prend aux pauvres pour donner aux riches ». Alain Madelin redoute en effet que les Français ne rejettent cette « caricature du libéralisme qui apparaît comme une purge patronale ».  Et on se dit qu’il faudra plus qu’un Pujadas passant les plats à Fillon hier soir, pour qu’il puisse tenter de rectifier le tir sur la Sécurité sociale. Vous savez, c’est cette vieille antienne, selon laquelle il faudrait expliquer, adapter, bref « retravailler ce point de façon à ce qu’il soit infléchi et accepté par une majorité de nos compatriotes » explique Bernard Accoyer, ex-président de l’assemblée nationale, sans doute conscient que certaines couleuvres sont quand même difficile à avaler. Et là, on s’est dit que, à défaut de faire passer la pilule, la purge du bon docteur Fillon pourrait surtout lui coûter de nombreuses voix en 2017.

Véronique Valentino pour L'Autre Quotidien

photo Reuters