Polychronies (1) : Un peu voyou, par Marie Cosnay & Vincent Houdin #podcast
"Je cherchais quelque chose pour quitter l’espace de l’écrit.
Cela faisait un moment que l’espace de l’écrit, alors que je ne supportais plus les atteintes de la parole publique et politique, je tentais de le dépasser, de l’occuper autrement.
J’avais envie (ou plutôt besoin) d’oralité.
C’est alors que Vincent Houdin, musicien, m’a rejointe à Marseille, à la Friche de la belle de mai, à l’été 2016.
Nous avons vécu à Marseille à un moment où l’affaire sans affaire du Burkini se déclenchait.
Nous avons commencé à écrire, paroles et mélodies.
A dialoguer.
Nous avons continué, mois après mois.
La première des chroniques s’intitule "Un peu voyou" (Sarkozy etc.) et a été réalisée en juillet & août 2016.
La deuxième "La grande demeure" (Le Panama) en septembre.
La troisième "Comme écho au passé" (Le non accueil des exilés) en octobre.
La quatrième mentionnera l’élection de Donald Trump - novembre 2016.
Les chroniques musicales, polychronies, sont chronologiques.
Elles mêlent aux événements politiques un récit, une anecdote, cocasse ou triste que nous vivons ou que nous entendons au temps de la double écriture.
Chacune pour l’instant intègre un poème ou un extrait de texte d’un auteur important pour moi.
La première commence avec Pasolini.
La deuxième avec Bernanos.
La troisième, Ingeborg Bachmann.
Enfin la dernière s’appuiera sur un poème de Benjamin Fondane."
Marie Cosnay
Nous en avons assez de devenir des jeunes sérieux
ou heureux par la force ou criminels ou névrosés
nous voulons rire être innocents attendre
quelque chose de la vie demander ignorer
nous ne voulons pas d’emblée être si surs
nous ne voulons pas être d’emblée tellement sans rêves
Grève grève camarades ! Pour nos devoirs !
Monsieur l’instituteur cessez de nous traiter comme des idiots
qu’il faut toujours ne pas vexer ne pas blesser
ne pas toucher. Ne nous adulez pas, nous sommes
des hommes, Monsieur l’instituteur.
(Pasolini)
Mon premier est un peu voyou.
C’est peut-être Fouqué ?
Quand d’Artagnan lui colle aux basques sur son cheval que j’imagine blanc et poussiéreux, c’est à dire couvert de la poussière du chemin ?
Mon deuxième personnage est ambigu, c’est à dire il ne veut pas vraiment attraper le premier.
Il va le faire parce qu’il fait son travail mais avec une bonne dose d’ennui ou de fatigue.
De désespoir ?
La nostalgie du temps où il pouvait choisir ?
D’Artagnan troisième couteau ou barbouze du roi a un gros moment de nostalgie - il donnerait tout pour que le cheval de l’autre ne soit pas rattrapable, il lui laisse de l’avance.
Et puis
Et puis il y a ce moment où il va vaincre pour vaincre, parce qu’il est plus fort, simplement parce qu’il est plus fort qu’est ce que tu veux il est plus fort / plus fort s’impose, il a besoin que plus fort s’impose ; n’empêche il est triste ; et de plus en plus quand le cheval de Fouqué est à terre et l’homme ligoté.
Ou bien : Pat Garett et Billy - quelle tristesse dans les yeux de Pat, toujours la poussière et toujours les chevaux.
Ici c’est compliqué parce que le temps où il pouvait choisir dont est nostalgique comme il se doit Pat Garett qui fait son tout nouveau boulot, ce temps-là il a choisi de le quitter.
De le quitter avant qu’il ne me quitte mais il ne se dit rien de tout ça il se dit qu’il a mal, bon sang, comme un chien ce gosse m’aimait et j’aimais ce gosse comme si.
Personne fera le sale boulot à ma place.
Qu’il se rende bon sang, vienne les mains en l’air on en finisse.
On en finisse, sang de la vierge.
C’est comme une fatalité, la haine qui est venue, si on avait le recul on dirait que c’est de la haine de soi devenu un con à moustaches fini : pas embourgeoisé c’est pas d’époque / mais un peu boiteux pas trop d’humour et la trouille.
Le gamin a rien voulu entendre. Or c’est le temps où les fils doivent écouter les pères ; / le gamin ? Il ricanait et maintenant enfermé dans sa grange avec un qui est mort et l’autre qui pèse pas lourd il ricane encore j’suis sûr.
J’suis sûr.
Pleure Pat Garrett.
Le feu du soleil l’aveugle.
La balle touchera le soleil qui touchera le coeur de Billy, parfait, petit, toi et moi on a fait bonne équipe pourquoi il faut toujours que les bonnes équipes se cassent la gueule moi j’ai rien cassé petit il fallait toujours que tu ricanes, y a des choses bon sang de la vierge qu’il faut prendre au sérieux.
Des fois.
Le corps a explosé dans le feu du soleil sous la balle.
Pat Garrett - se demande si c’est lui qui a crié lui qui a crié qui a tiré - ou si c’est lui qui est crié pleuré tiré blessé.
Mais c’est pas Billy ! Il a jeté l’autre à sa place il ricane il ricane encore j’suis sûr.
C’est pas Billy ! Il a jeté l’autre à sa place il ricane toujours il ricane j’suis sûr.
ta mère
au bord
de la falaise
pieds
au bord
du schiste
blanc
de la falaise
tête
au ciel
dans les brouhahas les cris
au ciel
vas-y
ta mère
tapette
saute
vole
les pieds
tête au ciel
dans le regard
viens
t’as vu
vas-y
il va
pas
il va pas
il
vole
dans le regard
tous
frappent dans leurs mains font voler la falaise de désir crient les mots du vol haranguent
debout sur les roches
d’en bas
tête
versée
là-haut
vole
va
pieds
au bord
dans un cri
il
lance
le corps
ta mère
entre l’eau le ciel
les regards
se figent
un corps
droit
creuse
l’eau
fend
monte
et colle
au sentier abrupt
et blanc
de la falaise
il
va
L’accès aux plages et à la baignade est interdit à toute personne n’ayant pas une tenue correcte ; à toute personne n’ayant pas une tenue hygiénique de nudité maximum pour bonnes mœurs et laïcité l’accès aux plages et à la baignade est interdit ; interdites les baignades et les plages à qui ne respecte pas laïcité de bonnes mœurs et de sécurité adaptées au public maritime qui ostentatoirement cherche tenues de plus grande nudité qui soit ; public maritime de bonnes mœurs et d’hygiène devant ces corps de femmes non exposés risque de s’attrouper, excitation maximum, provoquant de ces échauffourées que notre temps a le secret de prévoir et d’empêcher ; l’accès aux plages et aux baignades est interdit à toute personne n’ayant pas une tenue correcte ouverte qui est la règle maritime et laïque du public de Cannes.
La nudité pour tous, ne se doutait pas Pasolini quand à deux doigts ou mois de mourir il écrivait qu’il ne referait plus, en ces temps où ce qui avait été désobéissance était devenu la plus grande obéissance au flux, au gigantesque flux consumériste et ouvert, qu’il ne referait plus la trilogie de la vie, ce n’était pas la peine, la nudité pour tous, ne se doutait pas Pasolini dont le corps deux mois plus tard on le retrouvait sur la plage d’Ostie, affreusement mutilé, la désobéissance au clérico-fascisme était devenue l’obéissance absolue à l’ordre et à la règle consumériste et de loisir, voici mon cul et encore mon cul et voici mon triomphe c’est à dire ma totale impuissance et bientôt mon délire, la nudité pour tous, ne se doutait pas Pasolini, c’est à dire cette tenue correcte exigée par la règle de bonnes moeurs et de laïcité qui donne l’accès aux plages et aux baignades de Cannes, la nudité pour tous allait frapper à l’été 2016 allait cibler la cible comme pas par hasard et tant pis pour le ridicule - le ridicule qui tue bien sûr mais à chaque tuerie on a des tas de débris à ramasser - c’est à dire des voix.
Mon premier est un couple avec bébé dans la poussette.
Mon deuxième est un gardien.
Un gardien de Friche ou de musée ou de grand magasin.
Mon deuxième empêche mon premier d’avancer.
Mon deuxième, nostalgique du temps où il faisait ses choix mais aujourd’hui costume et talkie- walkie choisissent pour lui, dit : à la porte, mon frère, tu rentres pas.
Je rentre pas ?
Tu rentres pas. C’est le plan austérité. Le plan ultra-urgence, le plan vigipirate enfin le plan, c’est le plan tu rentres pas. Tu rentres pas. Tu vas finir sur le trottoir d’en face ? Pas de lézard, tu peux y crever.
Les talkies-walkie et les costumes empêchent mon premier d’entrer ; les costumes et les talkie-walkies hurlent : va crever sur le trottoir, dégage mon frère - d’ailleurs tu as une poussette et les poussettes rentrent pas, ici on est interdit aux poussettes.
C’est mon bébé dans la poussette.
On a dit : interdit aux poussettes. On a dit : ni sacs à dos ni poussettes. Tu m’as pas entendu ? J’ai dit : pas les poussettes. Tu vas dégager avec tes poussettes à Daech ?
Mes poussettes à Daech ? Tu délires mon frère ?
Mon deuxième délire qui fait son boulot dans les talkie-walkie et crie dans les costumes noirs de sueur.
Des planques à Daech mon frère les poussettes ?
Je te l’ai dit une fois je te le répète la dernière : je fais mon boulot, on me dit pas les poussettes et je dis pas les poussettes, tu veux rentrer ? Tu la manges ta poussette et tu manges avec ce qui est dans la poussette. Tu veux la garder avec ce qu’il y a en elle comme planque à Daech ? Tu dégages ni vu ni connu tu dégages, je veux rien savoir et crève s’il faut, sur le trottoir s’il faut, c’est pas pour tes histoires de poussettes et de ce qui est dans tes poussettes que je vais risquer de perdre mon boulot.
Mon deuxième tripote le talkie-walkie, menace du talkie-walkie, dans son costume noir mon deuxième est le plus fort et qu’est-ce que tu veux, plus fort s’impose ; mais à bien considérer mon deuxième plus fort qui fait son boulot : il jette de faux coups de poings dans les airs quand il croit qu’on le voit pas il boxe les airs derrière les musées et les visiteurs des musées qui rentrent légèrement et joyeusement démunis de poussettes, il boxe en douce derrière ceux qui rentrent pas et vont crever sur les trottoirs, lovés dans leurs poussettes, personne ne le voit en sueur juché sur ses talkies-walkies balancer avec colère, désespoir et nostalgie d’un temps où il pouvait choisir, ses poings dans des airs débarrassés de poussettes.
Bonjour.
Bonjour.
Je vous dis bonjour pour que vous sachiez que je suis pas un voyou.
J’aurais pas pensé ça.
Maintenant vous êtes sûr.
Comme vous êtes sûr que je suis pas quelqu’un qui dit pas bonjour quand on lui dit bonjour.
Mon troisième est un gros voyou.
Mon troisième a la multiplicité des gros voyous.
Mon troisième écrirait des romans d’espionnage s’il savait écrire.
Les scénario seraient un peu bidons ou caricaturaux : une guerre lointaine déclenchée pour supprimer un dictateur au nom des droits de l’homme et d’un secret.
Le secret ?
Comme le dictateur a offert beaucoup d’argent pour la campagne électorale de l’homme des droits de l’homme, il vaut mieux que l’homme des droits de l’homme fasse oublier l’argent du dictateur.
En tuant le dictateur.
Mais le scénario de l’été est plus compliqué parce qu’écrit autour de ce qu’on ne voit pas du tout du tout, qu’on ne comprend qu’à peine quand même on en a la bouche pleine.
On taxe les gaz de saveurs piquantes composés inorganiques dioxydes de carbone.
On taxe pour le droit à s’en servir c’est à dire à user abuser c’est à dire le droit à polluer.
De l’argent on va se servir pour inventer des services à moins polluer.
Mais là, là, mon nouveau personnage, énième gros voyou, intervient.
La vérité, Monsieur le Président.
Moi, je suis un mec pour gagner l’argent, le dépenser et m’éclater.
La vérité, Monsieur le Président, moi je suis un mec pour gagner l’argent.
Je passe en Suisse, direct.
J’ai des gens sérieux, des avocats.
Pour créer n’importe quelle société vous allez en Suisse, ils vous la proposent avec un gérant. Monsieur le président, si c’est dur pour vous, c’est simple pour moi : celui qui veut des espèces en Suisse, le caissier, avec un petit billet de 1 000, il vous les donne.
Cinq milliards d’argent à pas polluer - le casse ou l’arnaque de l’été...
Marie Cosnay
Marie COSNAY est professeure de lettres classiques et écrivaine. Elle a publié notamment Vie de HB (Nous, 2016), Cordelia la guerre (éditions de l'Ogre, 2015), À notre Humanité (Quidam éditeur, 2012), Villa Chagrin (Verdier, 2006) et Que s'est-il passé ? (Cheyne éditeur, 2003). Elle fait partie depuis cet été des chroniqueuses/chroniqueurs de L'Autre Quotidien. Vous pouvez la retrouver sur Facebook.