L'AUTRE QUOTIDIEN

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"On arrive sur le stand de tir" : procès (enfin) des policiers de Montreuil

La police nous avait tiré dessus au flashball le soir du 8 juillet 2009 à Montreuil, alors que nous étions nombreux à manifester suite à l’expulsion de «La Clinique», un lieu d’organisation ouvert sur la ville. Parmi les six personnes blessées, cinq ont été touchées au dessus de l’épaule, précisément là où la police n’est pas autorisée à viser. L’un d’entre nous a perdu un oeil. Fait peu ordinaire, 7 ans plus tard, trois policiers vont finalement être jugés au Tribunal de Bobigny, du 21 au 25 novembre 2016..

Dans les années 2000 la police a réprimé systématiquement les luttes sociales (mouvement contre le CPE, révoltes dans les banlieues, soulèvements dans les Centres de rétention administratif…). Ces années-là, l’extension de la législation anti-terroriste et la dotation de flash-ball ont été les moyens les plus « spectaculaires » pour criminaliser et terroriser préventivement toute tentative de révolte ou de contestation.

Ces années-là, à Montreuil comme ailleurs, la police occupe la rue. Des opérations organisées par la Préfecture pour traquer les étrangers, dans les transports en commun, aux abords des foyers, répondent aux annonces chiffrées du gouvernement Sarkozy en matière d’expulsion de sans-papiers. Des assemblées de quartier s’organisent alors contre les rafles ; un numéro d’urgence est créé pour intervenir rapidement en cas d’opération policière ; des manifestations ont lieu régulièrement autour des différents foyers de travailleurs migrants. D’autres formes d’entraide et de solidarité existent quotidiennement : occupation de logements vides ; actions collectives contre le contrôle social et administratif ; récup’ et redistribution de nourriture… La confrontation avec la police est de plus en plus fréquente. Les agents de la BAC n’hésitent pas à menacer ou à tirer au Flashball dans les rues de Montreuil.

Fin 2008, une ancienne clinique est occupée en plein centre-ville de Montreuil. Une quinzaine de personnes y habitent. L’immeuble accueille un infokiosque, une cantine, un ciné-club, des permanences d’auto-défense sociales, des concerts, des assemblées, un magasin gratuit et une radio de rue les jours de marché. Le 8 juillet 2009, à 6 heures du matin, la « Clinique » est expulsée. La Préfecture mobilise le RAID et plus de deux cents flics, qui bouclent tout le quartier pendant plusieurs heures. Le soir même, une cantine est installée à une centaine de mètres à l’entrée d’une rue piétonne. A la fin du repas, nous partons en ballade jusqu’à la Clinique. Des policiers arrivent, s’équipent, se mettent en ligne. Alors que nous sommes tous en train de nous éloigner, des rafales de tirs éclatent. L’un d’entre nous tombe à terre. Les flics continuent à pourchasser dans les rues de la ville le reste des manifestants, et à leur tirer dessus. Au total 6 personnes sont touchées, dont 5 à hauteur de visage.

Le lendemain, Joachim est sur un lit d’hôpital attendant une opération. Il a perdu son œil droit. Une brève dépêche de l’AFP dictée par la Préfecture fait état d’un manifestant susceptible d’être blessé. Rapidement les choses s’enchaînent. Il faut répondre, faire quelque chose. Dans l’urgence, quatre plaintes sont déposées contre la police. 

Quelques jours après les faits, nous étions quelques milliers à manifester à Montreuil avec pour banderole de tête : « Notre défense collective ne se construira pas en un jour. Contre toutes les polices. Organisons-nous ». Depuis, nous nous sommes organisés en collectif et avons rencontré de nombreuses personnes frappées par la violence policière, des mutilées par flashball et LBD, des proches de personnes tuées par la police, et ceci dans toute la France. Nous avons cherché à rendre visible nos histoires, à les relier entre-elles, à faire front. Faire front, c’est-à-dire se solidariser avec d’autres. Élaborer et échanger des outils juridiques. Partager des contacts d’avocats et de journalistes. Prévenir des formes que prendra l’impunité policière : les communiqués fallacieux, les expertises insidieuses, les procès verbaux mensongers, les articles trompeurs, les pressions policières, etc. Et surtout, continuer à prendre la rue, organiser des manifestions, des rassemblements, des concerts de soutien. Sortir de l’isolement auquel la justice comme la police nous cantonnent.

Dans cette perspective, en novembre 2014, pendant la mobilisation qui fit suite à la mort de Rémi Fraisse, nous avons participé à la création d’une Assemblée des blessés, des familles, et des collectifs contre les violences policières. Elle rassemble une quinzaine de personnes mutilées en France suite à des tirs de flashball et de LBD, ainsi que des familles et des collectifs.

Depuis sept ans nous vivons au rythme des morts et des mutilés. Entre 1995 et juillet 2009, on dénombrait une quinzaine de personnes grièvement blessées par des tirs de flashball et de LBD 40, essentiellement dans les quartiers populaires. Aujourd’hui, ce nombre a pratiquement triplé. On recense en France plus de 40 blessés graves dont une majorité d’éborgnés. Par ailleurs, l’arrivée des armes dites « à létalité réduite » ne s’est pas traduit par une diminution du nombre de morts. La police tue toujours, en moyenne, une personne par mois.

 Le flash-ball ne remplace pas « l’arme de service ». Avec cette arme, comme avec les grenades de désencerclement, les forces de police se réhabituent à tirer dans le tas, et mettent en oeuvre un certain type de gestion des foules : mutiler quelques-uns pour faire peur à tous. Ce printemps, au cours de la lutte contre la loi travail, tout le monde a en effet pu assister, dans la rue ou sur des vidéos, à l’ampleur de la violence de la police qui n’a eu de cesse de nasser, gazer, tabasser, arrêter, blesser, mutiler, tirer dans le tas. Grenades, LBD 40, 49-3, état d’urgence, répression, sont les modalités du dialogue social actuel.

 Les policiers responsables de mutilations ou de morts sont rarement inquiétés. Dans la quasi totalité des affaires impliquant flash ball et LBD 40, les policiers ont bénéficié de classements sans suite, de non-lieux ou de relaxes : on compte seulement trois condamnations sur une quarantaine d’affaires. Une impunité instituée qui est également la règle dans les affaires de meurtres policiers. Dernier exemple en date, cet été, Adama Traoré, jeune homme de 24 ans, est mort entre les mains des gendarmes à Beaumont sur Oise. Sans surprise, le procureur a tenté d’étouffer l’affaire en omettant de communiquer des éléments de l’autopsie. Plusieurs nuits d’émeutes, des journées de mobilisation, une famille déterminée et un avocat combatif ont réussi à mettre en échec cette pratique systématique.

 Lors du procès des trois flics qui nous ont tiré dessus, et mutilé l’un d’entre nous, nous inviterons d’autres blessés et proches de victimes de la police sur la scène publique. Car s’il s’agit de viser la condamnation des tireurs, ce procès sera aussi une occasion de faire entendre chaque histoire, de combattre le déni des institutions, de mettre en cause la chaîne de commandement et de mettre en lumière la fonction de la police et des ses armes.

Dans le même temps, une manifestation s’organise pour le 13 juillet. Plus de 500 personnes manifestent dans les rues de Montreuil.Les participants ont été appelés à venir casqués pour se protéger. Des banderoles renforcées protègent la tête et la queue de la manifestation Devant la place du marché, une quarantaine d’agents de la BAC charge le cortège.

Quatre années se sont écoulées. Les flics de Montreuil n’ont cessé de prendre à parti dans les rues ou lors d’actions publiques certains d’entre nous. Certains se sont fait clairement menacer à plusieurs reprises, ou discrètement tabasser lors d’une arrestation. Cependant des logements vides ont continué à être occupés. Des lieux d’organisation politique se sont ouverts. Des collectifs de lutte ont continué à se mobiliser.

Depuis 2009, une enquête a été prise en charge successivement par deux juges d’instruction. Trois flics ont été mis en examen, l’un d’entre eux placé sous contrôle judiciaire et interdit de port d’arme. Ce qui n’empêche pas le reste du commissariat de continuer de sortir banalement leur flashball et de ne pas hésiter à tirer. En juillet 2010, pendant le mouvement contre la réforme des retraites, Geoffrey, un garçon de 16 ans perd son oeil devant son lycée à Montreuil touché également par un tir.

Après deux ans d’instruction, le dossier est désormais bloqué depuis 1 an et demi entre les mains du procureur. Celui-ci suspend la décision de renvoi devant les tribunaux, nous plaçant dans une attente indéfinie.

Nous nous nous sommes constitués en collectif pour nous saisir de ce temps imposé, pour créer un espace commun à partir de ce qui est arrivé le 8 juillet. Nous, c’est-à-dire des personnes présentes ou non ce soir-là, décidées à se défendre face à la police. Il s’agit de nous relier à d’autres histoires, d’autres lieux, d’autres personnes. Nous nous engageons dans un processus public pour à la fois prendre en charge collectivement ce procès contre la police, et aller au-delà.

Nous avons commencé à rencontrer d’autres personnes mutilées par des tirs de flashball. Nous sommes venus soutenir Pierre à Nantes lors du procès contre le flic qui lui avait tiré au visage (acquitté). Nous avons participé à Montbéliard à un débat public avec Ayoub, mutilé à son retour de l’école par un tir de la BAC.

Nous allons aussi saisir le Tribunal administratif, en coordination avec d’autres collectifs soutenant des personnes blessées par la police (à Paris lors d’une fête de la musique, à Nantes pendant une occupation du rectorat, et à Notre Dame des Landes où la police ne cesse d’expérimenter de nouvelles armes). Par cette procédure il s’agit de mettre en cause le rôle de l’administration, de l’État, et non plus la responsabilité individuelle d’un flic, comme au pénal.

Nous collectons les témoignages de personnes blessées par ces armes mutilantes dites non létales. Le Flashball n’est pas une exception de l’action policière. Il permet d’analyser l’évolution des principes et des stratégies du maintien de l’ordre. Les années qui ont suivi l’introduction de cette nouvelle arme montrent que sa présence permanente dans les quartiers et dans les manifestations a de nouveau banalisé le fait de tirer. Enquêter collectivement sur les conditions de son utilisation est un des moyens de montrer ce que fait réellement la police et à quoi elle sert.

Sur qui, sur quoi tire la police ?

Partir de ce qui nous est arrivé là où nous luttons, vivons, habitons, c’est la seule façon de rompre l’isolement. Isolement face aux violences et aux blessures. Isolement face à la police et à ses armes. Isolement face à la Justice.

Une instruction, un procès, ne répondent jamais aux attentes que l’on peut y investir. Sur ce terrain que l’on ne choisit jamais, où nous devrons sans cesse nous justifier (alors que ce sont eux les tireurs), il faut pouvoir faire exister les histoires des uns et des autres. Celles du passé, de toutes les familles et des comités qui se sont organisés contre les crimes de la police, comme celles du présent. Nos histoires. Nous y voyons le seul moyen de puiser de la force et une possibilité d’organisation pour les premiers concernés. A l’intérieur, mais surtout à l’extérieur des tribunaux.

https://collectif8juillet.wordpress.com

 

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