L'AUTRE QUOTIDIEN

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L’odeur du gasoil à la frontière syrienne (2/6), par Sébastien Ménard

2.

...Un vendredi matin on se lève on prend les sacs et sans doute qu’on mange du houmous des olives et des tomates — on avait aussi l’habitude de tremper des concombres dans le fromage en buvant du thé noir — ensuite on monte dans un taxi pour lui dire qu’on file vers le Sud alors il nous emmène à l’Ouest — on met cinq sacs et une guitare dans le coffre et sur les sièges puis on s’assoit par dessus — les rues sont vides qui attendent la fin du vendredi et la fraîcheur du soir — le type qui vend ses bières en douce pendant la nuit est déjà debout qui semble n’avoir pas dormi.

À la gare routière on commence par oublier son nom puis on cherche un bus en mangeant des bananes — entre les viandes qu’ils grillent et les bagnoles à l’arrêt on marche sur le bitume chaud et quand on trouve le bus il est déjà parti — certains fument des clopes comme pour prendre une décision et on finit un café quand un type chaussures michto gomina dit en tirant sur sa clope que cinquante dollars suffisent largement pour aller là-bas dans une grosse américaine.

Au début on n’en sait rien on fait trois fois le tour de la bagnole et c’est vrai que c’est une grosse américaine du genre Chevrolet V8 avec trois places à l’avant — le type il est debout devant sa bagnole et il dit en finissant sa clope que pour les visas ça ne posera pas de problème surtout pour sortir après on verra — nous on lui dit ça marche alors on lui donne les dollars sans penser qu’il pourrait nous planter là — mais ce genre de type ça marche pas comme ça on se dit.

À peine il a pris les dollars qu’ils sont dans sa poche et il démarre le V8 puis on met les sacs dans le coffre et on monte dans la grosse américaine direction plein Sud — d’abord on traverse la banlieue des quartiers qu’on n’a jamais traversés puis dans une station-essence il fait le plein avec les dollars et achète des bouteilles d’eau — après il allume la radio et son pied droit s’écrase sur la pédale.

Nous on est dans la bagnole et on ne dit rien — on observe les petites tornades qui se déplacent au loin poussière et quand on regarde le compteur c’est pour voir les cent-vingt miles par heure affichées sous l’aiguille — on roule en se racontant des histoires et en pensant au Sud — et quand on arrive à la frontière le type il passe la grosse américaine avant toutes les autres — il nous emmène au guichet il dit c’est là et donc on attend pour le tampon et après on repart — à l’autre poste il fait encore plus chaud on pourrait croire que c’est parce qu’on vient de changer de pays le taxi il dit que c’est là pour les dollars alors on donne les dollars et on peut entrer dans le pays — sur le bitume chaud il accélère et on entend le moteur trembler sur les plastiques avec l’odeur du gasoil à la frontière syrienne.

Sébastien Ménard


Sébastien Ménard écrit en continu sur le site diafragm.net. Vous pouvez également le retrouver sur Twitter @SebMenard. Et découvrir le livre Soleil gasoil aux éditions publie.net