In Memoriam Shimon Peres, par Serge Quadruppani
Le jour de la mort de Shimon Peres, j'ai entendu sur France Culture un journaliste raconter une interview qu'il avait faite de lui où, à la fin, Peres lui avait dit: "Qu'est-ce que tu attends pour faire ton alya (émigration en Israël)?".
J'ai aussitôt pensé au texte, lu dans Courrier International (N°1350 du 15 au 21 septembre 2016, p.14), de l'un de ces jeunes israéliens qui choisissent de faire le chemin inverse, c'est à dire de partir à l'étranger, notamment à Berlin. En réponse à une tribune d'Uri Avnery publiée le 15 août dans Ha'Aretz incitant les jeunes à rester, Na'aman Hirschfeld écrivait, 3 jours plus tard dans le même journal :
"Faut-il croire en la possibilité de changer les choses de l'intérieur? Croire, avec Avnery en "avenir où deux Etats vivraient côte à côte dans une patrie commune"- un avenir qui serait le fruit d'un combat politique mené conjointement avec les jeunes Palestiniens? Non, ce cadre de référence est illusoire. Les gouvernements israéliens ont fait en sorte de rendre impraticable toute solution diplomatique de "la situation". L'avenir est déjà là: un Etat d'apartheid. Un apartheid de facto qui n'est pas encore devenu de jure. La vie en Israël-Palestine est cauchemardesque. Israël est une ethnocratie, radicale et rapace, au gouvernement de plus en plus autocratique. Il présente tous les signes extérieurs d'une démocratie, notamment en termes d'institutions, mais dans son principe, il s'agit d'un Etat fondé sur le sang, au sensvölkisch, en cela qu'il élève un groupe au-dessus des autres. Les Israéliens - juifs pour la plupart - ne veulent pas qu'on change cette réalité. Car, enfin, qu'est-ce qu'un Etat Juif dénué de sang juif? Qu'est-ce qu'Israël sans la distinction entre sang juif et sang arabe? Israël aujourd'hui ne peut plus fournir de réponses positives à ces questions, si ce n'est encore plus de sang et de désespoir."
Tel est, aujourd'hui, l'Etat fondé par Peres, l'un des pères fondateurs d'Israël, et l'un des fondateurs aussi de ce mouvement des colonies qui pourrit Israël de l'intérieur. Respect total aux quelques combattants israéliens comme Uri Avnery, Michel Warchavski ou Schlomo Sand qui se battent encore sur place pour "fournir des réponses positives". Mais force est de reconnaître que derrière le rideau de fumée des accords d'Oslo, jamais rien de sérieux ne s'est développé dans les profondeurs de la société israélienne, qui puisse infirmer en quoi que ce soit le jugement d'Hirschfeld.
Serge Quadruppani
Essayiste, traducteur et éditeur littéraire libertaire français, auteur de romans policiers et traducteur de la série des Commissaire Montalbano d'Andrea Camilleri, Serge Quadruppani tient un blog où il s'exprime sur l'actualité "en attendant que la fureur prolétarienne balaie le vieux monde" : Les contrées magnifiques.