L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les responsabilités criminelles d'une gauche qui refuse de voir le tsunami européen d’extrême-droite

Notre maison commune européenne a déjà pris feu et commence à s’embraser ! La condition sine qua non pour faire barrage – même maintenant - au tsunami européen d’extrême-droite est que la gauche européenne arrête tout de suite de prendre des vessies pour des lanternes en parlant de succès inexistants de la gauche, et reconnaisse combien la situation est critique, et combien la menace qui frappe à notre porte est terrible. Pourtant, même cela ne suffira pas, si on ne fixe pas au plus vite les nécessaires tâches (antifascistes et anti-systémiques) à entreprendre au niveau européen. En d’autres termes, les initiatives mouvementistes et autres qu’il faudra prendre tout de suite afin de donner aux dizaines de millions de citoyens européens qui veulent résister le signal qu’il y a encore une gauche qui ne se résigne pas et les appelle au combat antifasciste ! Une tribune de Yorgos Mitralias.

Depuis 3-4 ans, il ne se passe pas un jour sans qu’un responsable de Syriza ne nous tranquillise en proclamant qu’en Europe tout va bien ou tout au moins mieux qu’avant, que le « bon exemple » de Syriza est suivi par des forces montantes d’autres pays, que les brèches ouvertes par Syriza dans la toute-puissance néolibérale s’élargissent, etc. Si toute cette avalanche de bourdes n’avait pas des effets très pratiques, elle pourrait seulement prêter à rire. Pourtant, puisque la situation est extrêmement critique ou plutôt cauchemardesque, comme elle ne l’a jamais été depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la réaction ne peut être que colère, indignation et désespoir. Pourquoi ?

Mais parce que ce tir de barrage de balivernes frivoles a des conséquences catastrophiques très concrètes  car il conduit mathématiquement à ce qui est déjà perceptible, à la victoire écrasante de l' extrême-droite le plus noire, raciste et souvent néofasciste et néonazie presque partout sur notre Vieux Continent. Et surtout, sans qu’il y ait combat, avec ce qui reste de  la gauche se limitant à être un  simple spectateur passif des évènements et s’occupant d’autres choses, c’est-à-dire exhibant un triomphalisme bon marché  alors que notre maison commune européenne a déjà pris feu et commence à s’embraser !..

Malheureusement, la réalité européenne est diamétralement opposée à celle décrite par Syriza et son gouvernement. Grise depuis longtemps, l’Europe est en train de devenir de plus en plus noire, ou plutôt brune comme la peste du (néo)fascisme ! Et voici tout de suite un bref aperçu de cette réalité cauchemardesque que seuls des aveugles ou ceux qui feignent de ne pas voir sont incapables de distinguer. Naturellement, en raison aussi de l’actualité brûlante, nous commençons par la France où le Front National de Marine Le Pen n'a pas attendu les derniers massacres terroristes pour devenir le premier parti politique du pays. Ceci est vrai déjà depuis longtemps et la seule interrogation, tout au moins depuis l’an passé, concerne les dimensions de son impétueuse progression : 35%, 40% ou 50% ?   Malheureusement, même ce terrifiant 50% n’est plus irréaliste puisque le Front National n’a plus d’adversaire. Et quand on parle d’adversaire, on ne se réfère pas en premier lieu ni à sa –presque- sœur de lait, la droite sarkozyste, ni à la social-démocratie néolibérale du tandem Hollande-Valls, qui s’est toujours distinguée par son approche bornée et à courte vue du Front National, perçu comme instrument utile pour fragiliser la droite traditionnelle afin que ses bureaucrates puissent être élus, profitant de la division de la droite. Appliquant le dicton français « balayer devant sa porte avant de balayer devant celle des autres », on se réfère donc à la gauche française se situant à la gauche de la social-démocratie. Une gauche de la gauche qui s’est si bien débrouillée qu’elle est désormais pratiquement inexistante et traverse sa plus grande crise des derniers 120-130 ans !

Mais, pourrait-on se demander, est-ce que la France est l’exception à la règle ?  Est-ce qu’ailleurs ça va mieux ?  Malheureusement, non. Et si on en juge par ce qui se passe en Italie, c’est dans ce pays si proche de la Grèce que les événements font le plus peur. En effet, au pays où la gauche n’est plus représentée au Parlement  depuis belle lurette (!), le seul parti qui avance et même triple –selon tous les sondages- ses forces est la Lega de Matteo Salvini, en comparaison duquel Marine Le Pen fait figure de paisible ménagère. Alors, cette Lega, qui n’est plus « du Nord » mais de toute l’Italie, y inclus du Sud pauvre où elle voit croître de façon spectaculaire son influence, a un faible pour les pogroms contre les immigrés tandis que son chef Salvini a l’habitude de se vanter en présence des caméras de TV, de ses pulsions assassines contre les Roms, dont il se plait à incendier les roulottes de ses propres mains !...

Tout ça serait-il le triste « privilège » de ce malheureux Sud européen tandis qu’ailleurs les choses seraient bien meilleures ? Malheureusement, encore une fois non. Tout particulièrement à l’Est et au Centre européen, les « choses » sont sûrement bien pires. Dans le grand pays qu'est la Pologne , les récentes élections ont vu la victoire écrasante de l’extrême-droite raciste et anti-européenne sur la droite néolibérale ! Des situations  similaires ou même encore pires sont en train d’être créées  en République Tchèque et en Slovaquie, tandis qu’en Hongrie, la majorité gouvernementale raciste dure est érodée progressivement par le parti néonazi qui dépasse désormais les 20% des voix. Et tout ça sans parler des pays -bien européens aussi- comme l’Ukraine et la Russie balayés par le plus redoutable des chauvinismes et où les racistes et autres nostalgiques du Troisième Reich jouissent de la protection des gouvernants et l’antifascisme est dorénavant…infraction pénale !...

Et quid du Nord européen, du reste de l’Occident européen, là où la crise n’est pas aussi intense et le chômage reste « insignifiant » comparé au notre ?    Malheureusement, là aussi, c’est-à-dire en Allemagne, au Danemark, en Suède et en Hollande, en Belgique, en Autriche et en partie au Royaume-Uni, l’extrême-droite raciste et isolationniste est partout la force montante tant dans les urnes que dans les rues.  Et partout, sauf rares exceptions, la montée fulgurante de l’extrême-droite se combine avec le non moins spectaculaire effondrement ou même la disparition de la gauche de toutes sensibilités !...

Enfin, quant aux pays de la péninsule Ibérique que nos triomphalistes se plaisent à présenter comme des locomotives d’un (inexistant) virage à gauche européen, leur situation est au moins assez contradictoire et sûrement pas aussi rose qu’ils nous la décrivent. Au Portugal, le nouveau gouvernement n’est pas « de la gauche » comme on nous le répète à satiété, mais de la social-démocratie qui gouverne seule, avec tout ce que cela comporte concernant son programme qui reste dans ses lignes directrices fidèle à l’austérité. En outre, en Espagne, qui –heureusement- continue d’être la grande oasis des mouvements sociaux en Europe, le tandem Iglesias- Errejón qui monopolise la direction de Podemos, a déjà tout fait pour couper les ailes de ce parti qui avait démarré chargé d’autres rêves et d’une autre dynamique. La conséquence  de  ce cheminement catastrophique est que la droite espagnole, qui se trouvait il y a un an au bord  de l’effondrement, complète aujourd’hui son rétablissement et  contemple son avenir avec optimisme. Pourquoi ? Tout simplement grâce au succès inattendu du parti des Ciudadanos, que l’establishment espagnol a littéralement sorti de sa manche quand il a constaté que la droite traditionnelle de M. Rajoy était irrémédiablement décrédibilisée, et que Podemos menaçait  d’exprimer majoritairement la colère et la protestation populaires. Ceci dit, indépendamment de grandes possibilités de l’establishment espagnol, l’expérience des Ciudadanos n’aurait pas pu avoir le succès qu’elle a eu si la direction de Podemos n’avait pas tout fait pour lui faciliter la tâche.

Au-delà  de tout ça, le grand événement qui ouvre des boulevards à l’extrême-droite est pourtant la déception que provoque chez des dizaines de millions de citoyens européens, qui ne se reconnaissent ni dans les politiques d’austérité ni dans la corruption des partis traditionnels néolibéraux, la trahison de leurs espoirs investis dans la Grèce de Syriza et l’Espagne de Podemos. Quand nous parlions des « responsabilités criminelles de M. Tsipras » dans « les conséquences internationales catastrophiques de la  capitulation annoncée de Syriza » (1), ceux qui ont vraiment compris de quoi il s’agissait étaient peu nombreux. Aujourd’hui, quand ces « conséquences internationales catastrophiques » crèvent les yeux et apparaissent dans toute leur grandeur cauchemardesque, qui oserait encore contester les « responsabilités  criminelles » qu’a M. Tsipras, mais aussi toute la direction de Syriza, dans la disparition du dernier espoir qui constituait la dernière digue européenne pouvant retenir  la marée d’extrême-droite ?

Conclusion : La condition sine qua non pour faire barrage – même maintenant- au tsunami européen d’extrême-droite est que la gauche européenne arrête tout de suite de prendre des vessies pour des lanternes en parlant de succès inexistants de la gauche, et reconnaisse combien la situation est critique, et combien la menace qui frappe à notre porte est terrible.  Pourtant, même cela ne suffira pas, si on ne fixe pas au plus vite les nécessaires tâches (antifascistes et anti-systémiques) à entreprendre au niveau européen. En d’autres termes, les initiatives mouvementistes et autres qu’il faudra prendre tout de suite afin de donner aux dizaines de millions de citoyens européens qui veulent résister le signal qu’il y a encore une gauche qui ne se résigne pas et les appelle au combat antifasciste !...

Yorgos Mitralias 
traduction Fausto Giudice

Notes

1 Les conséquences internationales catastrophiques de la capitulation annoncée de Syriza et les responsabilités criminelles de M. Tsipras


Yorgos Mitralias est l'un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette.


Merci à Tlaxcala, le réseau international de traduction