La fête de l'insurrection gitane à Auschwitz
Dit pendant une performance jouée pendant la fête de l'insurrection gitane, ce texte célèbre le soulèvement des femmes gitanes d'Auschwitz-Birkenau en 1944. Les Roms, il ne faut pas les voir seulement comme des coupables ou des victimes. Il y a quelque chose d'héroïque dans leur survie malgré tout, en dépit de siècles d'oppression et de discrimination. Et cela, c'est quelque chose à respecter absolument. Et à apprendre d'eux.
Réquisitoire du masque de la vie nue contre le monstre du racisme d’état comparu
Moi, Mândrino de la Zor, de naissance inconnue, trouvé au début des temps -au fond d’une large botte de cavalier d’épée,
Je voudrais dire un mot sur le sens de ce que nous faisons aujourd’hui : la Fête de l’insurrection Gitane ; et l’adresser devant vous, à ce monstre de papier, qui est là : le racisme d’Etat.
Car si c’est avec joie et fierté que nous vous montrons la puissance de vie qui habite les gestes et les voix des musiciens, chanteurs et danseurs du groupe « Terne Roma », comme nous vous montrerons la beauté de ceux qui les suivront après cela, nous ne sommes pas dupes de la ruse qu’il y a à paraître beau et plaisant devant un monde qui journellement vous enlaidit.
La séduction, chez les Rroms, comme chez d’autres qui souffrent racialement de la domination, est un stratagème qui vise à éviter les coups en se rendant plaisant à la représentation du Maître.
Sans vouloir gâcher le plaisir de quiconque, il me faut bien avouer que dans tout imaginaire colonial le plaisir exotique est l’autre face de la haine raciale.
Le Maître fait venir dans son salon le joueur de violon, dans son lit ou son fantasme la gitane, tandis qu’il envoie son frère, le voleur, et son enfant, le voyou, en prison.
Puis il nous explique que le violoniste fougueux est un tzigane quand le romanichel (le « rom ») est un vendeur d’enfant. Voilà deux figures de soumission à la représentation du maître qui se repaît ainsi de sa domination.
Mais à celui qui sait entendre, sonne dans cette musique quelque chose de méchant : l’orgueil, l’audace, la provocation, de qui sans être vu a porté un coup, ou fait un mauvais tour. C’est la fatalité que porte avec la plainte le chant de tous les opprimés et qui sonnera après cela avec les frappes et les chants de Lorie La Armenia et los Duendes del cante Flamenco.
Le 16 mai 1944, Les Rroms et les Sinté se sont soulevés dans le « camp des familles tziganes » d’Auschwitz II-Birkenau. Ils se sont soulevés avec l’appui du réseau clandestin de résistance du camp, où étaient actifs des Juifs, des Polonais, des communistes, et tout particulièrement ceux que l’on appelle « les commandos spéciaux », chargés de la destruction des cadavres.
Ce sont les services de renseignement de ce réseau qui les avaient avertis de l’imminence de leur liquidation.
Au sein du camp circulaient des agents de liaison, dont certains s’étaient infiltrés dans cet enfer intentionnellement pour coordonner un plan général de soulèvement qui fut enfin mis en œuvre à l’automne 1944.
De ce soulèvement, oublié, restent 4 photographies, prises par les insurgés, qui sont en outre les seules images existantes des chambres à gaz, et à quoi la mémoire institutionnelle dénie la puissance de témoignage, puisque selon elle de cette réalité il ne peut pas y avoir d’image.
Mais en méprisant ces images de quoi cette mémoire veut-elle ne pas se souvenir sinon qu’au milieu de cette horreur des hommes ont résisté ?
Lorsque les enfants, les femmes et les hommes du « camp des familles tziganes » ont été massacrés la nuit du 2 Aout 1944, à l’aube, sur le tas de leurs cadavres présentés aux « commandos spéciaux » chargés de leur destruction, était le corps sans vie de Kaminski, membre lui-même de ces commandos et meneur du réseau de résistance de Birkenau. C’est à tous ceux-là que ce soir et demain, nous voulons rendre hommage !
Et c’est pour cela qu’outre la solennité due au souvenir de ceux qui ont péri, ce 16 mai, nous faisons une fête de l’insurrection gitane, nous célébrons la puissance de vie qu’il y a dans les actes de ces héros.
71 ans après nous voulons rappeler cette puissance contenue dans la vie nue contre la violence politique mortelle, contre la destruction physique, biologique, psychologique par les Etats de peuples particuliers, et de la possibilité d’un peuple politique quelconque.
Car que vous puissiez le comprendre ou non, pour le plus grand nombre d’entre nous l’espace du camp ne s’est jamais refermé.
Et ceux qui occultent les révoltes passées, en imposant une mémoire prescriptive sous les catégories du devoir et de la loi, sont ceux qui autorisent ou commettent les crimes politiques du présent et de l’avenir ou s’en rendent complices. Seule la capacité de résister, saura faire face et repousser, comme l’ont fait les Rroms du camp des familles tziganes le 16 mai 1944, les forces politiques mortelles qui se sont déjà soulevées.
Il faut peu de temps à quiconque entre dans une communauté rrom sur n’importe quel territoire d’Europe pour voir la réalité politique des sociétés européennes d’un œil inédit.
Ce qu’il verra est que le processus politique de destruction physique et psychique, le génocide, n’a jamais cessé. Une guerre multiple, sans motif autre que sa perpétuation infinie, continue et se prolonge.
Geneviève De Gaulle Anthonioz, résistante déportée, il y a quelques jours entrée au Panthéon, avait placé son engament auprès des résidents algériens en bidonville à Noisy le grand dans les années 60, dans le prolongement de son action de résistante. Elle avait vu que la violence psychique et matérielle faite à ces résidents, par le bidonville, était similaire à ce qu’elle avait vécu à Ravensbrük, dans le camp de concentration.
Le bidonville est une production politique du racisme d’Etat. Tout est mis en œuvre pour que vous n’en sortiez pas. Il est un instrument de gouvernement par le racisme, d’où que le pouvoir fait tant de cas depuis 10 ans du péril dans quoi le met la présence de quelques milliers de résidents dans ce terrible habitat.
Quiconque connaît d’une part le détail de vie là-bas ainsi que le détail, par le témoignage de Primo Levi, par exemple, de la vie dans un camp de concentration allemand, ne peut pas ne pas voir, sans malhonnêteté, dans la quotidienneté qui y est menée, des rapprochements.
Ce n’est pas une coïncidence si pour nommer les bidonvilles où vivent maintenant des Rroms, la presse, le gouvernement, et même trop souvent les acteurs de la société civile utilise le nom de camp. Le bidonville est un instrument du racisme d’Etat entretenu par l’administration à des fins de gouvernement.
D’où que le premier Ministre socialiste actuel est cité par La voix des Rroms à comparaître pour avoir dit que les Rroms ne n’avait pas vocation à s’intégrer pour des raisons de spécificité culturelle.
Ce qui signifie en substance qu’ils sont par lui voués au camp.
Que les choses soient claires : dans la bouche d’un représentant de l’Etat, et tel qu’il circule dans la rumeur, le signifiant « Rom » a peu à voir avec le contenu intime et charnel de la conscience de quelque individu que ce soit.
Comme chacun devrait savoir, il y a au moins un demi-million de « Rroms » en France, portant des noms divers, et d’apparence diverse, si multiple, que leur réalité intime en est indiscernable, comme toute réalité minoritaire.
Mais Aujourd’hui en France « Rom » est le nom de la race.
Au niveau de l’Etat, il est le nom nouveau de l’immigré, qui fut le nom donné à l’indigène après mutation de l’espace colonial.
Les noms changent avec les périodes et les situations mais le contenu demeure. Il ne faut pas s’y tromper : sous cette cible ainsi nommée sont ciblés tous ceux qui sont perçus racialement, parmi lesquels des femmes et des hommes d’apparence BLANCS. Je pense en particulier aux « voyageurs », que la loi nommaient antérieurement « nomade », qui au travers du sort qui leur est fait sont la preuve s’il en fallait que la race n’est pas une réalité biologique mais l’effet du traitement politique d’une population. Le seul rapport qu’a le concept de race avec la chair des hommes et des femmes est la blessure qui leur est infligée par la police qui les perçoit racialement.
Le Génocide est le point d’intensité historique extrême du racisme d’Etat. Bien qu’il cible un ou plusieurs groupes par lui racialement isolés, il a pour finalité la destruction du peuple en tant qu’invention politique. Il est le terme de la guerre que se livre désormais l’Etat et son contraire : la possibilité de l’humanité : la vie nue affranchie de tout contenu autre que l’acte de son insurrection.
Le Racisme d’Etat contre les Rroms a cette double efficacité d’opérer au plan national le rassemblement d’une communauté blanche contre et au moyen du péril que ferait porter sur elle la figure générale abstraite de l’immigré ; et au niveau municipal : administrer le poison mortel des tensions raciales afin de conjurer la puissance de surgissement d’un peuple créateur.
C’est à cela que l’Insurrection Gitane veut résister. C’est là l’enjeu de la guerre qui est livrée dans et autour des « camps de roms »
« Le camp est l’espace qui s’ouvre quand l’exception est devenue la règle ». Cet espace d’exception est aussi celui des bords d’autoroute à Calais, où la police tabasse des migrants, des commissariats où l’on tabasse et tue des noirs, des arabes, des musulmans, l’école où l’on envoie un enfant à la police pour délit d’opinion, et enfin la mise en surveillance de tous par la nouvelle loi sur le renseignement. La vie nue est la chair vivante blessée, et sur la blessure de quoi l’Etat fonde sa souveraineté. Elle n’a pas de contenu autre que cette blessure. C’est dans sa plaie que se tient la destruction qui est notre réalité, ainsi que son envers : la possibilité pour quiconque de l’humanité.
Nous n’attendons rien de l’Etat, d’autre qu’il retire ses armes puis se retire tout entier. Nous n’attendons rien de la reconnaissance de ses crimes passés, tant nous sommes soucieux seulement de survivre maintenant à sa violence.
Nous demandons rien à l’Etat, d’autre que de disparaître, et avec lui son outil d’enracinement dans nos chairs blessées : le racisme. Créant un peuple multiple tenu par l’idée de son autonomie, il nous est évident que nul parmi nous n’aura besoin de lui et qu’il nous suffira de le laisser mourir comme nous faisons disparaître ce monstre de papier.