L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le "takfir" (excommunication), au coeur du fanatisme qui menace toujours l'Islam

Début juillet 2015, l'ancien Grand mufti d'Égypte, le Cheikh Ali Gomaa, a émis une fatwa déclarant qu'un écrivain libéral qui préconise de respecter le choix des femmes de porter ou non le voile est un infidèle. Cependant, quand il a été interrogé sur Daesh dans le même interview, il a insisté sur le fait qu'ils n'étaient pas, eux, des infidèles. Ils sont bien des musulmans, mais qui comprennent mal l'islam. Cette nuance a des conséquences très importantes, très exactement de vie ou de mort.

Un Grand Mufti est la plus haute autorité religieuse nommée par l'État qui soit habilitée à émettre des fatwas (décrets religieux). Une partie de son travail consiste à émettre des fatwas pour déterminer si les criminels qui ont reçu la peine de mort par le tribunal, devraient être tués ou non. Cheikh Gomaa est un professeur de jurisprudence à la faculté des études islamiques à l'université Al-Azhar. Il est également un membre du Conseil des Oulémas de l'université Al-Azhar . Al-Azhar est l'institution religieuse la plus respectée dans le monde musulman sunnite et il affirme généralement qu'il représente l'Islam modéré. En outre, le cheikh Ali Gomaa a souvent été présenté comme un défenseur de «l'islam modéré».

Cheikh Ali Gomaa, ancien Grand Mufti d'Egypte: «Ceux de Daesh ne sont pas des infidèles, ce sont des musulmans qui interprètent mal l'islam"

Quelques semaines plus tôt, Sherief El-Shobashy, auteur libéral et écrivain égyptien, a appelé à une manifestation contre l'imposition du hijab sur les femmes. Il a dit à plusieurs reprises qu'il est pas contre le hijab lui-même et qu'il respecte toute femme qui choisit de le porter. Cependant, il est contre le fait qu'on oblige les femmes à le porter! Cet appel a été férocement attaqué par de nombreux cheikhs d'Al-Azhar. Récemment, le débat a dégénéré au niveau du "takfir", ou l'excommunication de la religion.

Le Takfir a de graves conséquences dans l'Islam. Lorsque les clercs religieux décident qu'un musulman est un Kafir, soit un apostat ou un incroyant, ce mandat ordonne que la personne en question soit tuée. Beaucoup de gens ont été assassinés après des fatwas comme celle-ci, car il est largement admis parmi les sunnites musulmans que les apostats doivent être tués pour protéger la société de leurs mauvaises idées.

Un très célèbre victime de Takfir est le grand intellectuel égyptien laïc Farag Fouda. Fouda a appelé à la séparation de la mosquée et de l'État. Après que les clercs se soient révélés incapables de le vaincre dans les débats intellectuels, Cheikh Omar Abdel Rahman, le cheikh aveugle qui a été condamné dans la première attaque terroriste sur le World Trade Center en 1993, a publié une fatwa qui déclarait Farag Fouda "kafir". Un des membres d'Al-Jama'a Al-Islamiya l'a par la suite abattu devant son bureau.

Lorsque le juge a demandé au tueur : "Pourquoi avez-vous tué Farag Fouda ?", celui-ci a répondu : "Parce c'est un infidèle." A la deuxième question du juge : «Lequel de ses livres vous a convaincu qu'il était un infidèle ?", le tueur n'a su que dire : "Je ne sais pas lire ou écrire."

La délivrance d'une fatwa comme celle prononcée contre Sherief El-Shobashy est donc dans la pratique l'équivalent d'une condamnation à mort, qui sera bien exécutée un jour par un quelconque fanatique religieux persuadé d'être le bras de la loi divine.

Si Cheikh Gomaa, un porte-flambeau de «l'islam modéré», affirme que remettre en cause l'obligation du port du hijab suffit à faire de vous un infidèle, tandis que commettre les crimes de Daesh n'est qu'une "erreur d'interprétation" qui ne suffit pas à vous écarter de l'Islam, nous avons un problème !

L'argument du mufti est que El-Shobashy et ses partisans ont nié des axiomes religieux de base, tandis que Daesh ne l'a pas fait. Pour lui, le port du foulard est donc apparemment plus important que le fait de sauver des vies innocentes, ou d'empêcher qu'on réduise des femmes à l'esclavage.

Dans le même talk-show, l'ancien Grand Mufti sanglotait en commentant l'initiative de quelques Egyptiens de fonder un nouveau parti politique sous le nom de «parti laïc égyptien". Il a dit: "Ceci est une fête pour l'athéisme. Arrêtez ce péché, assez avec le manque de foi et de morale! " Pour ce "cheikh modéré", créer un parti qui prône l'égalité et les droits des citoyens, ainsi que la séparation entre la mosquée et de l'État, est donc un péché contre l'islam, la morale publique et l'unité nationale. A combattre à tout prix.

Enfin, il convient de mentionner que le cheikh Gomaa a reçu un doctorat honorifique de l'Université de Liverpool pour le féliciter de réprésenter un modèle exceptionnel de tolérance religieuse. Si c'est cela, la tolérance religieuse, on se demande à quoi l'extrémisme peut ressembler...

Maher Gabra, militant égyptien des droits de l'homme.