L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Ce n'est pas la guerre qu'il faut déclarer, c'est le combat pour la liberté.

Manuel Valls nous déclare en guerre.

Parfois on se demande si on emploie bien les mots qu'il faut.

La guerre est déclarée. 

Dès lors qu'on le dit : la guerre est déclarée.

Or la guerre est quelque chose qu'il faut gagner à tout prix et ne perdre à aucun prix. Voilà la guerre, qui ne finit qu'à la reddition complète d'un des combattants, sa forme, son prix terrible. Il ne faut s'y engager que de toutes ses forces. Et pas sans avoir répondu à deux questions essentielles.

Cette guerre, y sommes-nous prêts ? Non. Car profondément, nous sommes en paix. Les attentats viennent briser cette paix en France qui existait avant eux, et sera après eux. Et c'est le seul sens de leur existence pour ceux qui les commettent. Nous rappeler qu'ils ne nous laisseront pas vivre en paix. Nous emporter avec eux dans la guerre. Nous contraindre à elle. Le peuple français ne rêve pas de croisades. Ne vit pas au moyen-âge. Vit ce qu'on lui fait supporter comme un cauchemar. Quelque chose d'incongru, d'impossible, de fou. Nous ne sommes pas faits pour cette guerre-là, que nous ne comprenons pas. Nous souhaitons seulement que cela s'arrête. Voilà au fond ce que nous voulons. Est-il donc utile de nous travestir en ce que nous ne sommes pas ? Des guerriers d'une guerre insensée ? Mieux vaut être des combattants de la liberté. Cela seul a un sens pour nous. Un sens que nous comprenons et pouvons partager entre nous, au-delà de nos différences.

Pouvons-nous espérer une victoire décisive, qui assurerait qu'aucun attentat, enlèvement, égorgement ne serait plus commis, nulle part sur terre ? Non plus. C'est une hydre en face de nous. 

Avec la secte des assassins, ça ne discute pas. Ils se sont fixés un but inatteignable : soumettre les cinq continents. C'est eux contre le monde entier. A commencer par les musulmans qui ne pas voient la vie comme eux. Tous apostats, vipères, hypocrites à leurs yeux. Et quant aux autres habitants de la planète, d'une autre foi, athées, ou agnostiques, inutile d'en parler. Ils sont de trop dans ce monde. Bons à tous envoyer au diable. Il n'y aura donc jamais d'interlocuteur. Personne ne signera jamais de traité de paix avec nous. Ni roi, ni empereur, ni calife, ni émir. 

Pour ces deux raisons, et comme les mots, surtout celui de guerre, sont importants, nous proposons qu'on l'évite absolument : nous devrions à la place parler de combat contre le terrorisme, de combat pour nos libertés. Il est plus juste. Reconnaît qu'il sera long. Sans repos puisqu'il n'y aura pas de victoire décisive. Et plus mobilisateur puisque reposant sur des valeurs, qui nous concernent tous.

De la même manière, vous avez dû remarquer que nous n'employons plus, très consciemment, que le terme "secte des assassins" - qui nous paraît définir le mieux les illuminés, lavés du cerveau, adolescents manipulés par des gourous, qui commettent les attentats, se font des selfies en Jack l'éventreur - pour désigner les adversaires que nous combattons. C'est avec des conséquences dramatiques qu'on leur a si longtemps fait le plaisir de les appeler en vrac "djihadis" (ils en sont très fiers, très contents), "intégristes" (ils ne sont ni intègres, ni intégristes, leur vie en témoigne généralement), "islamistes" (en quoi le seraient-ils ? sont-ils plus musulmans, comme ils le proclament, que tous les "mauvais musulmans" qu'ils veulent asservir ?). Cela a seulement créé une terrible confusion dans les esprits. Il faut être beaucoup plus clair que cela. Ne leur concéder aucune victoire. Et surtout pas celle de se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas. 

Christian PERROT

* Cet éditorial avait été écrit au lendemain des attentats de Paris. L'idée était de relire tout ce que avons alors publié sous le nom de Nuit & Jour. Il nous semble injuste que les journaux se cachent derrière l'excuse de la pression des événements et de l'urgence pour tout oublier de ce qu'ils ont écrit. Autant en emporte le vent ! Il faudrait relire tant d'éditoriaux ! Sur la guerre d'Irak, sur l'intervention en Libye, l'appel de Libération à envoyer des armes à l'Ukraine, à bombarder le repaire du "boucher de Damas", à applaudir les moujahidine afghans quand ils combattaient un gouvernement qui envoyait les filles à l'école... Il est sain de se relire, et d'assumer ses responsabilités : nous le suggérons à tous les journaux comme le meilleur contre-poison de la hâte à jeter son grain de sel dans la conversation du pays.

A ce que nous disions après le Bataclan, nous ne voyons rien à changer.